Tony Toxik, l’artisan de Montreuil

L’histoire de cet article commence en décembre 2017, lorsqu’en soirée, nous avions débarqué, avec une équipe digne de Booska-P, dans le temple de l’Uzine pour y tourner un reportage vidéo. Mais voilà, nos contenus n’étant pas encore financés par Redbull et pour cause d’un bon gros « nous sommes des branleurs » digne du Blavog, ce document reste aujourd’hui enfoui dans la pénombre de nos disques durs. Que les membres du groupe nous pardonnent pour cette soirée volée. Un reportage vidéo ? Non mais qu’est-ce qui nous a pris en même temps ? Retour donc à la bonne vieille formule, retranscription de 150 millions de signes car, malgré tout, nous ne voulions pas en rester là. 

Dans les mois qui ont suivi, à force de croiser Tony Toxik pour des discussions interminables sur le rap, nous avons fini par ressortir l’enregistreur. Nous voulions revenir avec lui sur son épanouissement dans le rap français et sur sa fonction de couteau suisse au sein du groupe l’Uzine, devenu en près de dix ans l’un des fers de lance de la scène « old school » et indépendante française.

De ces échanges tenus entre décembre 2018 et février 2019, au moment de la sortie du troisième album solo de Tony, nous avons fait un article. Un document illustré par des témoignages sonores venus du temple et retraçant l’investissement toujours passionné, mais de plus en plus distant, de l’« artisan » de Montreuil dans un rap français qui ne lui a pas tout rendu. 

 

Le 14 août 2024 : A la demande de Tony Toxik et après une discussion avec lui qui nous a permis de comprendre et de respecter les raisons de cette demande, nous avons décidé de supprimer certains passages de cet article dans lesquels l’artisan ne se reconnaissait plus. Nous avons considéré que ces modifications ne nuisaient pas à l’article.

Au début de la chaîne

Les premiers pas dans le rap

 

Je suis né en 1988 aux Lilas et dans les premières années j’ai habité à Bagnolet avec mes parents. Quand on est partis à Montreuil, je devais avoir 8 ans. On habitait au quartier Jean Moulin.

Dans ces eaux-là, je me suis mis à écouter du rap, vers huit-dix ans. Mon frère me faisait écouter du NTM, « Touche d’Espoir » d’ Assassin, Lunatic, les mixtapes de Cut Killer et ça m’a choqué. Au début, je n’écoutais que du rap français alors qu’aujourd’hui j’écoute surtout du rap cainri depuis que Cenza, il y a une dizaine d’années, m’a passé une pochette remplie de skeuds classiques américains. Avec le temps j’écoute de moins en moins de rap français, le rap américain est quand même en avance.

C’est aussi par rapport à mon frère que j’ai commencé à faire du rap. Il avait écrit une chanson en colonie avec ses potes et la chantait à son retour, c’était pas du rap d’ailleurs. Ça m’a donné l’idée et l’envie de faire des morceaux. J’ai commencé très tôt, genre en 2000.

J’ai monté un groupe direct avec mon cousin Skalo, le groupe s’appelait Sauvageons. Mes premiers textes étaient sur la police et d’autres trucs, il devait y avoir une insulte par phrase. On avait un ampli karaoké avec les micros en plastique et le logiciel Ejay sur un PC tout pourri. Quel que soit la boucle que tu mettais, ça ressortait toujours accordé et ça donnait une instru. Le jour où j’ai réalisé qu’en plus, je pouvais sortir le son et le graver sur CD, j’ai pété un plomb (sourire). Donc on a fait deux albums qui sont introuvables aujourd’hui. Le premier à m’avoir acheté un CD c’est mon cousin Indalo.

Après Sauvageons, j’ai fait une mixtape, « Frappe 2 Style », pour laquelle j’ai appelé plein de potes, tous ceux qui commençaient  à rapper en fait. C’était vers 2004. On est partis enregistrer au studio TH6 à Romainville, on venait à quinze ou vingt là-dedans, c’était le gros bordel. On enregistrait tout à l’arrache, tout d’un coup comme si c’était un live, je ne savais pas trop comment on faisait des morceaux.

Il y avait le Café la Pêche aussi qui était un peu le rendez-vous du rap de Montreuil avec un studio de répétition où tu croisais tous les groupes du coin. On était une vingtaine par moment, ça bédavait, laisse tomber. Ça partait même en clash pendant les répètes des fois.

 


“J’étais déter. Je voulais être une star frère (sourire). J’étais toujours été le plus déterminé d’entre tous, je voulais vraiment réussir là-dedans”


 

C’étaient des ateliers. Moi je me souviens je voulais déjà tout péter, je cassais les couilles à Driss qui s’occupait des répétitions pour qu’il mette un enregistreur K7 pour enregistrer ma prestation. J’étais déter. Je voulais être une star frère (sourire). J’étais toujours été le plus déterminé d’entre tous, je voulais vraiment réussir là-dedans.  

C’est dans ce studio à la Pêche que j’ai rencontré Souffrance. Pour ce qui est des autres rappeurs de l’Uzine d’aujourd’hui, Cenza rappait déjà mais dans sa chambre, il l’avait dit à personne. Cenza je le connaissais déjà du collège et du quartier, il était de Jean Moulin comme moi alors que Souff venait de Ruffins. Il venait au studio, il regardait sans laisser de trace ce malin, on ne l’entendait pas. Un jour il s’est mis à rapper devant nous et il avait v’là le niveau en fait (sourire). Tonio, lui, était de Romanville, il avait un pote, Mirsa qui aimait bien faire des morceaux en clash à Romainville, il m’avait attaqué et j’avais répondu super énervé, j’avais insulté la cité où Tonio habitait tout ça. Donc on ne s’aimait pas avec Tonio, on se regardait de travers, c’était marrant. J’aimais pas sa tête de cul (sourire). Je n’ai plus tous ses sons aujourd’hui, mon disque dur de l’époque a cramé. Tonio a fait partie d’un groupe qui s’appelait Ghetto Capucher plus tard.

 

Tony et Tonio racontent leurs clashs de jeunesse et la réconciliation
Extrait du reportage qui sortira seulement s’ils publient les enregistrement de leurs clashs.

 

C’est aussi dans cette période que j’ai rencontré Sensar, avec qui j’ai formé Cortège. Je l’avais connu via Looniz, un pote qu’on avait en commun et qui faisait d’ailleurs partie du groupe au début. Cortège a été mon premier groupe sérieux on va dire.

Mes parents ont déménagé à Romainville quand j’avais 17-18 ans, dans un pavillon, genre un pavillon de gitan et devant il y avait une vieille petite baraque de 10m2, mon daron a réussi à la choper et me l’a mise à disposition pour faire du son. Il l’a fait parce que je lui cassais les couilles à mettre la musique à fond chez moi puis ça lui permettait de savoir où j’étais et d’éviter que je traîne je ne sais où. Il a eu raison, j’ai arrêté de traîner direct. Avec Cenza, Souffrance, Sensar, Looniz, on a construit le studio là-dedans, j’avais donc la chance d’avoir mon propre local.

C’est à peu près à cette époque, 2005-2006, qu’a débuté Cortège, avec Sensar et Looniz donc. On a fait une tape qui s’appelle « Le 20h ». On détournait le journal télévisé un peu, on a invité plein de potos de Montreuil. Ensuite on a fait un album qui s’appelait « Trop de choses à dire », qu’on a gravé à juste une vingtaine d’exemplaires, puis la mixtape « En attendant le street » sur laquelle apparaissaient les futurs membres de l’Uzine. La tape s’appelait comme ça parce qu’à la base, on devait faire un street album, « Funéraille ». Ce street n’est jamais sorti à cause d’un litige avec Looniz qui a retardé la sortie jusqu’à ce que le projet me paraisse claqué et que je décide de ne pas le sortir. Looniz était plus porté sur des instrus news, il était dans le turefu, il voulait faire des hits. Il avait un truc presque bling bling. C’est Côme, l’ingé son de Exepoq, le crew de Big Budha Cheez, qui nous avait fait les instrus. A l’époque il se faisait appeler Spootnik.

Finalement on a sorti quelques extraits de « Funéraille » où Looniz n’apparaissait pas, pour « Bons baisers de Russie » et sur « Cortège et les 93 voleurs ». C’est sur le premier qu’on sort notre feat avec Alkpote que j’avais contacté parce que mon frère l’écoutait. 

Juste après, on a commencé à travailler sur l’album de Cortège « 203 Airlines » sur une couleur plus old school, plus sombre qui nous correspondait plus à moi et Sensar. Je n’écoutais que du rap sombre, Arsenik, Lunatic, du son de New York.

C’est à ce moment-là qu’on se connecte avec Rockin Squat et qu’on fait le morceau avec Lino. Pour Lino je l’ai appelé, c’est un pote qui m’avait donné son contact, j’ai eu un coup de chance puisqu’il a répondu et qu’on s’est captés. On a enregistré dans un studio du Secteur Ä dans le 94, là où ils enregistraient Couvre Feu. On n’est pas restés en contact, il a vite zappé. Rockin Squat je l’avais contacté bien avant, sur myspace. J’étais jeune et culotté. A cette période on envoyait des messages à plein d’artistes pour les faire venir à notre atelier à La Pêche, toutes les semaines on faisait venir un artiste connu, on a eu des gens comme Seyfu, Mac Tyer. Notre atelier faisait leur première partie en fait.

Rockin Squat n’est jamais venu à la Pêche pour un concert mais avec lui c’est allé plus loin puisqu’on a fait un morceau. Au départ le titre s’appelait En marche vers l’Elysée je crois, puis on ne l’a pas sorti tout de suite. Au bout d’un ou deux ans on l’avait toujours et il fallait le sortir mais il me plaisait moins. Je l’ai modifié un peu, j’ai contacté Alissa Latymi qui a fait des voix dessus et finalement ça a donné le son Cours qui est sur « 203 Airlines ». Ensuite Squat a toujours repris contact. Au fur et à mesure c’est devenu un pote. J’ai fait régisseur pour lui ou pour d’autres dates qu’il organisait. Par exemple Le Nouveau Casino de Mac Tyer, peu de gens savent mais c’est Rockin Squat qui était derrière. Il est dans l’ombre de plein de trucs. On a fait d’autres sons avec lui, par exemple moi je suis sur l’Underground chapitre 6 et Cenza est présent sur le numéro 7.

Pour le côté plus classique, plus sombre, on a fait appel à Al Tarba pour produire« 203 Airlines », les instrus étaient de lui et moi. Je l’avais connu via Swift Guad que j’avais lui-même connu via mon pote Salgos. En fait Salgos et Swift Guad avaient fait un hymne à Montreuil, 93100 Montreuil, mortel le son, sur le premier album de Swift « Hecatombe ». Je l’avais même connu un peu avant au moment où il faisait sa mixtape, je l’avais appelé et on a fait un morceau avec lui pour « Funéraille » qui, finalement est sorti sur « Cortège et les 93 voleurs ». Il s’appelle Sommeil Profond.

Bref,finalement « 203 Airlines » est sorti en 2010 et a contribué à nous faire connaitre à Montreuil. C’était la même année que le premier album de Cenza qui a fait un peu de bruit aussi. Il fallait donc aller de l’avant, et savoir qui était vraiment chaud pour continuer.

 

Faire la première partie de NTM à Bercy…

…et se faire jeter comme des malpropres par Sébastien Farran.

 

Même si on ne se voit plus aujourd’hui, pendant un moment on se captait régulièrement avec Swift. Et en réalité, le meilleur souvenir de mon parcours c’est avec lui que je l’ai vécu. C’était en 2008, donc en gros dans la période où on bossait sur « 203 Airlines ». Il avait gagné un concours SFR pour jouer en première partie de NTM à Bercy. Pour sa prestation, il avait décidé d’inviter tous les mecs présents sur le morceau 93100 Montreuil dont Salgos. Le problème c’est que Salgos était introuvable trois jours avant le concert. Swift a appelé plein de monde pour pouvoir le retrouver, dont moi. J’ai cherché de mon côté en appelant d’autres gars et il avait vraiment disparu. Je ne me souviens plus où il était finalement, peut-être en garde à vue. Finalement Swift Guad me dit « putain il me reste une place et il est pas là » et moi je lui dis « mais moi je suis là gros (rire) ». Il me répond « ah ouais sérieux ? T’es chaud ? Ben viens tout de suite, on est en répet, Joey Star et Kool Shen arrivent. J’ai débarqué direct. Kool Shen a assisté à toute la répétition, un super gars, Joey Star est rentré, a dit bonjour et s’est barré, en mode rien à foutre.

Le soir du concert, il y avait Eklips qui vivait à Montreuil. Je savais qu’il faisait l’entracte du concert donc je l’ai appelé. Il était dans la loge avec tout le monde pendant que nous on était dans la loge SFR sans personne, c’était nul. Il me dit « je suis à Bercy, viens voir le concert » et je lui réponds que je suis dans la loge juste à côté, il sort dans le couloir « ouah truc de ouf poto ». Donc il nous a fait rentrer dans la loge commune avec Kook Shen, Lord Kossity, Jeff le Nerf, Busta Flex etc…Il manquait que Joey Star qui était tout seul dans une petite loge derrière.

Le show était mortel. On devrait faire à la base quinze minutes juste avant l’autre première partie qui était Seyfu. On a fait un morceau et on nous a fait signe de descendre parce que le show avait pris du retard. On est restés. Je crois même qu’on a fait 20 minutes. Moi je backais Swift Guad et je posais un couplet sur le fameux 93100 Montreuil à la place de Salgos. On descend de scène, le tourneur nous a pourris comme jamais « wow vous vous rendez pas compte machin », nous on s’en battait les couilles, on est partis chercher nos teilles pour les boire en loge. Entre temps d’ailleurs, en descendant de scène, on a croisé RR, le backeur de Seyfu qu’on avait rencontré à Montreuil quelques mois avant pour leur concert à la Pêche. Il était aussi surpris de me voir qu’Eklips.

 


Première partie de NTM de Swift Guad accompagné sur scène par Tony Toxik, Elman et Penchak en vidéo ici.


 

A ce moment-là on sentait que tout le monde nous en voulait. J’ai quand même eu le temps de passer dans le carré VIP pour voir la prestation de Seyfu. Il y avait du beau monde, genre Ramzy. Il y avait Joey Starr posé là dans la fosse VIP en train de boire sa bouteille. J’ai voulu aller le checker mais son service de sécurité m’a recalé. J’avais pas capté sur le coup mais il avait cinq mecs de la sécu autour de lui, impossible de l’approcher. Je leur dis « ouais tranquille, je fais partie du staff », il me répondent qu’ils n’en ont rien à foutre. Ca m’a confirmé que lui et Kool Shen n’étaient vraiment pas les mêmes. Kool Shen était là avec tout le monde, il faisait tourner des spliffs…

 


« La sécu est venue nous chercher en loge à six mecs en nous disant “vous savez pourquoi on vous vire”, “sur ordre de Sébastien Farran vous devez quitter les lieux” »


 

Finalement, comme on était recherchés à ce moment-là, au bout d’un moment, on s’est fait virer par Sébastien Farran (manager de NTM à l’époque, ndlr). La sécu est venue nous chercher en loge à six mecs en nous disant « vous savez pourquoi on vous vire », « sur ordre de Sébastien Farran vous devez quitter les lieux ». Ca m’a fait un peu chier parce qu’au moment où ils nous ont virés j’allais carotter deux pulls NTM qui traînaient dans des cartons en loge (sourire). Ils étaient super énervés, on leur aurait fait perdre 30 à 40000 euros selon eux. Sur le coup ça nous a surpris mais avec le recul c’est possible, quand tu dépasses le temps prévu tu dois payer le staff plus longtemps et à Bercy t’as énormément d’employés. Mais bon pour les millions que ça engendre.

Comme Sébastien Farran est un gros fils de pute, ces bâtards nous ont fait traverser toute la fosse pour sortir. On descendait à peine de scène et on est passés au milieu de milliers de personnes dont certaines nous reconnaissaient. On passe la sortie et bam, ils ont fermé les portes. On était dehors comme des cons. Là j’ai pété un plomb. Je disais à Swift Guad d’appeler la meuf de SFR. Au début il voulait pas parce que c’est un gentil garçon mais j’ai insisté. Il a fini par l’appeler, elle est ressortie avec des bracelets. On a pu voir le concert mais on n’avait plus l’accès loge.

Le pire dans l’histoire c’est que j’avais déjà acheté mes billets des mois avant pour le concert du lendemain. J’y suis allé avec un pote comme ça je pouvais me la péter, « guette, j’étais là moi hier ».

Finalement, pour la petite histoire, Salgos ne m’en a jamais voulu, en même temps j’y étais pour rien. Il en a plus voulu à Swift Guad en fait et les membres de son groupe l’Skorte étaient encore plus verts que lui. Mais franchement tout le monde l’avait vraiment cherché partout.

 

Les ressources humaines

Constitution de l’équipe dans un Paris en émulation

 

Après la petite notoriété de « 203 Airlines », on voulait avancer. A ce moment-là l’atelier d’écriture on avait déjà pris le blaze de l’Uzine, il fallait qu’il ait un nom parce qu’il y avait plein de projets, projets qu’on a jamais faits d’ailleurs (sourire). A la base, le nom l’Uzine vient de Cenza et Souffrance qui traînaient devant une usine. Via cet endroit Souff avait déjà un groupe avec un de ses potes qui s’appelait l’Uzine et finalement on a décidé de garder ce nom qu’on trouvait mortel. J’ai appris en même temps que toi quand il t’a raconté la raison du nom. 

Le Z , c’était mon cousin Indalo, plus tard, qui nous a dit de le mettre en avant. C’était lors de notre première radio à Vallée FM qu’il nous sortait « ouais faut dire l’Uzine avec Z » pour que les gens captent comment ça s’écrit. Et c’est devenu un slogan. 

 

 

Souffrance explique pourquoi le nom de l’Uzine.
Extrait du reportage qui sortira quand Souff publiera enfin un album pour ses customers.

 

On était tellement nombreux dans l’atelier qu’on n’était pas tous proches et j’ai eu l’idée de réunir les gens que je côtoyais via Romainville et via les ateliers de Montreuil. On a commencé le groupe vers 2010. 

Pour la constitution du groupe, j’ai attendu un an avant de vraiment arrêter une équipe. Prince Waly faisait presque partie de l’Uzine. Il se faisait appeler Balaboul à l’époque. Il avait posé sur « Bon baiser de Russie », on avait un morceau avec tout son groupe, Big Budha Cheez qui s’appelait  J’en perds le sourire, leur groupe s’appelait Recto Verso d’ailleurs à cette période. Waly venait de commencer, il est plus jeune, il venait de temps en temps, au début je ne savais même pas qu’il rappait. Il avait déjà son groupe mais je voulais qu’il vienne aussi dans l’Uzine. Il m’avait dit oui mais ça s’est avéré compliqué par rapport à son équipe et ça lui faisait beaucoup plus de taf. 

Finalement on a fait un premier freestyle pour lancer les choses. Ont posé Sensar, B.kash, Cenza, Tonio le Vakeso, Souffrance, Biyiway et moi. 

Prince Waly n’est pas sur le freestyle. Il apparaîtra plus tard sur un morceau sur notre premier album « Goutte d’encre », le titre Dream Team. Sur ce titre il y a vraiment toute l’Uzine au sens large de l’époque. Par la suite on a fait plusieurs collaborations avec lui.

Sensar a arrêté le rap peu de temps après finalement, il en avait toujours eu un peu rien à foutre. Par contre il écrivait beaucoup, il voulait juste enregistrer. Il était trop fort. Franchement à cette période il était le plus fort d’entre nous. Souff s’est retiré aussi à ce moment-là. Il a fait ses choix, il a préféré faire de l’argent. Il a arrêté presque dix piges avant de revenir récemment.

Au bout d’un moment j’ai pris les plus déterminés : B.kash, Biyiway, Cenza, Tonio et moi. Biyiway était moins présent parce que c’était aussi un branleur (sourire). Il a été quelque temps notre manager plus tard.

C’était une période où il y avait une petite émulation à Paris, une nouvelle génération de kicker qui poussait, on pourrait dire aussi une génération de rap indé. D’ailleurs c’est marrant parce qu’au départ on était surtout écoutés par des darons, des anciens et c’est au moment de cette vague que des plus jeunes ont commencé à nous écouter.

Le freestyle avec Guizmo et Deen Burbigo ?  On se croisait de temps en temps dans des concerts, dans des soirées parce qu’en fait à cette époque on allait un peu partout. Il y avait la miroiterie par exemple, avec les soirées Réflexions Capitales organisées par Nasme et Stelio, où on allait souvent. En fait c’est un pote à nous, Denzel , qui nous poussait à sortir pour se montrer un peu parce qu’on restait tout le temps dans notre studio sinon. Pour ce freestyle, on était chez Inch et comme tout le rap français passe chez lui, un jour on était là tous ensemble et on a tous enregistré vite fait.

Il y en a beaucoup qui sont bien montés parmi tous les gens qu’on croisait. Nekfeu, je me souviens qu’on faisait un concert dans une cave à Bastille avec lui et 1995. Tous ces gens ont percé mais pas nous (sourire). Tous ces gens-là ont fait les Rap Contenders et c’est ce qui a lancé leur carrière. Nous on voulait envoyer Cenza. Il n’a pas voulu notamment à cause du fait que ça insulte les daronnes et tout ça. C’était compliqué pour nous cet aspect-là. Moi non plus, je voulais pas y aller, me faire torpiller par un bobo du 15ème ça m’aurait énervé (sourire). Puis on ne se mélangeait pas trop et Cenza était le pire, il a encore plus la mentalité de la secte.

 

Les produits finis : trois disques en deux albums…

Technique de production, représentation et partenariats

 

« La Goutte d’encre » est sorti en 2011, dans cette période-là. Il n’est pas sorti en physique, c’était un album gratuit. On l’a fait en quatre mois. Tous les jours on était au studio et on faisait un morceau, genre le lundi on maquettait un titre, le mardi on enregistrait et ainsi de suite. C’est le disque sur lequelle on a pris nos marques, c’était encore les débuts, on se découvrait. On l’a sorti sans prétention, on voulait faire un CD tous ensemble. Sur ce projet, tout le monde apparaît quasiment mais le noyau dur c’est Cenza, Tonio, B.kash et moi. Biyiway et Souff apparaissent sur un ou deux son. Il y a même Sensar sur cet album pour un track avec Souff. Je l’ai appelé L’improbable, parce que Sensar avait enregistré son couplet deux ans avant sur l’instru de Pucc Fuction d’Oxmo et Booba et comme Sensar c’est une galère pour l’avoir avec nous, j’ai gardé son couplet, j’ai refait une prod dessus et Souffrance a posé son couplet deux ans après.

Le clip du morceau Air Max extrait de cet album a été important pour nous. Il a bien tourné. C’est juste la chaussure qui fait que ça a marché. C’était une idée de Tonio ce thème. Rim-K aussi a tout niqué avec son clip Air Max. On a fait un clip un peu marrant avec de flics véreux etc…Enfin à la base c’était pas censé être un truc marrant (sourire). C’est Cenza et moi qui avons écrit le scénario. Notre tout premier clip c’était La Goutte d’encre mais je préfère mille fois celui d’Air Max.

C’est sur cet album aussi que Kertra d’Expression Direkt m’a écrit sur Facebook pour me dire qu’on lui rappelait eux dans leur jeunesse. On les a recroisés à la Miroiterie genre deux ans après et on les a invités sur « A la chaîne » avec le morceau T’es pas couvert.

ils sont venus une dizaine de fois au stud depuis qu’on les connait. Ils avaient du mal à finir leur album « Dernier Braquo » qui avait été annoncé en 2012 pour finalement ne jamais sortir. Ils font d’autres trucs aujourd’hui, c’est des darons et ils s’en battent un peu les couilles. J’ai écouté l’album et je trouvais ça con parce qu’il y a des gros feats dessus. Je leur ai proposé de le mixer. Je l’ai fait avec plaisir mais je ne peux rien faire de plus. C’est des potos, on a une relation amicale. Après ils font ce qu’ils veulent. Je vais pas aller sonner chez eux pour qu’ils sortent l’album, ils vont me gifler (rire). C’est dommage, moi j’étais à fond dedans. Je ne peux pas leur en vouloir, ils ont décidé d’arrêter, Weedy m’a dit que lui ne rapperait plus.


« On était des puristes même des racistes du nouveau son, on voulait faire du old school,
c’était fuck la mode » 


 

Ce deuxième album « A la chaîne », c’est un double album, il y a à boire et à manger, c’est très hétérogène. Par contre pour celui-là, on est devenus plus pro au niveau de la promo, de la manière de faire du bruit.

Je me souviens que pour cet album, j’étais au studio de Rockin Squat pour lui faire écouter et son ingé son s’est retourné pour me dire « même le mix sonne 90 ! » Ca m’a fait plaisir parce que c’est ce qu’on cherchait. J’ai des plugin qui permettent d’avoir ce son. Dans Pro Tools, il y a des simulateurs de vieilles machines et j’essaie de « crassifier » le son. Pour le morceau Rassemblement, j’ai même mis la carte son à fond et on l’a enregistré en saturant exprès, tout le titre sature. A l’époque on avait vraiment cette volonté de paraître à l’ancienne, c’était aussi la mouvance du début des années 2010.

On était des puristes même des racistes du nouveau son, on voulait faire du old school, c’était « fuck la mode ». J’étais un vieux puriste tout pourri du rap new-yorkais. Après on a évolué, au fur et à mesure des années j’ai appris à m’ouvrir. Avant je pensais que le rap c’était mieux avant, c’est encore ce que je pense aujourd’hui en termes de sonorités mais en vrai le rap c’est mieux aujourd’hui. C’est démocratisé, il y a plus d’argent, c’est plus ouvert. Ca donne des bacs où il y a de tout par contre, des truc biens mais aussi des trucs qui n’ont rien à voir avec du rap. Soolking, par exemple, on n’en pense ce qu’on veut mais pour moi ce n’est pas du rap. Il faudrait faire un bac « variété urbaine » pour ces gens-là.

L’Uzine a ce côté rap conscient parce qu’on cherche à dire des choses mais on n’est pas des militants. On n’est pas anticapitalistes, moi j’aime l’argent. Si on devait se résumer, on peut dire qu’on est un groupe de scène avant tout, on pense à ça quand on fait des morceaux. On a grandi sur scène, depuis qu’on est tout petit grâce au café La Pêche. Certains nous ont même mis une étiquette Wu-tang de la scène française mais moi je trouve que Wu-Tang sur scène c’est dégueu, ils ne font même pas de répétitions, ça se voit. Je préfère quand on nous dit qu’on a l’énergie de NTM.

Pour te dire à quel point la scène c’est important pour nous, pour la sortie d’« A la chaîne » on a fait Le Nouveau Casino direct. Rockin Squat jouait dans cette salle, j’étais là avec lui dans les loges et je lui ai dit « ouais moi je veux faire le Nouveau Casino ». Il me demande « mais tu le remplis ? » Et je lui ai dit « non mais je veux le faire ». J’étais déter donc on a investi, on a fait en sorte de remplir.

On a pensé le truc pour faire un gros concert. C’est pour cette occasion qu’on a commencé à bosser avec Dj Keshkoon même si on le côtoyait déjà un peu avant. On l’avait rencontré à La Pêche et notre vraie première date avec lui c’était à La Pêche d’ailleurs. Il est devenu en quelque sorte notre dj officiel jusqu’à récemment. 

Pour Le Nouveau Casino on a invité Ritzo, Nodja et Davodka. Ritzo c’est Cenza qui l’avait découvert sur internet, ils ont discuté et un jour il est venu sur Paris. Quant à Nodja il est au même statut pour moi que Mezy et M.Seaz qui ont posé sur mon album « 88 ». C’est un peu comme Sunz of man pour le Wu-Tang, ils gravitent autour de nous. Nodja est en solo parce qu’il n’a jamais voulu être en groupe, il est de Perpignan, il traînait un peu avec Nemir et son équipe…En vrai je ne sais même pas pourquoi il est jamais rentré dans l’Uzine. Il était là à tous nos concerts.

Pour Davodka, MSB, notre beatmaker bossait aussi avec lui. Je ne le connaissais pas du tout mais Cenza le connaissait parce qu’il écoutait son groupe MSD, Mentalité Sons Dangereux. Il venait vers moi « ouais il y a un groupe qui fait penser à nous, il y a un mec dedans qui déchire tout, il s’appelle Davodka ». C’est MSB qui nous a proposé de l’inviter au Nouveau Casino.  On a fait le clip tous ensemble pour promouvoir le concert, c’est MSB qui avait eu cette idée aussi. C’était une putain de bonne idée. D’ailleurs c’est notre premier morceau avec Davodka.

On a fait carton plein. C’est clair que Davodka nous a aidés à remplir mais il n’avait pas encore la notoriété d’aujourd’hui. J’ai reçu des messages « ouais on a découvert Davodka grâce à l’Uzine » et vice versa. C’était une réussite en tout cas. On a fait le concert une semaine avant la sortie et ceux qui venaient avaient l’album offert, c’était aussi un coup de promo. Squat nous avait prévenus que c’était pas une salle pour faire du biff mais pour faire de la pub. Et complètement, quand t’arrives sur ton CV avec Le Nouveau Casino ça en impose. Ca nous a fait une vraie pub, j’ai eu l’impression que tout le rap français nous téléphonait après ce concert. Et pour conclure la tournée sur « A la chaîne », on a fait La Maroquinerie en 2015, date sur laquelle, cette fois, on offrait avec la place notre mixtape « Made In Z » qui contenait des sons jamais sortis.

Le concert au Nouveau Casino, c’était donc aussi le début d’une série de collaborations avec Davodka. Le morceau Mise à Fow qu’il a fait avec Cenza ? Oui c’est beaucoup plus tard mais c’est un son qui a beaucoup marqué les gens. Il était sur l’album « Mise au poing » de Davodka . La prod de Mise à flow, ça faisait un moment que je l’avais faite sans que personne ne la kicke dans l’Uzine, moi je voulais le faire depuis longtemps. Je voyais bien Davodka poser dessus, je lui avais envoyé dans l’optique qu’on fasse un feat. Il est venu en studio avec un couplet écrit. Il doutait de lui, il pensait que ça allait être trop rapide, que les gens n’allaient pas comprendre donc je l’ai poussé à essayer pour voir. Il a posé et avec Cenza on était choqués, on lui a dit « mais t’es un ouf c’est de la bombe atomique ». Il ne s’est pas rendu compte de la portée du truc sur le coup.

Comme Cenza est performeur, je lui ai dit de poser sur le morceau parce que moi franchement je n’avais pas le niveau pour rapper fast flow comme ça, c’est pas du tout mon terrain. Cenza a posé son couplet…Bon il l’a posé neuf mois après parce que Cenza c’est une galère (sourire) ! En plus c’était au moment où il était en train de finir son album « Prophéties d’une plume ».

Puisque tu me poses la question, au niveau du flow je pense préférer Cenza sur le son parce qu’il a fait plus de variantes mais pour ce qui est de la rapidité Davodka l’emporte, il l’a bouffé.

C’est clair que c’est un des morceaux, voire le morceau qui a fait un peu connaître Davodka du grand public. Il est quand même parti le rapper seul sur NRJ etc…C’est le jeu aussi, il a fait une performance de ouf sur le titre. 

 

 

Mais en effet, comme tu le disais, ce morceau reflète peut-être bien mon rôle de l’ombre parfois au sein de l’Uzine. J’étais obligé, tout est tombé par hasard. On n’avait pas d’argent pour enregistrer donc on a appris nous-même. Pour les clips, pareil. J’ai bossé un peu dans le milieu du spectacle aussi et ça m’a grave appris.

Ce n’est pas moi qui m’occupe de tout. Pour la direction artistique, Cenza fait chier, il ne lâche rien (sourire). Il est beaucoup derrière lui aussi. C’est souvent lui qui ramène les thèmes, qui ramène les refrains dans le groupe. Tonio trouve pas mal de thèmes aussi contrairement à ce qu’on pourrait croire. Mange tes morts et Air Max sont ses idées. Pour Mange tes morts à la base il est venu en studio il a dit « venez on fait un morceau qui s’appelle race de morts » et c’est Cenza qui a dit « non manges tes morts c’est mieux ». C’est devenu le gros « tube » de l’Uzine. C’est une de mes instrus préférées d’ailleurs, c’est mon style les grosses basses comme ça.

Pour la conception des albums, le choix et l’ordre des titres c’est surtout moi et Cenza, pour l’aspect technique, mix, mastering c’est surtout moi qui gère.

Pour « La Goutte d’encre », on était tous en studio, on écoutait les prods à MSB, on choisissait au fur et à mesure, chacun balançait un thème et on prenait le meilleur. Mais en dehors de cet album, on a tous les prods chez nous, chacun vient avec des bouts de morceau, on ajoute les couplets, un refrain au fur et à mesure. On écrit sur les prods en général.

 

De haut en bas et de gauche à droite : Tony Toxik, Dooky (Big Budha Cheez), Souffrance, Tonio (dans le cube), Cenza.  Alexandre Zimmermann

On ne veut pas tous clipper les mêmes sons. Choisir de clipper un son, ça dépend des idées de scénario autour du morceau, on voit s’il y a un truc à faire. Par exemple Mange tes morts, Cenza voulait à tout prix le mettre en image. Moi je ne voulais pas forcément qu’on fasse Rassemblement. J’avais dit à Cenza qu’on clippait tout ce qu’il voulait mais aussi ce que je voulais et on n’a rien fait de que je voulais à part Air Max. Je voulais qu’on réalise un truc sur le A la base moi, je pense qu’il y avait un vrai potentiel mais, avec le recul, peut-être que Cenza avait raison, le son n’est pas si ouf que ça. C’est un morceau avec Lexworxx comme on en a d’autres, c’était le troisième membre de Big Budha Cheez avec Waly et Fiasco. Il a vraiment une voix de dingue.

Pour tout te dire moi ça me pète les couilles donc je n’ai pas les meilleurs idées. Pour moi les clips, c’est la tête devant la camera, Cenza lui est plus partisan des vrais scénarios du genre Pression. Ceci-dit ça m’arrive aussi d’avoir des idées, par exemple L’inconnu de Cenza, ça venait de moi. Lui voulait faire le clip de Manuscrit mais c’était trop compliqué, je lui ai dit non direct. Je pensais même que le morceau n’allait pas marcher mais lui a su tout de suite qu’il marcherait et, une fois de plus, ne s’est pas trompé. Quoi qu’il en soit, un clip aurait été compliqué à faire.

 

Cenza nous donnait sa version des faits sur Manuscrit en décembre 2017 et nous parle de son projet de clip qui, finalement, n’est jamais sorti.
Extrait du reportage qui sortira en même temps que le clip de Manuscrit.

 

L’Uzine et Montreuil, loin du succès

 


« Dans les chroniques où ça parle de Montreuil, ils ne nous appellent jamais, ils ne parlent pas de nous. »


 

C’est une ville qui a bien changé ces dernières années. A l’époque, t’allais à la mairie de Montreuil, t’avais une espèce de centre commercial qui s’appelait Atac, laisse tomber c’était le ghetto. Les mentalités ont changé aussi, les jeunes dans le quartier ils ont tous les cheveux longs, ils bicravent tous de la coke. A Montreuil, il y a toujours eu le côté artiste, vers le quartier Robespierre, petits on voyait des mecs déguisés en clown, des peintres, des mecs chelou avec des cheveux verts. Il y avait aussi les murs à pêches.

Tous les parisiens veulent venir vivre ici maintenant. T’as aussi ceux qui viennent pour faire la fête à Croix de Chavaux. Il y a un bar qui s’appelle Le Chinois, c’est tout le temps blindé. On a déjà joué là-bas d’ailleurs. Avant les parisiens venaient pas pour ça, ils venaient pour acheter du shit, c’est tout (sourire). Les tarots ont grimpé là-bas, même moi je peux plus y vivre, je suis parti vivre à Paris (sourire).

Je ne sais pas pourquoi on n’est pas médiatisés par rapport à certains autres rappeurs dans la ville. Il n’y a pas grand monde de médiatisé à Montreuil de toute façon. Mais c’est vrai que dans les chroniques où ça parle de Montreuil, ils ne nous appellent jamais, ils ne parlent pas de nous. Le seul qui nous a appelés c’est un poto qui s’appelle Aladine qui a fait un reportage sur le rap de la ville sur Bet TV, à part ça on a parfois l’impression d’être inexistant (cette partie de la discussion a été réalisée avant la sortie de l’album de Cenza qui a eu quand même quelques articles dans la presse rap, ndlr).

A l’époque, il y avait un style dans la ville, les rimes se faisaient en allitérations contrairement à des coins comme l’Essonne où c’était plus en assonance, genre Alkpote. A Montreuil, on faisait rimer les consonnes et on travaillait beaucoup là-dessus. T’avais des groupes comme Theoreme, la Légion, Sanktu’r, l’Skorte, 93 Lyrics, Kronik, beaucoup de groupes avec énormément de talent, c’était technique. Mais le problème de Montreuil, c’est que les mecs n’en avaient rien à foutre, ils faisaient ça pour kiffer, le rap n’était pas leur vie. Dés qu’ils ont eu des meilleures opportunités ils ont lâché l’affaire. Par contre certains groupes s’organisent aujourd’hui même ils sont peu nombreux et encore loin du succès : Prince Waly, Triplego et Swift Guad bien que Swift soit sans doute un peu essoufflé aujourd’hui. 

Prince Waly va devenir une star et ça fait longtemps qu’on le sait. Même Sensar le disait en 2009 « c’est qui qui va tout niquer, c’est mon poto Balaboul ». Il est bien entouré, il a une bonne équipe, une bonne tête, il présente bien, il s’habille bien. Il est dans un délire beaucoup plus actuel que Cenza par exemple. Même si Cenza peut faire un morceau trap et plier le truc, Waly est plus actuel même dans ce qui l’entoure via son équipe, ses thèmes, son public, c’est pas pareil.

 

 

Tony et son public : l’amour vache

 Un gouffre entre « Familia » et « Infini »

 

C’était prévu qu’on parte en solo. Les projets solos ne sont pas plus importants que les projets de l’Uzine mais disons que ce n’est pas le même travail. Pour les projets en solo ça avance beaucoup plus vite. Après je n’ai jamais été seul pour les solos. « Familia », je l’ai beaucoup bossé avec MSB. Il était là pour tous l’album. Puis quand on bosse sur un album solo, tous les membres de l’Uzine l’écoutent et font des retours. On n’hésite pas à se dire « ouais ce morceau pue la merde ». J’ai des sons qui ont sauté comme ça sur mes albums.

Sur « Familia » il y avait trois ou quatre morceaux qui dataient d’avant mais j’ai tout remis à jour. En fait j’ai tout refait en un an. J’ai beaucoup bossé dessus. C’était un projet important pour moi. Même pour la pochette et le livret je m’étais galéré à retrouver des tas de photos de famille. Il y a ma grand-mère de huit ans, plein de photos du côté espagnol et du côté italien. Je m’étais déchiré, j’étais parti chez ma grand-mère, chez ma tante…

 

 

 

 

Sur « Familia » il y avait plus de samples. Je l’ai mixé en mode à l’ancienne aussi comme pour les projets de l’Uzine. J’ai mis quatre ans à faire cet album et j’ai bossé intensément dessus pendant un an, période durant laquelle j’ai dû virer dix morceaux que j’avais en trop d’ailleurs.

Ce qui est vrai c’est que la plus grosse communication qu’on a faite jusqu’à aujourd’hui c’est pour « Familia », c’est au moment où Biyiway nous a managés un peu. Il a chopé un attaché de presse. Bon par contre l’attaché de presse en question était un peu fatigué, le seul plan qu’il nous a trouvé c’était Génération. Ca coûte super cher un attaché de presse. Un plan promo aussi. Une page de pub sur Génération c’est 2000 euros pour qu’ils te passent deux ou quatre fois, c’est hors de prix. On a fait Génération, et d’autres trucs en plus par rapport à d’habitude. D’ailleurs sur Génération on avait un freestyle et une interview avec Baloo. Ils ont tout cuté à l’antenne pour finalement laisser la question la plus pétée du truc du genre « si vous êtes sur scène et que vous voyez une meuf qui suce un mec », alors qu’on avait parlé de nous pendant longtemps. Par contre ils ont laissé le freestyle tel quel et c’était ça le plus important pour nous. Finalement cet album a moins bien marché que l’album de Cenza pour lequel il n’y avait pas eu la même promo donc ça ne veut rien dire.

Mon public a kiffé « Familia » mais je les ai presque tous perdus pour « Infini » (rire). Certains ont kiffé mais il sont deux (rire). En tout cas moi c’est le projet que j’ai le plus kiffé faire. C’est à cause de Beubtwo ça, un beatmaker de Montreuil, c’est à cause de lui que j’ai fait « Infini » (sourire). Il m’a envoyé deux, trois prods trap, j’ai fait un morceau, je l’ai envoyé à mes potes et ils rigolaient. Il n’est même pas dans l’album. J’avais déjà changé un peu de mentalité à ce moment, j’étais un peu plus ouvert niveau son. C’est mes frères qui m’ont fait découvrir la trap, de la bonne trap. Moi j’écoutais Kaaris vite fait et je détestais, dés qu’il y avait un charley un peu rapide, c’était lent, je zappais direct. J’étais un puriste de merde comme je l’ai déjà dit. En France le projet qui m’a fait aimer la trap c’est Rim-K, le premier dans ce style qu’il a fait, « Monster » je crois. En fait c’est la basse que j’aime dans la trap.

Au final, j’ai fait deux ou trois morceaux mais je ne comptais même pas les sortir parce que je savais que mon public allait mal le prendre. D’ailleurs, c’est pour ça que j’ai fait le titre Puristes. Ce n’est pas une réponse ce titre, il était prévu à l’avance en sachant que j’allais susciter ce type de réaction. Les commentaires que tu vois dans le clip de Puristes sont ceux du clip d’ Achète le CD qui était un vrai troll. Attention par contre ce n’est pas un projet « troll », il y a des morceaux comme ça mais il y en a aussi des sincères.


« C’est un public de fermés. Je sais exactement dans quel état d’esprit ils sont parce que j’étais comme eux »


 

La conception de l’album « Infini » n’a rien à voir avec « Familia » pour lequel il a y a eu un vrai travail sérieux à refaire des phases et des couplets. « Infini » c’était une récréation. Tu branches l’autotune, tu chantes là-dedans c’est un délire. C’était beaucoup plus facile à faire que mes autres albums. Je l’ai fait en 4 mois. Mais justement, je l’ai peut-être trop bâclé, je l’ai fait trop vite, je réécoute des sons et je me dis que j’aurais pu faire mieux. Il y a quelques morceaux que je kiffe vraiment, par exemple celui avec Souff, je trouve qu’il tue. En général j’aime bien les feats de l’album et c’étaient des délires de faire ça avec eux. Je les ai ramenés sur ce délire, même Davodka a dit oui alors que c’était pas son truc. Juste avant il avait fait un truc un peu trap avec LaCraps. Après je pense qu’il est venu poser parce que c’est un poto, et l’instru de ce morceau est quand même mortel.

J’ai fait ça pour m’amuser, vraiment, mais les gens l’ont très très mal pris, on dirait que j’ai violé leur sœur quand je vois leurs réactions. C’est un public de fermés. Je sais exactement dans quel état d’esprit ils sont parce que j’étais comme eux en fait. On m’a même dit de faire attention, que j’allais sur un terrain glissant. Mais moi je m’en fous.  Moi il est hors de question que je m’enferme dans un style ou un autre pour mon public, je l’emmerde. A partir du moment où je kiffe faire quelque chose, je pense que c’est sincère. Je l’ai fait avec le cœur et l’album, j’ai kiffé le faire.

J’avais vraiment le seum au début quand je voyais les commentaires sur les morceaux, même si je le savais à l’avance. De base je suis grave un haineux et je répondais à tout le monde, je rentrais dans des débats etc..Je faisais ce qu’il ne fallait pas faire. Au bout d’un moment c’est ma meuf qui m’a dit « ça ne sert à rien de leur répondre, plus tu vas leur répondre plus ça va partir ». Elle avait raison. En fait c’est grâce à ce projet que j’ai capté plein de trucs et qu’aujourd’hui j’ai grave pris du recul par rapport aux réseaux, je m’en fous maintenant.

Ok nous on se décrit comme un groupe à l’ancienne donc je savais très bien qu’en faisant ça ça allait partir en couille. Les gens m’en veulent encore aujourd’hui, je me prends des com « oui t’as foiré avec « Infini » mais tu reviens bien avec « 88 » ».

Si j’avais un million de vues peut-être que j’aurais direct continué la trap, je ne vais pas te mentir (sourire). D’ailleurs c’est possible que je m’y remette même si ce n’est pas prévu pour le moment. Quoiqu’il en soit l’album « 88 » était déjà prévu, quand j’ai fait « infini » il était déjà dans ma tête. 

 

Pour ce qui est des réseaux sociaux, je m’étais déjà rendu compte de leur portée quand j’avais mis un truc sur le TSR Crew au moment de la sortie leur dernier album. J’avais écouté l’album parce que même si je n’écoute pas trop de rap français je suis grave curieux. Il s’avère que je n’ai pas aimé alors que le public kiffait grave. Et à cette époque-là, j’avais créé un hastag troll sur les réseaux #CaPueSaTante, je trollais avec ça, je trollais même les gars de mon équipe avec ça. Un jour j’ai mis « l’album de TSR #çapuesatante ». Et là laisse tomber. Ils m’ont tous attaqué comme si j’avais insulté Jésus. En vrai on a pas mal de public commun. Il y a des gars qui m’ont appelé pour me demander ce qui se passait, genre un mec que je connaissais bien, qui connaissait Hugo TSR, et qui pensait que j’avais un problème avec TSR Crew. Ils ont pris ça pour un clash et j’ai du calmer l’affaire pour dire que rien du tout. Je sais que même Hugo de TSR Crew a dit à des gens « non mais moi je n’ai rien contre l’Uzine, je ne comprends pas ». D’ailleurs le pote en commun m’a dit « non mais gros tu ne te rends pas compte de la puissance des réseaux quand t’écris un truc ».

Pour te dire, même le jour d’avant, j’avais mis « l’Uzine #CaPueSaTante ». C’était vraiment un troll mais rien de méchant. J’estime que le rap c’est un truc de la rue, dans la rue on ne se caresse pas forcément dans le sens du poil. Même dans l’Uzine, entre nous on est grave violents. C’est souvent arrivé qu’on se dise entre nous qu’on n’aime pas les couplets des autres, de manière violente. J’ai déjà dit à Cenza, « mais ton morceau c’est une chiasse ». Par exemple pour Petit Joueur, je lui ai dit que je n’aimais pas alors que c’était ma prod en plus, mais il l’a sorti comme ça et c’est cool si lui l’aime, on ne peut pas être tous d’accord tout le temps. Ca nous arrive aussi d’enlever des titres suite aux remarque des autres. Dans « Familia », j’en ai enlevé, dans « Infini » j’en ai enlevé aucun (rire) pourtant ils m’ont dit que c’était de la merde ! Par contre Cenza il rigolait beaucoup quand je faisais le truc et il m’a dit qu’après la sortie « ouais en vrai c’est de la caille un peu » (sourire). Je lui ai dit qu’il aurait peut-être pu me le dire avant. Par exemple lui il a co-écrit T’as pas tiré qui est quand même le pire morceau d’« Infini » (sourire). On était fonce-dé au studio et on l’a écrit à deux. C’est mon premier son autotuné. Mais bon, on a grave rigolé en le faisant.

 

Les membres de L’Uzine expliquent la manière dont ils se critiquent.
Extrait du reportage video qui sortira si au moins 50 auditeurs de l’Uzine nous envoient des messages de menace pour qu’on le sorte (les messages les plus trashs seront ajoutés à l’article)

 

Crise de la trentaine

L’album « 88 »

 

 « 88 » c’est mon année de naissance et la huitième lettre de l’alphabet c’est H, donc ça fait HH comme hip hop et pas pour Heil Hitler. Il y a des cons qui m’ont sorti ça. Ca part du groupe 88 Légion. C’est un chiffre, il n’appartient à personne. Me sortir ça pour album de rap, faut arrêter un peu.

La pochette c’est notre graphiste DPA. Il est avec nous depuis 2005. Il bosse autant, limite plus que nous. Il a dix piges de plus, c’est le cousin de Sensar en fait. A la base, il a fait la pochette du « 20h » de Cortège et on l’a plus lâché. Je ne sais même pas pourquoi cette pochette sur « 88 ». En fait, je ne voulais pas me casser les couilles (sourire). C’est la vérité. Je lui ai envoyé la pochette de Dr Dre, « Chronic 2001 » et je lui ai dit que je voulais le même délire en orange. Mais il n’y a aucun sens derrière. A la base c’était une pochette alternative parce que j’aime bien balancer la pochette quand je l’ai sur les réseaux. Je sais que les gens kiffent qu’on balance et ça me donne envie de finir. Donc on l’a partagée, les gens ont kiffé, nous aussi, on a testé d’autres trucs qui étaient nuls donc je l’ai gardée.

Pour ce qui est des feats, je crois que c’est le premier projet où Nodja n’est pas présent. C’est la première fois que j’invite M.Seaz et Mezy sur des albums. M.Seaz c’est un mec du 94 et Mezy est d’Autun à côté de Dijon, c’est un rappeur campagnard (sourire). Il est plus jeune que moi, je l’ai connu quand il démarrait le rap. Avec Cenza on l’a un peu coaché, on lui a donné plein de conseils. Il est venu un jour à un de nos concerts et on a sympathisé. Dans notre délire de secte, on a dit que c’était un disciple. Noruff, ça fait un bout de temps qu’on les connait, c’est des mecs du 95 à la frontière avec le 93. On les a rencontrés à un concert il y a huit ou neuf ans. Ils rappaient à un open mic, on s’est pris une claque et on les a invités au studio direct.

J’ai fait que deux instrus sur cet album, MSB en a fait une. La plus grosse partie c’est un mec qui s’appelle Misère Record qui avait contacté Cenza pour une tape. J’avais écouté les prods que j’ai trouvées super lourdes donc je l’ai appelé par la suite. Entre temps il a bossé avec Davodka.

Sur « Familia » il y avait plus de prods à moi et en fait c’est beaucoup plus dur de bosser sur ses propres prods. Quand je fais une prod, je passe déjà quinze à vingt heures à la faire, après ça me gave de rebosser dessus pour faire le morceau. Quand tu poses sur la prod d’un autre, c’est tout frais, t’arrives, tu poses tac, tac. Il y a des titres pour lesquels je sais exactement l’instru que je veux, comme Je Chante la vie, pour lequel j’ai fait une instru sur mesure. Le morceau Au début, sur « 88 » je l’avais fait sur l’instru de Role Model de Eminem avant de refaire un truc du même style mais moins bien comme, bien évidemment, je ne suis pas Dre.

J’ai jamais réussi à écrire un texte sans musique. Je n’en ai pas d’avance, des punchlines oui mais pas des textes entiers. Par exemple Cenza en a. Moi je n’ai rien de stocké, pas de texte, pas de morceau.

Alexandre Zimmermann

On me dit que le son de l’album est mélancolique mais je ne suis pas vraiment d’accord même si c’est un album sombre. En tout cas il est moins triste que « Familia » (il réfléchit). Mais c’est vrai que la mélancolie c’est ce que je préfère. C’est vrai que même quand on se dit qu’on va essayer de faire un truc plus patate au final on retombe toujours sur ça. Par contre sur « 88, il n’y a pas de piano qui chiale, de trucs chiants. En plus j’en ai marre du rap qui pleure. Il y a deux morceaux mélancoliques, Artiste et l’Espèce Humaine. Je préfère « 88 » à « Familia » d’ailleurs. Non seulement il y a moins cet aspect mélancolie mais en plus, j’ai plus d’assurance, c’est plus naturel. Pourtant j’ai moins bossé mais j’avais plus de facilités à poser.

Après oui c’est sans doute un album un peu nostalgique. L’âge je m’en fous, la trentaine je m’en fous. Mais c’est vrai que le temps qui passe ça me tracasse dans mes sons.

Il y a un rapport nostalgique à la cité oui. Ca fait un moment que c’est comme ça en vrai, je ne suis plus en bas du bâtiment depuis longtemps. Les mentalités en cité aujourd’hui n’ont rien à voir avec ce que j’ai connu. Plus de respect, plus de hiérarchie, les petits ne respectent plus les grands, récemment dans ma cité ils ont tabassé les grands, enfin il y a eu bagarre. Ca n’existait pas ça avant. Il y a aussi des bons côtés, ils vont beaucoup plus sur Paris que nous, pour nous c’était une vraie sortie c’était rare, moi j’y allais juste pour bicrave des jeux à Republique et Oberkampf.

C’est quoi leur dégaine aujourd’hui ? C’est aussi de ça dont je parle dans Mec de Tess. Combien de fois j’étais dans la rue et j’ai cru que j’allais regarder le cul du mec en face. Tu vois leurs cheveux, leurs slims etc…D’ailleurs c’est le rap qui influence tout ça. Moi par exemple je portais du Lacoste parce qu’Arsenik en portait, on en portait tous. Finalement je m’en fous mais c’est une petite nostalgie de l’époque où tu regardais les clips avec des vraies dégaines de caillera, un style propre au rap. Aujourd’hui ils sont habillés pareil que dans la pop. Quand tu guettes Young Thug, Lil Uzy etc…Après même moi j’écoute des mecs comme Macklemore, lui il assume au moins. Mais Young Thug qu’est ce tu fous en jupe avec une kalash ? Qu’est ce qu’il t’arrive ? Ca existait pas ça avant, même si Zulu Nation c’ était déjà un truc chelou.

Quand je dis « La Terre c’est mieux que la cité » ? Je parle beaucoup du quartier mais en vrai c’est de la merde la cité et ça l’a toujours été. Je ne représente pas une cité ni un département, 92, 93, c’est quoi ça ? Moi je ne le dis jamais, même Montreuil, en solo, j’en parle rarement. Cenza oui. J’ai compris que la Terre c’était mieux que la cité quand je suis parti en Afrique du Sud pour faire du bénévolat dans une école d’enfants défavorisés. Je me suis retrouvé là-bas par hasard, ça n’a duré que deux ou trois semaines et je ne faisais rien de ouf mais ça m’a grave ouvert, j’ai vu ce que c’était que la vraie merde. Mais bon ça te trotte dans la tête deux mois puis tu reviens à ton confort. Comme je dis « c’est pas un élan de solidarité qui fait de toi un saint ».

 


« L’Espèce Humaine, c’est peut être le morceau qui m’a pris le plus de temps mais je n’aime pas ce genre de truc, je ne l’écoute jamais alors que c’est un des titres qui marchent le mieux »


 

L’Espèce Humaine, c’est peut-être le morceau qui m’a pris le plus de temps mais je n’aime pas ce genre de truc, je ne l’écoute jamais alors que c’est un des titres qui marchent le mieux. Si je l’ai fait c’est parce que j’ai été témoin de trucs pas très clairs dans des grosses assos et ça me fout le seum. Je vois que les gens leur donnent de l’argent et je vois ce qu’ils font avec. Je suis bien content d’avoir fait du bénévolat en Afrique du Sud et pas en France. Ils pourraient faire avec le quart de ce qu’ils ont. Mais bon moi en vrai j’en ai rien à foutre. Ce n’est pas de ma faute en tout cas. 

C’est un morceau que les gens ont comparé avec Manuscrit de Cenza même si je n’avais pas la prétention de faire pareil. Cenza donne beaucoup plus de détails que moi, moi je n’en donnerais jamais autant. Je voulais juste dire qu’on était la pire des espèces et que la planète s’en tirerait mieux sans nous. Il se passe des trucs de dingue. Je n’aime pas les sons politiques, ça me casse les couilles même si j’en écoutais avant avec Assassin mais aujourd’hui je ne peux plus.

Ce n’est pas non plus celui que j’aime le moins de l’album, celui que j’aime le moins c’est J’ai pas envie. Si je l’ai mis c’est parce que les gens qui m’entourent le kiffaient. Le beatmaker, Cenza et M.Seaz trouvent que c’est un des meilleurs morceaux par exemple. Je ne sais même pas ce que je n’aime pas dedans, il ne me fait rien c’est tout. Il y a des sons comme ça.

Moi j’aime bien T’as rien compris pour la couleur du son et C’est la dernière fois. Ces morceaux me parlent plus, je me dévoile plus. J’adore Mec de tess aussi, surtout pour la prod. C’est ce genre de prod que j’aime, quand c’est du bruit. C’est Stab à la prod. C’est une ambiance mystérieuse, tu peux le mettre dans un film d’horreur le sample. Elle a un petit côté Mange tes morts.

Sur T’as rien compris, il y a plusieurs personnes visées. J’aime bien taquiner mon public, je suis peut-être un peu dur avec eux mais il est dur avec nous aussi, il ne permet aucun écart. On a besoin de son soutien. Après je dis pas, il y en a qui soutiennent, on a des vrais fans. Quand t’achètes mon CD sur internet c’est un vrai soutien. Mais certains, parce qu’ils t’écoutent, en plus souvent sans acheter le CD, croient qu’ils contrôlent ta vie. Quand je dis « t’as pas écouté » c’est parce qu’ils vont te dire « non t’as pas le droit de faire ça », c’est les puristes dont je parlais. Même Lino dit un truc du genre « marre des auditeurs qui écoutent sans écouter ».

Le titre Artiste vient de mon titre solo, Puzzle sur le deuxième album de l’Uzine. C’était une phase qui se trouve dedans et plein de monde me disait qu’elle était lourde. Pour « 88 » MSB m’a envoyé un extrait d’un album d’instru qu’il préparait sur laquelle il avait déjà ce scratch dans lequel Jacques Brel dit que les artistes ça n’existe pas. Je ne pouvais pas laisser passer ça, c’était obligé que je pose dessus. Pour le coup c’est vraiment son morceau, moi j’ai juste rappé dessus.

Pour moi un artiste vient juste pour briller, il fait le truc et il se barre. Johnny c’est l’artiste, Aznavour c’est l’artisan. Le mec fait tout, il compose…Dr Dre c’est un artisan, il gère tout de A à Z.

Je suis aussi d’accord avec Brel sur le fait qu’on est tous talentueux. Par exemple, demain, toi si t’es déterminé à faire un morceau de rap, tu vas tout faire pour en faire un bon et il sera peut-être très bon. Moi j’étais très mauvais quand j’ai commencé. Cenza avait un truc, moi rien. J’ai dû provoquer, j’ai du taffer comme un ouf. Certains ont sûrement plus de capacités que d’autres mais il faut travailler pour les transformer. Par exemple je n’avais jamais fait de clips, j’avais pas d’argent, je me suis mis sur le logiciel, j’ai bossé, j’ai fait un clip. Tous les meilleurs rappeurs sont les plus gros bosseurs. Ils ne sont pas là pour rien. Ils bossent mille fois plus que nous. Ils sont H24 en studio. Dre n’est jamais sorti de son studio ou de son bureau.

Sur l’album il y a aussi des scratchs de Ferré et Brassens. Ce sont les artistes que mes parents écoutent. Donc c’est forcément des gens que j’ai écoutés aussi. Mon daron écoutait surtout Ferré, ça ou de la musique tzigane. Je suis allé chercher des citations chez eux parce que leurs textes sont remplis de pépites. A la base, j’avais dix ou quinze interludes que je voulais mettre entre chaque morceau, avec du Aznavour et du Balavoine en plus par exemple. Finalement ça m’a cassé les couilles. LTA qui dit en interview chez vous que ça le saoule que des rappeurs dédicacent tout le temps ce genre d’artiste français ? Peut-être que son daron à lui écoutait des chanteurs africains mais moi mes références familiales sont dans les artistes que je viens de te citer. C’est mon contexte. Chacun ses références.

 

C’est la dernière fois ?

Hein sérieux, c’est la dernière fois ?

 

En tout cas pour le moment il y a de l’actualité. Pour l’instant c’est l’album de Cenza, « Tout droit sorti de Montreuil ». Il a fait l’album qu’il voulait faire depuis v’là le temps. Il nous pète les couilles avec ça depuis 2008. C’est vraiment son bébé cet album. Depuis le début il est plus G-funk. Même si, pour moi, ce qu’il sait faire de mieux c’est le new-yorkais il faut avouer qu’il nous a épatés avec son album. C’est aussi grâce à Beubtwo qu’il a pu faire ce projet, ils ont fait moitié-moitié sur les prods.

Il faut savoir aussi que sur ce projet, t’as des sons vraiment vieux. Ma gueule a 10 piges même s’il l’a modifié depuis. Montreuil City GZ, je ne peux plus l’écouter perso, quand on le met en concert je pète ma tête. En plus moi je m’occupe du mix, j’enregistre, il était temps que ça sorte (sourire). A la base, avant « Prophéties d’une plume », il voulait sortir une tape East Coast vs West Coast et certains sons auraient dû sortir à ce moment-là. Finalement les sons east coast ont fini sur « Prophéties d’une plume » donc il a dû garder les autres. C’est le problème de Cenza, il met trop de temps à sortir des albums donc les morceaux vieillissent.

En tout cas il a du stock, là il a deux albums à sortir. Ca sera du lourd. Je ne sais pas si je peux le dire mais Manuscrit 2 arrive et je le trouve mieux que le 1. L’instru est plus grand public mais je ne peux pas dire qu’elle est mieux que celle du 1 qui est de moi (sourire). En fait je trouvais que dans le premier, il donnait trop de détails qui pouvaient être mal interprétés et pour lesquels il s’est pris des commentaires. Le deux sera plus global sans trop de détails.

 

Cenza et Tony dans le studio de Saint-Denis. Alexandre Zimmermann

On a presque bouclé l’album de l’Uzine aussi, on a mis du temps à revenir parce qu’on était concentrés sur nos solos. On est dans les détails là. Récemment pour terminer l’enregistrement de ce disque, on est partis dans une maison de campagne. On n’avait du mal à se poser sur l’album et à se réunir comme avant. On habite tous un peu loin, le studio n’est plus à Romainville mais à Saint­-Denis. Quand on arrivait enfin à se retrouver souvent c’était le bordel, il y avait du monde, ça buvait, ça fumait. Il fallait boucler car des sons datent déjà de 2014. il fallait qu’on se rassemble dans un endroit comme ça, qu’on s’isole. On n’avait pas de réseaux donc pas le temps de branler. 

On a fini l’album. On a fait toutes les prises de voix en tout cas, on a fait environ sept morceaux en plus de ceux qu’on avait déjà. Là il reste deux ou trois finitions, il y avait un ou deux couplets à reposer, des ambiances à ajouter, et je vais devoir mixer tout ça. L’album est énervé. Pour moi il est encore plus old school que ceux d’avant dans les prods, dans le grain. Ca kicke quoi. C’est le premier projet ou Souffrance est membre à part entière, il est sur quasiment toutes les pistes. C’est un album vraiment homogène, plus uni que le premier. Il y aura surtout des sons en groupe, sans solo etc…C’est très 90’s, New york. On voulait faire un titre news mais on n’a pas trouvé la prod.

La derniere lettre est un extrait du prochain album mais il ne sera pas sur la même instru. D’ailleurs l’instru sur laquelle on a kické sur youtube, c’est marrant parce qu’ATK, sur leur dernier album, ont samplé cette face b, c’est un morceau de Illegal qui s’appelle Ban da Iggidy. Moi j’ai essayé de refaire des prods dans le même style mais ça collait pas. Du coup on a organisé un concours dont le remix du vainqueur sera sur l’album, c’était l’idée de Cenza, et c’est Mezy qui a gagné ce con (sourire). Les gens vont croire que c’est falsifié comme on bosse déjà avec lui mais pas du tout. J’ai reçu au moins quarante ou cinquante prods, j’étais surpris, je pensais en avoir dix. Il y avait du très lourd mais les gens n’ont rien compris, 90% des prods étaient mélancoliques, ce n’est pas du tout ce qu’on recherchait.

On va commencer à faire des clips aussi. En fait moi là je veux que tous les clips soient prêts avant la sortie de l’album. Dans le passé on sortait les projets à l’arrache et on faisait des clips quand on pouvait. On pourra aussi en sortir après mais au moins on arrive avec deux ou trois clips, donc avec une puissance de frappe qui sera différente de celle des autres projets. Je sais déjà les morceaux qui vont faire parler donc on a une idée de ceux qu’on va clipper. J’aimerais bien balancer l’album pour septembre. Pour le nom, c’est possible qu’il s’appelle « La Secte »

 

Les membres de l’Uzine nous expliquent pourquoi le troisième album du groupe a tardé

 


 

Derrière on a envie de faire quelques scènes en commençant par une grosse date à Paris en avril. Ca sera le 24 avril à Petit Bain avec des guests comme Prince Waly, Noruff, M.Seaz, Mezy et des invités surprises. 

Sur scène d’ailleurs on n’est plus avec Dj Keshkoon depuis peu. C’est un bon deejay, franchement rien à dire. Il nous a rendu grave service mais il vient du reggae à la base et il lui manquait un peu de technique au niveau du scratch et nous c’est qu’on recherchait.

Dooky, l’ancien deejay de Big Budha Cheez nous a présenté G High Djo, beaucoup plus hip hop, très old school et avec qui on avait plus de points communs. Comme on était moins en lien avec Keshkoon pour des désaccords sur certains trucs, on a intégré Djo dans le groupe. Dooky n’est pas loin non plus. Des fois il vient pour foutre la merde sur scène, donner grave de l’énergie et sauter partout torse nu. Une fois il était même venu pour faire double dj avec Djo, d’ailleurs faut qu’on le refasse, ça déchire. Aujourd’hui il n’est plus le Dj de Prince Waly parce que Waly n’est plus dans les délires de scratch et tout ça, ça ne correspond pas à sa musique, mais Dooky est backeur pour Waly sur scène.

Pour la petite histoire Keshkoon bosse avec le dj des Lords of The Underground, Dj Lord Jazz, ils font partie d’un crew de deejays ensemble et ça fait plus de 10 piges que Keshkoon connaissait les Lords. Il nous a permis de faire des morceaux avec eux sur la tape international qu’il avait produite et grâce à lui on est restés connectés un peu avec eux. Ils ont fait un feat avec Cenza pour son prochain album. C’est d’ailleurs un vrai bon souvenir de studio. Au départ c’était un feat entre Doitall et Cenza puis Funke est arrivé, il a entendu le son, il a tellement kiffé qu’il a voulu poser et en deux secondes il a plié le truc. Malheureusement personne ne pourra entendre ce morceau, un jour Funke des Lords nous dit « c’est mort vous mettez pas le son dans l’album parce que vous êtes plus avec Keshkoon » c’est dommage parce que le c’était une boucherie. 

 

Un an plus tôt, Cenza racontait sa version de la séance studio avec les Lords of The Underground.
Extrait du reportage qui, on l’espère vraiment, sortira avant le feat entre Cenza et les Lords.

 


“C’est trop répétitif pour pas assez de reconnaissance, ça remplit pas le frigo, c’est beaucoup de travail pour pas grand-chose”


 

Perso, je n’ai pas de projet solo en stock. Rien du tout.  Je vais continuer dans le groupe et v’là le taf à faire sur les albums des autres. Parce qu’en plus de Cenza, on va sortir l’album de Souffrance bientôt et Tonio arrive aussi.

Je suis aussi sur un énorme projet en tant que beatmaker, producteur et directeur artistique. J’inviterai du monde à poser sur mes beats en fait. Il y aura des gros noms.

J’ai changé pas mal de choses aujourd’hui dans ma mentalité. J’ai relâché un peu le rap. J’étais à fond avant. J’ai toujours fait ça beaucoup plus qu’autre chose, presque à temps plein même si j’ai souvent bossé à côté pour subvenir à mes besoins. Avant je posais des jours de congés tout le temps pour les concerts, J’écrivais des chansons pendant le taf maintenant je préfère poser des jours pour partir en vacances avec ma femme ou ma famille. Aujourd’hui ça me prend toujours beaucoup de temps mais c’est moins prioritaire. En vrai ça m’a cassé les couilles le rap un peu.

C’est trop répétitif pour pas assez de reconnaissance, ça ne remplit pas le frigo, c’est beaucoup de travail pour pas grand-chose. Il y a du kiff et le kiff ça compte mais c’est énormément de travail. Donc si ça doit être que du kiff, autant kiffer seulement et pas se forcer à en faire une priorité. C’était vraiment un taf hein ! Je faisais des heures de malade, des trucs de fou, le week-end, la semaine. J’ai toujours eu du tafs assez flexibles mais je sortais du taf, j’allais au studio, je rentrais chez moi à 2h du mat pour me lever le lendemain à 7h et aller au boulot.

Dans l’Uzine, j’y passais énormément de temps, Je m’occupais de tout l’aspect technique et de la paperasse. J’étais un peu l’interlocuteur jusqu’à maintenant mais là on a engagé une meuf qui s’appelle Mattéa qui va s’occuper de toutes ces merdes de papier et de nous trouver des dates, des trucs comme ça. Elle démarre et on va voir ce que ça donne.

Après je ne peux pas regretter parce que j’ai kiffé. Je n’ai pas de regret parce que tous mes proches sont encore là mais j’ai raté des trucs, par exemple quand ma famille partait en week-end chez un cousin ou des trucs comme ça, j’y allais pas. Je restais au studio.

Sur le parcours en lui-même je ne peux pas avoir de regret non plus. J’ai fait mille fois plus de trucs que ce que j’aurais pu imaginer faire à la base. Aujourd’hui je ne baisse pas les bras mais ça va juste être moins prioritaire.

Dans le dernier morceau de « Familia » je disais « à bientôt » oui c’est vrai, là dans le dernier morceau de « 88 » je précise pas, ça peut sonner comme une fin. Quand je faisais l’album, je me disais que c’était le dernier. Aujourd’hui je ne sais pas, peut-être que ça le sera. Je ne dis pas que je ne ferai plus de musique mais faire un album, ça rime peut-être plus à grand-chose, je pourrais balancer des sons comme ça…Il y a le groupe, je ferai toujours de la musique, ça reste ma vie. Je suis assez bipolaire. Tous les ans ou tous les deux ans pendant un ou deux mois j’arrête mais là c’est vrai que c’est un peu plus violent que d’habitude.

 Ceci-dit, ça fait 6 ou 7 ans que je préfère être derrière. Ce que je préfèrerais, si un membre de l’Uzine éclate tout, c’est faire partie de l’équipe qui bosse pour lui.

Si on n’a pas percé c’est aussi de notre faute, on est restés trop entre nous, on ne s’est pas assez mélangés. On s’est mis des bâtons dans les roues nous-même en ne voulant pas rentrer dans le moule, chose qu’on n’avait pas du tout envie de faire en même temps. Avec Cenza on s’est toujours dit « nique sa mère, on a besoin de personne, on fait notre musique et fuck ». Au début personne n’était là, en 2014, on fait le Nouveau Casino , on sort l’album et ils sont tous venus sonner à notre porte, on a dit bonne soirée

Quelqu’un comme Casey aurait pu tout niquer si elle avait eu un peu plus de réseau mais quand tu connais le milieu tu te dis qu’elle a eu peut-être raison. Donc tant pis ce n’est pas grave, c’est mieux comme ça.

Nous on est bien comme ça. Si vraiment demain on baise tout, on n’aura rien demandé à personne, on aura fait ça tout seul. Je ne dis pas que c’est mieux de faire comme ça mais c’est notre choix.

 


Merci à Gabriel DLH pour son soutien à le relecture.

 : Alexandre Zimmermann

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