Entre nihilisme et spleen, Wit se dessine un bel avenir avec NØ FUTURE

Malgré son apparente jeunesse, Wit n’est pas un perdreau de l’année dans ce rap jeu. Après quelques projets solos et des apparitions aux côtés de son comparse Laylow – dont l’avant-gardisme est régulièrement salué par la critique –, le Montpelliérain a creusé peu à peu son sillon et semble avoir enfin trouvé sa voix. 

Crédits : Aykut Aydoğdu

Entre nihilisme assumé, idéaux déçus et spleen cyberpunk, Wit navigue en eaux troubles pour apporter une substance inédite. Les oreilles attentives avaient déjà repéré dans NEO – projet paru en janvier 2019 –, la synthèse d’une recherche musicale tatillonne et l’un des produits les plus intéressants de son époque. Wit enchaînait alors les images saisissantes sous une nonchalance parfaitement maîtrisée, le tout mâtiné de productions électroniques et de basses saturées. Il fallait alors plusieurs écoutes pour se saisir du propos, et encore quelques-unes plus pour capter l’alchimie parfaite qui liait sa voix, ses textes et les prods. De quoi mettre un grand coup de pied dans la fourmilière et marquer sa singularité.

Il est aisé, pour n’importe quel auditeur sachant utiliser Google, de retrouver toutes sortes d’archives radiophoniques dans lesquelles Wit kicke à l’envi (et sans vergogne) sur des prods avec des formules assassines. Là où il aurait pu se contenter d’être un bon rappeur auquel on fait faire quelques tubes, Wit a pris le parti de travailler son produit à sa manière. Il fait ainsi partie de la catégorie des rappeurs obsessionnels. Ceux qui creusent les mêmes thèmes, encore et encore, choisissant de ne faire varier que la manière de les aborder.

Le tuba entre les dents, la combinaison et les bouteilles d’oxygène ajustées, il s’agit de plonger et de se laisser guider. L’immersion initiale dans ce NØ FUTURE se fait par la prod caverneuse de l’intro « Ailleurs ». Wit, adoptant des airs prophétiques, y expédie d’un ton sentencieux sa vision des choses. Immédiatement, c’est un défaitisme lourd (en écho à ce “No Future” emprunté au mouvement punk) qui nous assaille.

 


« C’est fini la belle époque / Sache que personne ne va changer les choses »

 

Ce pessimisme, il le cultive et s’en sert pour distiller une critique à peine voilée des humains de son siècle et des hypocrisies qu’il y décèle. Il parvient néanmoins à éviter l’écueil de s’enfermer dans un rap emo primaire. Il s’agirait plutôt d’une sorte de fatalisme qui se comprend dès le refrain de cette même intro :

 


«  On m’a dit va pas par là / Mais j’ai pas ma place ailleurs »

 

L’instru, signée Wit lui-même, est envoûtante à souhait et annonce d’ailleurs la couleur du projet. Les samples de flûte ou les synthés hypnotiques viennent hanter bon nombre de titres. Ils ajoutent un côté « dresseur de serpents ». À la différence près que ce sont ses états d’âme que le rappeur s’amuse à faire danser, à défaut de reptiles. Les flows, eux, sont millimétrés. Le verbe n’est jamais déposé par hasard ou de manière mécanique, c’est ce qui plait tant chez ce rookie. Les placements sont calculés et les expérimentations nombreuses. Alternant les effets de mélodies vocodées et les passages de kickage bruts (« Proz »), sans oublier les backs et ad-libs avec une voix robotique, cet album synthétise l’envie du rappeur de ne pas rester figé sur des schémas de scansion préétablis.

Un autre point essentiel de cet album – qui avait déjà été commencé sur NEO – est l’apparente banalité avec laquelle il expédie certains thèmes. Un peu comme s’il ne voulait pas s’étaler et que l’économie de mots était plus percutante. Il peut ainsi balancer, dans la même phase, un tacle à la politique et un egotrip imagé sans risquer de perdre l’auditeur. Dans ce cas, nous pouvons oser le parallèle avec un fameux rappeur de Boulogne.

 


« Des nouveaux fils de tainp’ à chaque nouveau quinquennat / J’apprends  à voler avant d’apprendre à ché-mar » Wit – 2020.

VS

«La politique c’est qu’une partouze de chiens errants / Du néant sort un géant, j’suis la bonne et la mauvaise news » Booba – 2002.

 

Wit semble à l’aise avec les consonances et les rimes multisyllabiques (« que de la saleté sept sur sept, j’raterai pas cet essai ») sans que cela ne sonne forcé ou lourd, comme cela peut parfois être le cas chez d’autres.

La cover, elle, donne au rappeur des airs du Titan Cuirassé (L’attaque des titans) et du Double Face (Batman). On pourrait même y voir un clin d’œil au Terminator. Elle présente en tout cas un Wit écorché vif, nous offrant son plus large sourire. Cette hybridation d’un être à la fois mutant, robot et humain est en parfaite adéquation avec le produit fourni. Robotiques, les prods le sont assurément. Le travail sur celles-ci est efficace, essentiellement parce que la voix est traitée comme un instrument à part entière. L’artiste vient y déposer des mantras ou des vérités par petits aplats. Les phrases sont souvent courtes, nerveuses, et les concepts s’enchaînent. L’humour est également une pierre angulaire des textes, il permet de dédramatiser, l’espace de quelques secondes, les révoltes et les vérités nues présentées.

 


« J’illumine ma vie en feu de détresse »

 

Il est plaisant, enfin, d’entendre un rappeur alterner les certitudes et les interrogations. Ainsi, à l’instar d’un Nessbeal, Wit se pose une bonne dizaine de milliers de questions. Cet album représente – peut-être – au fond les pérégrinations d’un enfant de la génération Z, perdu entre le devoir impérieux de faire du bif, et celui de retrouver une part de l’enfance.

 


« Les rêves de gosse ont le genou à terre »

 

Les invités remplissent largement leur part du contrat. La présence ultra-efficace de Laylow sur « Loco » est par exemple très appréciable. L’ambiance sombre rappelle celle d’un strip-club poisseux. Une fois de plus, la force du titre réside dans la capacité à alterner les séquences. La track débute sur une instru boostée aux hormones de basse TR808 avant de revenir sur une prod semi-glauque, semi-chaloupée avec un sample inquiétant au possible. En somme, un putain de morceau, comme souvent quand ces deux-là se retrouvent ensemble. Le rappeur marocain MaDD amène sa vibe terriblement entraînante, il constitue un appui parfait au titre « Reset » où Wit creuse encore ses motifs astraux (« À peine levé les étoiles me demandent […] Soleil n’est pas couché mais je suis loin »).

Enfin, l’album s’achève sur le titre éponyme, condensé de tout le reste avec une touche de cyberpunk et une pincée de discours apocalyptique. On imagine Wit en cabine, les yeux révulsés, nihiliste au possible, dégoûté des hommes, faisant des borborygmes derrière l’antipop.

Nul doute qu’il faudra encore une bonne dizaine d’écoutes successives avant d’attraper toutes les subtilités que recèle cet album. Wit renoue ici avec la magie qui opérait dans NEO et offre un produit de qualité supérieure, mélange de spleen, de nihilisme, de réflexions profondes et de phases bêtes et méchantes. Un patchwork qui fonctionne puisqu’il est porté par des prods qui tabassent – s/o les beatmakers et ingés son –, et un rappeur qui, malgré ce que sous-entend le titre de ce projet, se prépare un bel avenir.

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