Pro176 (ex Profecy), 400 litres d’histoires

 


 

Les auditeurs de rap on découvert Profecy au travers de son aventure avec Assassin à une époque où on ne savait plus très bien qui composait encore cette « Académie Mythique ». Il a longtemps été un fidèle lieutenant du leader d’Assassin, Rockin’ Squat, son backeur sur scène et un de ces hommes de l’ombre, “undercover”, dont Squat avait besoin pour pouvoir continuer à employer le “nous” après les départs des membres historiques de son groupe.

En allant chercher Profecy, Squat savait qu’il avait à faire à un personnage qui vivait, respirait, transpirait le hip hop. À un mec qui avait grandi dans le quartier d’une partie de la Mafia K’1 fry, qui avait traversé toute sorte d’expériences entre les raves party, la Grim Team, la Cliqua et ses vagabondages à travers l’Europe pour graffer les murs du continent.

Cette aventure dans le rap a duré sur deux tournées et trois albums solos pour celui qui, aujourd’hui, après avoir tourné le dos à la pratique du rap, est devenu un des street-artistes français les plus renommés au Monde.

« Personne n’a jamais eu les couilles de venir m’interviewer pour parler de tout ça. » C’est par ces mots que se concluent notre échange avec Profecy après une discussion ayant tourné en grande partie autour du rap. Cet entretien, réalisé au téléphone en plein confinement Covid, durera sept heures. Comme si le “Galaktik” avait attendu longtemps ce moment où il pourrait communiquer avec un public qui n’a jamais vraiment compris sa musique, un public pour qui, il nous le dira souvent, il était trop en avance. Sept heures pour aborder son histoire à travers le spectre du rap. Nous laissons le soin aux médias plus spécialistes, d’ailleurs déjà nombreux à l’avoir interviewé, d’approfondir les thèmes du graf et de la peinture – que nous avons quand-même abordés – avec celui qui, dans ce milieu, se fait appeler Pro176. Sept heures pendant lesquelles l’auteur du morceau 400ml nous a raconté 400 litres d’histoires.

Propos recueillis les 22 et 24 avril 2020

 


Photo de une : volée sur discogs.com

Autres photos : fournies par Pro176 et Dj Duke


 

Quart de siècle complètement ken

Des tags, du graf, des raves, des crews ( Mafia K’1 Fry, Grim Team, La Cliqua, DDS etc…)

Je suis né dans le 12ème arrondissement en 1976 , je suis resté les trois premières années de ma vie chez ma grand mère avec mes parents et ils ont déménagé à Choisy-le-Roi dans le 94 quand j’avais trois ans. Mon père bossait dans les assurances et ma mère était femme au foyer. Je vivais dans le quartier d’une partie de la Mafia K’1 Fry, j’allais en colonie avec Demon One et Hammadoun Sidibé qui maintenant fait « Quai 54 ». Mon voisin c’était Mohamed Camara le cousin d’Oxmo Puccino, Las Montana ne vivait pas très loin non plus. J’ai passé une grosse partie de ma jeunesse avec les gens de la Mafia K1-Fry.

Quand j’avais cinq ou six ans ma mère m’achetait les trucs de Marvel à la libraire parce que je lui prenais la tête pour ça. C’étaient les éditions LUG, traduites en Français. Elle me prenait aussi des feuilles en carbone avec lesquelles je calquais les dessins des BD. Donc j’ai appris à dessiner sur du Kirby, du Romita et tout ce qui se faisait dans le Marvel à l’époque. Mes parents n’étaient pas du tout là dedans, ma mère était femme au foyer et mon père était assureur. Ma grand-mère touchait un peu à la peinture donc ça vient peut-être de son ADN, je ne sais pas. Ma fille dessine aussi aujourd’hui, elle est meilleure que moi au même âge. J’espère qu’elle ne découvrira pas le graf vandal (sourire).

En primaire j’étais bon à l’école, un peu comme ma fille aujourd’hui. J’avais les tableaux d’honneur. Mais mon père est mort quand j’avais dix ans. Il est mort devant nous, cancer du pancréas, c’était terrible. L’école c’était mort après ça, j’ai fini par me faire virer à 14 ans. Ca a été très dur pour ma mère qui a dû se démerder sans mon père, sans taf à la base. C’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à partir en vrille et surtout que j’ai eu besoin de me trouver des trucs pour m’évader.

En 1989 c’était le bicentenaire de la Révolution Française, les mairies avaient organisé tout un tas d’événements. Chez moi à Choisy, il y avait un concert pour l’occasion avec les Béruriers Noirs et NTM au gymnase René Rousseau. A l’extérieur ils avaient placé un grand mur avec des planches en bois énorme sur lequel peignaient Mode 2 et Colt. À cette époque j’étais petit, je commençais à connaître le hip hop, surtout par rapport aux sapes, je sentais le truc arriver mais je ne connaissais rien. Et quand je les ai vus peindre, je me suis dit « je veux faire pareil », ça m’a mis une grosse claque. Direct le lendemain,  je m’étais mis à recopier ce qu’ils avaient fait sur des feuilles. J’étais dans le truc, ça y est. À partir de là j’ai suivi le parcours du graffeur lambda.

C’est à la même période, comme je m’étais fait virer de l’école, que j’ai commencé à faire tous les tests des écoles de dessin de Paris, Elisa Lemonnier, Estienne etc… À chaque fois je validais les épreuves de dessin mais je finissais par être refusé à cause de mon dossier scolaire tout pourri. La conseillère d’orientation a fini par me dire de m’inscrire au CNA/CEFAG, un espèce de CAP d’image où il y avait en fait tous les mecs ayant raté les écoles de dessin. Donc je me suis retrouvé là-bas avec tous les graffeurs de Paris de l’époque (sourire). Enfin beaucoup de graffeurs en tout cas. La classe c’était les sous-doués, il aurait fallu faire un film, c’état incroyable. Il y avait une meuf pour 25 mecs. On allait en rave avec les mecs de la classe, j’arrivais le lundi j’avais encore des remontées de produits. J’étais déjà éclaté alors que j’avais 15 ou 16 ans. D’ailleurs dans cette classe pas mal de mecs ont rejoint la Grim Team avec moi plus tard. J’ai quand même validé le CAP, on a tous triché.

Mon tout premier blaze, je l’ai jamais dit en interview, je taguais Carter, après c’était Toe puis dans les années 92-93 c’était Puzzle. Dans le graf, j’ai toujours couplé le graffiti avec le monde du comics, c’est par rapport à Mode 2. Il avait toujours le truc de mêler des personnages et le lettrage et moi je voulais vraiment réussir à maîtriser les deux et à trouver un style qui me correspondait à moi et à ce que je kiffais dans la vie. Et ce que je kiffais depuis petit c’était l’espace et la BD donc j’ai couplé Silver Surfer avec Kirby et ça a donné ce que ça a donné.

 


« Le Graf c’était l’underground de l’underground. Ça t’amène à dépasser tes frontières, tes milieux sociaux, et c’est comme ça qu’on atterrit en rave »


 

Le Graf c’était l’underground de l’underground. Ça t’amène à dépasser tes frontières, tes milieux sociaux, et c’est comme ça qu’on atterrit en rave. C’était une époque de dingue. De 90 à 94 c’était un truc de fou. Dans les raves, tu pouvais trouver toutes sortes de personne. Il y avait des cailleras, des mondains, des acteurs, de tout. Tous les gens qui voulaient échapper au Palace et aux Bains Douches venaient. Les organisateurs étaient des ouf de guerre connectés avec tout le monde. J’ai découvert d’autres musiques comme ça, il y avait le pré-jungle, drumb and bass, acid house, gabber…Quand je revenais dans mon quartier, les gens ne comprenaient pas le mode de vie, que ça soit pour le graf ou pour les raves. Ça les dépassait. Même s’il y en avait quand-même quelques-uns qui taguaient un peu comme AP du 113, pour eux peindre des trains c’était prendre des risques sans gagner d’argent et la techno c’était la drogue. Je leur expliquais que je rentrais d’une teuf perdue à Fontainebleau pour eux c’était ouf. Il y avait beaucoup de tagueurs en rave, ils venaient parce que c’était free, c’était fou, ça taguait de partout. C’est irracontable, c’était tellement dingue. Pour moi c’était encore plus hip hop que le hip hop. C’était sauvage.

C’était pas toujours à Fontainebleau, souvent c’était en plein Paris, troisième sous-sol de la défense, sous le pont des Invalides, sur des chantiers…Des trucs de ouf. 400, 500 personnes toutes foncedées, les keufs pouvaient rien faire, s’ils arrêtaient le truc ça partait en couille. Tout le monde débarquait grâce à un système d’info à minuit, via les radios etc..T’avais 500 personnes qui rentraient d’un coup, parfois par un petit trou, dans une bouche d’égout, en passant par des échelles, des cordes, dans des trucs dégueulasses. Il y a un reportage sur youtube qui s’appelle EX-Taz, ça fait bien comprendre le truc. Après ça s’est décalé dans des usines en banlieue puis finalement c’était grillé, c’était trop fou, il y avait trop de business donc l’état a mis son nez dedans et c’était fini. Dans mon morceau 400ML plus tard, quand je dis « je roule à 200 sous mdma à l’envers » c’est en référence à tout ça.

A cette époque là je baignais dans le rap aussi. Le premier disque de rap que ma mère m’avait acheté au Mamouth c’était « Note mon nom sur ta liste » d’Assassin. C’est un beau clin d’œil à ce qu’il se passera plus tard. Mohamed Camara, le cousin d’Oxmo, c’était mon grand. On le voyait souvent Oxmo et je ne l’ai jamais vu rapper à l’époque, ça nous a tous surpris quand on l’a vu tout déchirer dans Time Bomb plus tard.

Mohamed devait avoir quatre ans de plus que moi. C’était un putain de B-Boy mais vraiment. Il tuait les mecs de Paris, il avait trop de style, je devenais fou. Il était parti à New York avant tout le monde. Il m’a tout appris. Il me disait « ce soir t’écoutes le Dee Nastyle », il m’apprenait à faire des pas de danse, il était danseur pour Different Teep à un moment donné. C’était pas un breaker mais un danseur, il faisait de la hype avec des sapes de ouf. Il ne voulait pas rapper mais il voulait que moi je me mette à rapper à cause de ma voix. J’étais petit et ça le faisait kiffer de m’entraîner. J’ai commencé à écrire mes premières rimes avec lui. Il y avait Ideal J, Manu Key et de fil en aiguille, on s’est tous captés puis un collectif s’est monté, il s’appelait L’Union. C’était le pré Mafia K’1 Fry en fait. Plus tard c’est Douma le Parrain qui trouvera le nom de Mafia K’1 Fry.

 


« Je rappais avec des mecs comme Demon One, Las Montana. Las donnait des cours à ma petite soeur »


 

Donc je faisais partie de l’Union. Je rappais avec des mecs comme Demon One, Las Montana, c’était l’avant Intouchable. Las Montana était un bon pote aussi, il donnait même des cours de math à ma petite soeur, on était tous les deux les petits de Mohamed Camara. On était dans le même collège et on était pétés de rap. Kery James tirait un peu le drapeau pour le quartier et ça a mis tout le monde dans le rap. C’était à l’époque où IDEAL J se faisait appeler Ideal Juice, avant l’album « Original Mc’s sur une mission » et après « La Vie est Brutale ». C’était la période où tout le monde croyait qu’ils étaient morts, plus personne ne savait ce qu’ils faisaient. Ils ont quand-même fait deux ou trois premières parties de NTM à ce moment-là et on les suivait, on allait les supporter. Kery était trop fort, c’était dur de s’essayer au rap face à des mecs comme ça.

J’étais à fond avec eux, j’ai fait les premiers logos Intouchable, je rappais même avant Dry qui était aussi un bon pote à moi. Mon pseudo de rappeur c’était Hoodlum mais en général je me faisais juste appeler par mon prénom, Rudy. Par exemple le premier morceau que j’ai enregistré, beaucoup plus tard c’est sous le nom Rudy. C’était sur la mixtape d’Oxmo Puccino, « La dernière chance », sur un morceau avec Mokem d’Intouchable. Je ne savais pas quel blaze donner à Oxmo et il m’a dit « vas y on met Rudy ». Mais dans le morceau je dis déjà Profecy. La mixtape est sortie en 1999 mais je pense qu’on a fait le morceau en 97 ou 98. À la même période j’ai posé aussi sur la mixtape « La Tuerie » d’Iron Sy mais sous le nom de Profecy cette fois.

Si t’écoutes bien dans le morceau Invasion de la Mafia K’1 Fry t’as Karlito qui dit « Orly, Choisy, Vitry reste sur une mission, ce n’est pas Steve et Rudy qui nous contrediront ». Il y a pas 1000 Rudy mon pote. Tu me vois dans le DVD « Les quatre vissages de Kery James » aussi, entre autres pendant un freestyle de Kery James et Las Montana à la Demi-Lune à Orly, j’ai un bandeau et une bouteille de champagne à la main (La Demi-Lune est le QG historique du groupe et l’extrait en question est ci-dessous, on aperçoit en effet Profecy, ndlr).

 

 

 


 

À l’époque on était tous à fond dans Los Angeles alors que tout Paris était dans New York. On ne voulait pas être assimilés aux parisiens donc on écoutait tout ce que les autres n’écoutaient pas : Above the Law, MC Eight, Eazy-E. Kery dédicace toujours des groupes comme ça dans ces premiers albums. Rohff se baladait avec des braids en arrière façon Los Angeles, une chemise à carreau et un baggy. On avait tous des braids en fait.

En tout cas tous ces gens là avaient une culture rap de ouf, et pour toute sorte de rap, pas que L.A. Je me souviens de Kery avec un t-shirt KRS-One ou un t-shirt Redman, un semi baggy avec des air force. Même Rim-K, Rohff et Mokobé, faut pas croire sous leurs allures de caillera, ils ont des cultures de ouf de rap. On était bousillés. Perso moi j’écoutais vraiment tout. Entre 92 et 2009 je pense que je connaissais tous les courants, tous les artistes. J’ai tout tout écouté. En plus avant plein de gens. Quand j’écoutais UGK, personne n’écoutait. J’ai découvert E40 avant tout le monde via un rappeur obscur du label Sick Wid dit Records qui s’appelait Celly CELL. J’écoutais des mecs comme Lil ½ Dead. J’allais à la Fnac, je prenais n’importe quoi de L.A.

A un moment donné les mecs du quartier partaient de plus en plus en rap caillera, ça commençait à vraiment à partir en couille. Quand t’écoutes l’album d’Ideal J « Original Mc’s sur une mission » et « Le Combat continue », il y a deux mondes. Moi j’étais un B-boy, j’étais une « hip hop head », je voyais dans quoi ça partait et je n’étais pas fait pour ça. Je sentais le truc de gang arriver et je ne voulais pas m’en mêler. Et comparé aux autres, j’avais deux mondes, la musique et le graf.

Mohamed Camara est mort vers 1994, c’était un des premiers à mourir de toute cette équipe. C’était le deuxième grand choc de ma vie après la mort de mon père.

Un peu près à la même période, ça commençait à bien vriller dans le quartier. Et ma mère en avait marre de moi, elle en pouvait plus de la vie que je menais. À 17, 18 ans, j’ai eu l’occasion d’avoir un appart à Paris, une chambre de bonne suite à une annonce dans un bureau de tabac. Ça a été l’occasion de m’écarter un peu de tout ça, de m’impliquer plus dans le graf à Paris. Je me souviens de Teddy Corona et OGB qui étaient venus dans mon appart pour me dire que j’avais fait le bon choix.

Même si j’étais sur Paris, je revenais tout le temps le soir à la Demi-Lune ou dans le quartier, j’étais obligé, il y avait toujours ce lien. J’y ai vu des trucs tellement sales à ce moment-là qu’ils ne sont même pas racontables. Dis-toi juste que Las Montana il avait une cave avec 12 pitbulls, il t’emmène dans la cave, t’as pas payé, t’imagines bien ce qui se passe. On est même plus dans le mode hip hop gangsta, c’était le mode gangster tout court.

Quelques années plus tard, en 1999, Las Montana est mort, paix à son âme. Quand ma mère a su qu’il était mort, je te laisse imaginer, il donnait des cours à ma petite sœur. Et quand tu vois la mort qu’il a eue. Ta mère elle ramène le journal « c’est ton pote ça ? C’est lui ? Non mais c’est dingue ! ».

Ca a mis un bloc à tout le monde. Kery a changé. Il a plus fait « Le combat continue », il a fait « Si c’était à refaire ». Certains ont rebondi et sont devenus des stars.

Via mes activités je m’étais donc un peu détaché de la Mafia K’1 Fry. Je me mettais vraiment à fond dans le graf, tout début 95 je mate le clip de Jeru the Damaja Can’t stop the prophet, et à ce moment là j’étais à la recherche d’un nom, je voulais un nom qui pète. Je bloque sur prophet, et je m’attribue le pseudo Pro même si je trouvais que ça faisait un peu je me la pète. En fait c’est un pote qui m’a convaincu en me parlant de Big Punisher et de son blaze de ouf qu’il était obligé d’assumer. Donc j’ai gardé Pro ce qui m’obligeait à être à la hauteur du nom et à tout déchirer. Et c’est devenu Profecy pour le rap.

En 1995 je suis allé à New York aussi. J’y ai fait mon premier voyage. J’ai un pote à moi qui taguait, REZ, son père, designer pour Nautica, devait aller là bas et nous a emmenés moi et mon pote. Je sortais d’un taf genre agent de sécurité donc j’avais un peu de tune ce qui m’a permis de partir. Là j’ai pris une claque monumentale, je ne m’en suis jamais remis. Le premier truc que j’ai entendu c’est Cream du Wu-tang qui sortait à fond d’une limousine, pour moi c’était ouf. Je suis allé dans le magasin de Fat Joe, c’était Brim du Tats Cru (groupe de graffeurs du Bronx, très proche de Fat Joe, ndlr) qui tenait la caisse il hallucinait sur nous « vous êtes français, vous faites quoi ? », je lui ai dit que je voulais graffer et il m’a donné le numéro de Cope2. Donc j’ai débarqué sans parler anglais dans la cité de Cope2. Il y a une photo incroyable dans mon livre où tu me vois avec lui (cosmonometry, monographie consacrée à Pro176 sortie en 2014, ndlr). J’étais dans une cité toute pourrie du Bronx sans connaître personne, sans parler la langue, c’était fou. J’ai rencontré d’autres gens, Poem, Lady Bing, plein de gens. Je sais plus les sorties qu’il y avait mais c’était dingue. Je crois que la semaine où j’y étais, t’avais Onyx qui sortait le deuxième album. J’allais dans le métro, t’avais des mecs avec des looks incroyables, pour moi c’était un clip. Quand je suis rentré en France après ça, ma vie était bousillée, je pensais qu’à ça.

Pro176 avec Cope2 en 2014, Marseille

 

J’ai donc commencé graffer vraiment sérieusement sur Paris. Il y avait un crew qui s’appelait Underground King avec un style américain de ouf. C’étaient des anciens, je les kiffais déjà quand j’étais plus jeune. À un moment donné t’as un mec du crew qui s’est barré, c’était Chaze et il a voulu monté une autre équipe : la Grim Team. C’est Stephen du groupe de hardcore Kickbak, qu’on voyait souvent, qui trouve le nom. Moi je suis rentré direct dans le crew avec Colorz puis d’autres gars sont rentrés dans la foulée. La spécificité de cette équipe c’était d’avoir un style new-yorkais. On avait des Avirex, des dents en or, on était sapés comme Mobb Deep, c’était notre délire. On vivait comme à New York en étant à Paris. On était réputés et détestés pour ça, parce qu’on abusait un peu sur le truc. C’est le style que j’ai gardé jusqu’en 2000, après j’ai fait évoluer la chose et ça s’est transformé en Galaktik (on y reviendra, ndlr).

J’ai revu Mode 2 en 96-97, on a fait des murs ensemble, j’avais gagné mes lettres de noblesse dans le graffiti parce que pour accéder à lui il faut quand même avoir un style, une éthique et une histoire. À partir de là, on s’est revus régulièrement comme dans une grande famille, dans des festivals, des expos.

On faisait parler de nous à cette époque sur Paris, on faisait même des radios. J’ai un souvenir genre de 95 ou 96, je faisais une radio, je pense que c’était sur Fréquence Paris Pluriel, pour parler graffiti vandal donc en gros pour raconter qu’on défonçait des lignes de métro quoi. J’avais dit à ma mère que je passais, elle a écouté et elle a pété un câble. Elle a appelé la radio (rire) ! Elle était choquée. Les mecs de la radio étaient sur le cul. Elle est passée à l’antenne et elle disait « mais qu’est ce que tu fais ? » Ma mère était anti graffiti à cette époque, elle me faisait la guerre.

Photo par Fahuit

 


« Affiliés à La Cliqua, on était une des premières street team de Paris »


 

Grim Team était affiliée à La Cliqua. (D’après différentes interviews, la connexion entre la Cliqua et Grim Team se serait faite par Chaze, associé Jr Ewing, producteur et dj de la Cliqua, dans le magasin de disque Le LAB, ndlr). On faisait les logos, le graf, les stickers. Ils ont fait appel à nous parce qu’on avait la réputation d’arracher Paris donc là on faisait pareil mais avec des autocollants. On collait les stickers comme si on taguait. Sur les vitres de l’escalator de Chatelet, on avait posé un R.O.C.C.A. en stickers avec plusieurs épaisseurs. On appelle ça un bloc en graffiti. La promo de l’album « Entre deux Mondes » de Rocca était dingue. Les mecs de La Cliqua étaient super hip hop donc ils connaissaient à fond notre taf et savaient ce qu’il fallait nous demander. On était une des premières street team de Paris. Après nous plein de boîtes se sont montées. Texaco a monté la sienne. Ca a donné du taf à des gens.

Indirectement, via Arsenal Record (Label de La Cliqua, ndlr) qui avait un deal avec eux, c’était Barclay qui investissait pour notre street team. Et quand ils ont vu la force de frappe que ça avait ils nous ont engagés pour être la street team de Jay-Z en France. Ca leur coûtait moins cher de faire ça que des affichages. Ils nous louaient carrément des Renault Espace. On descendait à Marseille, à Lyon et on faisait comme à Paris, on défonçait les villes de sticks. On se faisait des bouteilles de Whisky Coca, on appelait ça la synthèse, on était bien chauds. Quand on était à Marseille et qu’on collait du Jay-Z ça allait mais quand on faisait Rocca ou La Cliqua, c’était un peu plus tendu. C’est pas comme aujourd’hui, il y avait vraiment un truc entre Paris et Marseille. Un jour pendant un match PSG-OM, on avait dû faire semblant de supporter l’OM face à des mecs un peu menaçants qui s’approchaient de nous en klaxonnant.

Puis j’étais tout le temps en studio avec les mecs de la Cliqua, on appelait ça le Fourchelyne Zoo en référence au métro La Fourche. Il y avait plein de monde. Il y avait Lunatic qui traînait là-bas. C’était une époque de fou ça aussi. Je suis même dans un clip de Rocca, La Fama. J’y tiens une valise de billets à Rocca. Sur mes derniers projets, il y a des prod de Gallegos et lui en fait c’était dj Jelahee, le dj de la Cliqua à l’époque. Il est chez Grim Team aussi.

Je me retrouvais en studio avec Daddy Lord C et je rappais vite fait. Daddy au micro…Laisse tomber. Je n’étais pas encore prêt. Quand t’as des mecs comme Daddy ou Rocca à côté de toi ça te met la pression, un peu comme avec Kery James, ces mecs là avaient un niveau au micro. Rapper en studio avec eux, c’était déjà un honneur pour moi. Je suis un mec en retrait moi. Déjà avec la Mafia K’1 Fry je l’étais. J’étais surtout dans la rue à taguer, j’étais un traineur, je ne voyais pas le truc professionnellement comme eux le voyaient. Ils investissaient des tunes, je voyais des sous rentrer, des labels, des bureaux. Puis c’était avant le MP3 donc il y avait du vrai bif à cette époque. Je les suivais partout, sur Skyrock, dans les concerts. C’était Jr Ewing et Chimiste surtout qui géraient leur business.

En fait mon gars c’était Raphaël. Big up à Rafton. Lui c’est comme moi, je pense que la rap l’a dégoûté, il avait une place à se faire. Il n’a pas pu dompter le business et la vie de rue l’a rattrapé. C’est un talent gâché. Il aurait dû tout péter. Il avait tout : le style, la rue, le respect, la jeunesse, c’était un vrai b-boy. Avec le site des Ultra boys (collectif de graffiti dont nous reparlerons plus bas, ndlr), astro bastard.com, on avait fait des trucs avec lui plus tard. Il s’était mis à rapper avec des petits de son quartier de Nanterre après La Cliqua. Des gars de mon équipe comme Soper, publiaient des mixtapes de rap cainris et Rafton était venu squatter le studio pour des freestyles. Il rappait sur du Company Flow, sur du Kool Keith, on l’avait reformaté le petit !  Je devais faire un morceau avec lui à l’époque de « Vocabulaire Granit » (album prélude de Profecy sorti en 2008, ndlr). J’allais souvent à Wrung qui me sponsorisait et lui aussi. On se croisait là-bas, on discutait, je lui disais de venir faire un morceau mais il est tombé en prison à ce moment-là. Il y a même Jr Ewing qui m’avait appelé pour faire un morceau avec Rafton il y a quelques années.

Donc j’ai eu deux centres de formation sympathiques en fait. J’ai bien cogité mon art avant de me lancer en musique.

 


« À Londres, il fallait tout voler, de la bouffe aux bombes, se défoncer, peindre des métros, éclater des rues, aller en rave et voler, voler, voler »


 

Après tout ça je pète un plomb. Je ne suis pas vraiment dans la musique, et je me dis que le graf je peux en faire partout. Donc je vais à Londres. On est en 97. Londres c’est assez fou, assez free. J’ai un pote qui fait du graf là-bas qui s’appelle Zombie, leur crew c’est DDS, des mecs super connus à Londres dans le graffiti, très vandales. Je devais rester avec eux une semaine et je suis resté environ un an. J’étais dans le quartier de Brixton, un gros ghetto de Londres. Je vivais chez mon pote Zombie, on était cinq dans son appart. J’ai pas fait l’armée mais j’ai fait Londres. Déjà c’est méga cher, tu paies ton loyer et l’électricité à la semaine. J’étais dans une cité avec des gars de cité, qui font du graffiti, qui sont pourchassés par le gouvernement, qui sont dans des reportages sur la BBC tellement ils ont vandalisé Londres et qui font des allers retours en prison en permanence. Je reprends le graffiti avec eux, mais durement.

Le graf là-bas, ça ressemblait à New York en 1984 je pense. Il fallait tout voler, de la bouffe aux bombes, se défoncer, peindre des métros, éclater des rues, aller en rave et voler, voler, voler. J’ai quand même bossé un peu à un moment dans un resto mexicain mais après j’ai complètement pété les plombs. On dépouillait des gars dans des raves party, on vendait ce qu’ils vendaient, on volait aussi des pellicules ou des trucs comme ça qu’on vendait aux étudiant des beaux arts parce que l’un de nous était connecté là-bas. Le but final c’était graffiti et rave party. D’ailleurs tu peux voir des tags à moi dans le clip de Basement Jaxx tourné à Brixton, Jump’n shout. C’était une période complètement folle parce que j’étais complètement libre.

Je parlais toujours très mal anglais en arrivant, j’ai appris là-bas en fait. Et surtout j’ai appris le rap en anglais. Ils m’ont appris les lyrics, les techniques. Ils m’expliquaient tout. Il y avait My name is d’Eminem qui arrivait à Londres parce qu’il était sorti sur des mixtapes avant l’album, c’était avant que ça explose en France et je me souviens de Zombie qui était mort de rire avec le morceau. Pourtant ils écoutaient que des trucs vénères de caillera finis, du Kool G Rap. Mais ce truc là ça les avait traumatisés, ça correspondait bien à notre ambiance soirée et guedro. Les paroles étaient complètement folles pour l’époque, même s’il y avait d’autres gars fous en lyrics, genre Cage. Ils m’expliquaient les métaphores et à ce moment là j’ai compris comment ça se faisait, les sens, les triples sens. C’est super dur de comprendre le rap quand t’as pas les bases avec l’argot. Après ça j’ai bien capté le rap en anglais. Je me suis refait tous les albums et j’écoutais des trucs obscures, des trucs du gouffre. C’était l’époque de Rawkus Record, ça partait vraiment en industrie de malade. Mes groupes préférés c’étaient Cannibal Ox et Kool Keith. Comprendre le rap américain, ça aide pour mieux écrire. Booba c’est le meilleur écrivain, il a des phases dingues. C’est parce qu’il comprend le rap cainri, ça se voit dans la manière d’écrire. Des mecs comme ILL pareil. Ils avaient compris la manière donc les cainri tournaient leurs phrases. En France ils ont toujours dit que les cainri écrivaient moins bien que les français mais c’est une légende complètement folle ça. Je préfère l’écriture américaine moi mon gars. Quand t’entends BIG L, Jadakiss, NAS, JaY-Z mais comment tu peux dire ça ? Et je pense aussi à Fred the Godson qui est mort hier à 35 ans du Covid de merde, j’ai même versé une larme. C’est un des meilleurs rimeurs que j’ai jamais entendus.

Finalement je suis revenu de Londres parce que ça partait en couille, c’était serrage de partout. On sentait le vent tourner, un peu comme à Paris plus tard avec le procès de Versailles où ils ont serré tout le monde (Le procès de Versailles voit comparaître 56 graffeurs en 2005, ndlr). Donc sentant que ça tournait, un peu comme avec la Mafia K’1 fry, je suis parti, je suis rentré en France.

 

Percer dans le rap : une touche d’espoir

Une tournée avec Assassin et un premier album

 J’avais rien en France, pas de tune, rien à faire. On avait connecté des meufs à Paris, qui nous avaient présenté des gars qui graffaient en Belgique, c’étaient les équipes De Puta Madre et Starflam. Donc je suis parti là-bas

Je suis allé souvent en Belgique à cette période et j’y volais aussi beaucoup parce que c’était beaucoup plus facile qu’à Paris. Moins de caméras, moins de bips dans les magasins, villes plus petites. À Paris les magasins avaient compris, il y avait déjà eu trois ou quatre générations de graffeurs voleurs, donc comme la RATP, ils s’étaient adaptés. En Belgique c’était beaucoup plus cool, ils n’avaient pas vraiment ce vice encore donc les magasins ne faisaient pas attention. Par exemple, on allait dans des fast food, on se faisait préparer des sandwichs et on se barrait avec.

De 98 à 2000 je squattais beaucoup Liège et Bruxelles. On a créé une autre équipe avec les gens de là-bas dont mes potes Jaba et Recto de Liège qui étaient aussi chez Starflam en tant que graffeur. Notre équipe on l’a appelée les Ultra Boys en référence au groupe de Kool Keith, Ultramagnetic Mcs. Je pense que c’est aussi à cette époque que je commence à prendre le blaze de Pro176 en référence aux states et à mon année de naissance. Je kiffais être là-bas, c’était pas Paris donc pas caillera vénère, la Belgique était dans une ambiance plus hip hop. Les breakers belge c’est comme les allemands, des “styleurs”. Ca parlait beaucoup anglais aussi. Même aujourd’hui tu vois tous les mecs qui ont explosé ils ont une vraie culture hip hop, ils ont ce truc d’être aux confins de plusieurs pays, près de la Hollande, de l’Allemagne, de la France, ce qui leur donne plein d’inspirations. Les Starflam c’étaient des gars méga hip hop. Kaer des Starflam finira d’ailleurs par rejoindre la Grim Team en 2000, le crew était devenu international avec des gars de DDS à Londres, et des belges, on se connectait avec toute l’Europe à force.

Starflam avait déjà sorti un album et ils voyaient que je voulais rapper donc ils me faisaient monter sur scène. Plus tard on m’entendra à la fin du premier morceau de l’album « Survivant ». Je crie dessus et je fais un truc comme RZA fait à la fin de Protect ya neck du Wu-tang, quand il introduit tous les membres. Je suis aussi en feat sur Le Vice.

Un jour je suis en studio avec eux et à ce moment-là Rockin’ Squat débarque (leader et dernier emcee du groupe Assassin à cette période, ndlr). Il devait faire un featuring avec eux, ils se connaissaient, ils avaient déjà fait des choses ensemble. Je connaissais les sons de Squat mais je ne le connaissais pas personnellement. Pour moi Squat c’était pas seulement Assassin c’était aussi CTK, leur groupe de Graffiti avec Mode 2, Saï, Bando, Joey Star etc..CTK et BBC sont les deux équipes qui m’ont le plus influencé dans le graf à Paris.

Pyroman était avec lui ce jour-là. Ils s’étaient connus un an avant moi je pense, quand Pyroman avait envoyé une démo à Squat. On s’est retrouvés à faire un morceau tous ensemble pour l’album de Pyroman, « Le Jour Py ». Le morceau c’était Par temps de pénurie. On l’a enregistré à Liège, moment de fou. C’était la première fois que je posais un couplet sur un disque en fait, sur un disque qui sort en tout cas.

Rockin’ Squat hallucinait sur moi, sur le graf. Il voyait bien que j’étais b-boy à fond, toujours avec mes dents en or et mes Avirex, dans ma tête c’était le Queen’s. J’étais bousillé. Je connaissais les lyrics de Khadafi par cœur, j’étais vraiment incollable sur plein de trucs.

Donc on fait le morceau, le truc tue, bonne vibe et naturellement quand je suis rentré à Paris on a décidé de faire des trucs ensemble avec Squat. Dans Assassin à ce moment-là il y avait lui qui s’occupait surtout de Pyroman et il y avait Madj qui s’occupait surtout de La Caution. Je traînais surtout avec Squat au début.

 


« C’est Rockin’ Squat qui m’a donné les premiers studios, mes premiers plans »


 

De fil en aiguille on a commencé à plus se lâcher, je le suivais partout. La vibe hip hop de Squat était forte aussi, on s’apprenait beaucoup, il m’a transmis plein de trucs. Il a toujours eu une vraie influence dans le rap français. Par exemple, bien avant tout ça, le cousin de Squat connaissait les mecs d’IAM, il traînait avec eux, il a même appris à Booga à rapper, c’est un ancien. Un jour il a donné la K7  d’IAM, à Squat et Joey et la K7 s’est retrouvé chez Delabel. Squat a le nez pour repérer les gens. La Cliqua, Vald et plein d’autres étaient sur « L’underground d’exprime » avant de se faire connaître. Il a du flair et c’est le premier dans le rap qui a vu mon potentiel et qui a vraiment voulu bosser avec moi. Il a misé sur moi.

C’est lui qui m’a donné les premiers studios, mes premiers plans, imagine un mec que t’écoutes depuis petit et qui te donnent tant de possibilités. J’avais déjà un nom dans le graf, donc quand je trainais chez Delabel via Squat par exemple, parce qu’Assassin travaillait avec eux, les mecs me remettaient parce que j’avais floppé partout dans leur quartier. Ça m’a ouvert des portes pour bosser sur du graphisme, des pochettes, des affiches.

Squat m’a entre autres filé le plan Hostile via Delabel et via Benjamin Chulvanij que je connaissais déjà un peu via le graf. Benjamin taguait Dama à l’ancienne, il était plus vieux donc je le croisais pas trop au début mais plus après. Il était coursier puis il s’est infiltré chez Delabel avec Tonton David. Je le voyais souvent à l’époque de la Cliqua à Skyrock ou autre mais parce qu’il cotoyait JR Ewing et Chimiste via le business. Il a toujours eu la vision pop. Je pense que c’est lui qui avait la bonne vision au final et j’ai la même que lui aujourd’hui dans la peinture. Il fallait que tout le monde comprenne la musique pour lui, nous on était trop intégristes.

Pour sa compile « Hostile 2000 » en fait il demande à des mecs connus de ramener un mec pas connu. Donc Squat a pensé à moi direct. C’est là qu’on a fait le morceau Sombre Poésie. Squat m’a ramené aussi sur quelques mixtapes comme ça. Il me développait en fait.

Sur Hostile, plus tard en 2003, j’ai fait ce morceau avec le groupe hardcore de Kickback. C’étaient des gros potes à moi, pas plus tard qu’hier je parlais encore avec eux. Ils étaient avec nous et c’est aussi via le graf qu’ils ont connu Benjamin Chulvanij et donc fini sur Hostile. Le label débarque avec eux en fait. C’est du hardcore d’inspiration new-yorkaise. J’ai déjà fait des concerts avec eux, où il y avait Madballs à l’affiche, un groupe de hardcore de New York. Et ces mecs-là écoutaient du Mobb Deep. Tous ces gens étaient aussi dans des crews de graffeurs. Si tu prêtes l’oreille, si tu captes les paroles, tu verras que c’est la même famille que le pera. Un des meilleurs concerts que j’ai faits c’était avec eux, c’était autre chose que le rap, je m’en rappellerai tout ma vie. Il y avait des pitbulls, tout le monde se tapait, tout le monde s’insultait, c’était encore un autre monde par rapport aux raves.

A cette époque les home studios n’étaient pas très répandus mais Assassin Production en avait un aux Lilas où pas mal de monde traînait, notamment les gars de La Bande des 4 (marque montée par Madj et Dawan pour mettre en avant les artistes qu’ils affectionnaient par le biais notamment des projets “Avant Garde”, ndlr). On pouvait enregistrer et faire des maquettes tranquille là-bas, c’était un laboratoire. Donc moi je le faisais, Pyroman et La Caution aussi entre autres. C’était une émulation de ouf. Il y avait tout le temps des mecs qui passaient, comme les TTC. Tout ça c’étaient les groupes que Madj ramenait en fait. La Caution, TTC, c’était son truc. Certains étaient surpris qu’on nous voit tous ensemble car en apparence on était très différents mais en fait on écoutait tous les mêmes sons. C’est ce qu’a donné ce freestyle sur « La Contrebande mixtape », c’était ouf ce truc. C’est moi qui ai ramené le beat. J’avais acheté le jour même un maxi de Necro. Je suis arrivé je leur ai dit » les mecs on rappe là dessus ». Je leur ai fait écouter l’instru et direct ils ont fait « on rappe là-dessus ! ». Que ça soit Teki Latex de TTC, Hi-Tekk de La Caution, des mecs complètement différents peut-être, mais qui se retrouvaient toujours en termes de musique.

Ce freestyle s’est fait super vite, on a écrit en studio et il fallait déchirer, on n’a pas fait 50 000 prises. Pour ce genre de trucs c’était bourré de weed partout, ça fumait de ouf, j’ai des souvenirs qu’avec Hi-Tekk, on s’enfumait mon pote. T’avais Mouloud Achour qui venait traîner en studio. C’est marrant de reparler de tout ça quand je vois aujourd’hui comment tout ce monde a évolué. J’apparaissais deux fois sur « La Contrebande Mixtape » , il y avait aussi le morceau Graffiti Muzik avec Rockin’ Squat et Kaer sur une instru des beatmakers de Starflam, ALB et Miguel (aka MigOne, ndlr ) le frère de Jaba de Ultra boys.

 

 

On était quand-même studieux, on n’avait pas toujours eu la chance d’avoir un studio, donc on en profitait pour bosser. J’étais là pour l’enregistrement d’« Asphalte Hurlante » de La Caution parce que je faisais mon premier album en même temps, je peux te dire qu’ils l’ont fait en peu de temps, ça bossait. On m’entend beaucoup sur l’album je parle derrière, je disais plein de trucs, à un moment c’est moi qui dit « s’il y a le feu appelle pas les pompiers ». C’est R.A. the Rugged Man qui m’avait inspiré ça, il l’avait fait sur l’album de Company Flow. J’ai posé aussi sur le morceau Entre l’index et l’annulaire.

En parallèle à toutes ces mixtapes et tous ce freestyles, on bossait aussi sur l’album d’Assassin, « Touche d’Espoir ». Je faisais quasiment toutes les sessions studios avec Squat. Par contre ce n’était pas dans le home studio d’Assassin production mais au studio Davout (studio mythique de la Porte de Montreuil à Paris qui a fermé ses portes en 2017, ndlr). Parce que Squat était encore chez Delabel qui squattait beaucoup ce studio. C’était autre chose, c’était monumental. Ils enregistraient des orchestres là-bas. Les salles étaient dingues, les consoles étaient dingues.

Je le suivais même à Marseille. C’était un marseillais qui avait composé le beat de Touche d’Espoir (Mounir Belkhir qui avait notamment bossé avec Les Nubians et Prodige Namor, ndlr). Même au dos de la pochette de l’album, il y a des tags à moi sur l’Arc de triomphe en photoshop. J’étais là tout le temps, j’ai tout vu sauf quand il est allé à New York pour le feat avec R.A. the Ruguedman. Je pense que si Squat a fait ce morceau c’est parce que moi j’écoutais R.A. à longueur de journée. Il connaissait mais il voyait qu’avec les Kickback on était pétés à ça. C’est grâce à Stephen de Kickback que j’ai connu R.A. parce que longtemps avant, un jour je débarque chez lui et il me fait « putain il y a un nouveau mec, il est pire qu’ODB, il marche dans la rue pieds nus, il est complètement dingue, il fait des clips de ouf ». Ça l’avait marqué parce que dans le hardcore ils aiment ça. R.A. avait aussi une culture cinématographique de ouf, le mec a quand-même cité Jean Rollin (ndlr, réalisateur français) dans le morceau avec Squat. Pour un cainri, il faut connaître mon pote ! C’est mon titre préféré avec Au fond de mon cœur sur le beat de Dj Mehdi.

Oui je pense que globalement l’entourage de Rockin’ Squat, avec des gens comme La Caution, Starflam, moi, Pyroman, a eu une influence sur le changement musical d’Assassin au moment de « Touche d’espoir ». On était plus jeunes donc on ramenait des nouvelles vibes. Moi c’est pareil dans la peinture aujourd’hui je traîne qu’avec des mecs plus jeunes que moi, ça me permet aussi d’avoir des nouvelles inspirations. Eternel apprenti comme dit Squat. Moi je lui disais « il faut que tu pètes cette instru », je le conseillais, après il a ses trucs et il avait le mot de la fin bien-sûr. C’était dans les deux sens, lui nous influençait grave aussi. Je pense qu’il s’est découvert une nouvelle famille à cette époque-là et ça duré longtemps, genre douze ans.

J’étais pas politisé. J’étais trop dans la rue pour lire des livres. Madj et Squat étaient très politique mais Squat il avait quand même le côté hip hop à mort. Et je trouve que ce côté là a pris le dessus sur l’album « Touche d’espoir ». La politique c’était bien mais c’était aussi important de se mettre à la page au niveau du flow et du style. C’est ça aussi le hip hop. Il l’a bien fait sur cet album. Malgré cela, il avait quand-même une image à honorer, donc il devait faire des thèmes en accord avec l’histoire d’Assassin.

Oui Assassin c’était un peu flou à cette époque, on savait pas vraiment qui il y avait mais c’est aussi parce qu’Internet n’était pas aussi développé qu’aujourd’hui, sinon on aurait fait un bordel. On aurait mis des caméras dans le studio des Lilas, on aurait fait des freestyles vidéos, ça aurait été autre chose. On était tout le temps ensemble et ça rappait tout le temps, vous auriez vu le truc comme ça. On a tous ligué nos armures pour l’équipe, on était tous dans le bateau, on était tous Assassin. C’était une bête d’équipe.

 


« Je ne voyais pas la musique comme Assassin mais plus comme un gars du Queen’s. Je calculais beaucoup moins »


 

Si être  affilié à un groupe de rap important a pu me faire de l’ombre ? Non pas du tout parce que j’étais libre à 100 pour cent. J’ai jamais changé pour Squat et il n’a jamais cherché à me faire changer. J’avais déjà un nom dans le hip hop parisien via le graf donc avant d’être Profecy d’Assassin, j’étais Pro de Grim Team. Quand j’étais avec lui c’est comme quand j’étais avec mes gars dans la rue, on kiffait la musique ensemble, on partageait un passion. C’était une histoire humaine avec tout, il y avait même pas le calcul d’être avec Assassin ou quoi.

C’était une évidence qu’on devait faire un morceau moi et Squat sur l’album, on faisait plein de morceaux pour des mixtapes, on avait le feeling en studio donc ça s’est fait naturellement. On a fait Condamné. Si c’est vrai que j’ai écrit le texte après une G.A.V ? Mais grave. Tout ce que je dis c’est vrai, dans tous mes textes. Le rap je l’ai vécu à la vibe, pas de stratégie, j’arrivais, je posais brut de pomme. À cette époque je suis encore à fond de graffiti. J’allais tout le temps en GAV. Tu peux me voir dans le clip de Touche d’espoir, même si c’est mal cadré, je pète tous les métros qui sont derrière Squat, il y a des tags à moi partout derrière. Même quand on faisait du rap, le week-end je partais faire des pièces.

Dans le morceau il y a carrément un bruit de DMX, un bruit de chien, j’étais buté au titre Ruff Ryder’s Anthem, donc c’est moi qui ai proposé ça.

Le regret c’est que j’ai pas choisi l’instru, comme pour le titre sur « Hostile 2000 » en fait. J’aimais bien le beat de Condamné, mais globalement le son de « Touche d’Espoir » ne collait pas à la musique que je voulais faire par la suite. On l’a bien vu sur mon premier album, « Le cri des briques », c’était vraiment un son spécial, c’était un son hip hop de ouf. Duke c’était un hip hop head (Dj Duke, dj d’Assassin sur scène à cette période, a aussi produit l’album « Le Cri des Briques, ndlr). On visait pas le même public que « Touche d’espoir ». Assassin c’est plus large, tous les albums sont disques d’or, je l’ai à la maison depuis 2005 à mon nom celui de « Touche d’Espoir ». Il y a un discours, c’est carré et moi là musique, je ne voyais pas ça comme ça. Je voyais plus ça comme un gars du Queen’s, je calculais beaucoup moins.

 

On faisait des radios. On avait fait Planète Rap sur Skyrock avec Assassin, j’étais bourré, j’insultais la radio en face de Fred Musa. Je crois même que je lui avais dit « nique skyrock » un truc comme ça. Je le détestais. Je détestais le mainstream à cette époque, je détestais Skyrock, ils me donnaient des boutons, pour moi ils prenaient l’oseille mais ils ne connaissaient rien du tout. Pendant le freestyle j’avais un couplet qui deviendra plus tard un couplet du morceau Contaminé sur mon premier album, avec la phase sur Stomy Bugsy (« Faut foutre des muselières aux nouveaux Stomy Bugs Bunny, dans le rap il y a une épidémie », ndlr). Pourtant j’ai du respect pour Stomy, Ministère A.M.E.R. ça m’a percuté quand j’étais petit mais je connaissais trop le rap américain pour me laisser berner. Tout ce qu’il faisait je voyais où il l’avait pris. Alors que s’il était resté en mode Minister A.M.E.R. il aurait fini en Mafia k’1 Fry. Les mecs se sont frottés à vouloir jouer les 2pac mais ça a mal vieilli, c’est du grand public en mal fait. Quand les cainri font du grand public il font pas ça, ils restent toujours un peu crus, un peu durs. C’étaient des copies en moins bien. À côté de ça jamais je cracherais sur un mec comme Doc Gyneco et qui cracherait sur « Première Consultation » ? Il a réussi à toucher tout le monde avec de la musique bien faite. C’est pour ça que je kiffe les mecs comme PNL aujourd’hui, parce que ce ne sont pas des copies. Au moins si tu copies, fais le bien comme La Cliqua. Ils étaient à fond New York mais ils le faisaient super bien.

 


« Pour moi la musique c’était mettre ses forces dans un truc en commun. Je voulais que le truc me passe au-dessus. C’est peut-être ça qui m’a baisé »


 

Après tout ça on enchaîné la tournée, c’était une première pour moi, pour La Caution, pour plein de monde. Et là Squat nous a appris à tenir une scène. Duke a été un vrai chef d’orchestre aussi, sans lui ça n’aurait pas été la même. Grâce à Squat on a appris le métier. Sur la première tournée, il y avait du monde : La Caution qui faisait les premières parties, Starflam qui en a fait quelques unes aussi, Pyroman, Lyricson, le meilleur reggaeman de France pour moi, Aro, Riman, qui était un peu le petit à Squat, et Taïro.

C’était important pour moi la scène, jusqu’à la sape, un mec qui arrive sur scène sans être pas sapé c’est inconcevable pour moi. Les mecs arrivaient des fois t’avais l’impression qu’ils allaient acheter le pain. Pendant la tournée, c’était les débuts d’internet, j’avais pas trop de tunes et je me battais pour avoir des sapes. Je ne voulais jamais avoir les mêmes habits sur les photos.

L’idée c’était surtout d’être là pour backer Squat. C’est du sport d’être un bon backeur. Déjà Il faut être un rappeur. Si tu sais vraiment rapper, tu vas anticiper les mouvements, tu sauras faire les chutes, t’auras le charisme pour tenir une scène. J’ai révisé, j’ai regardé plein de bakers américains. Pour la première tournée, on était plusieurs à faire les backs mais pour la tournée de 2009 j’étais seul avec Squat sur scène, chose que je voulais faire depuis le début en fait. J’ai regardé des mecs comme Memphis Bleek avec Jay-Z, et d’autres mecs qui ont du charisme et qui sont sérieux là dedans, pour m’inspirer de leur travail. Frustrant d’être backeur ? Non parce que l’énergie était trop bonne, moi j’étais à 100 pour cent dans ce que Squat disait, pour moi c’était mettre ses forces dans un truc commun. Je voyais la musique comme ça, comme une synergie, ne pas se voir que soit. C’est peut-être ça aussi qui m’a baisé dans le rap. Je voulais que le truc passe au-dessus de moi.  (Duke sur l’abcdrduson.com “Pro est un très bon backeur. Je pense même que c’est le meilleur qu’on ait eu avec Assassin ndlr)

Sur la première tournée, dés le départ, Squat ne voulait pas que je me limite à ce rôle de backeur, c’est lui qui m’a incité à faire des morceaux pour pouvoir les jouer sur scène, et c’est comme ça que 400ml est né.

Duke a des morceaux de ouf de moi et La Caution, on enregistrait des trucs à moitié bourrés en sortant de boîte, des trucs qu’on a jamais sortis évidemment. Suite un concert à Lyon on est partis dans son studio. On fait un morceau tous ensemble et après Duke me sort une instru qui, selon lui, collerait bien pour moi. C’était l’instru de 400ML. Donc moi je roule un oinj et vas-y on le fait. Les autres étaient partis, il restait Duke et moi, et je l’ai fait en super rapide, vraiment en despee. J’ai écrit là-bas. À l’époque comme on vivait vraiment complètement là-dedans, les phases venaient super rapidement. J’avais des cahiers remplis. La nuit je me réveillais et je notais. J’arrêtais jamais. On a fini le morceau, je l’ai fait écouter à Squat et il m’a dit « vas-y ça tue on le fait en tournée ». Donc je le jouais sur les dates.

 


« Les autres avaient des groupies, des fans et moi j’avais les tagueurs. Des fois j’étais jaloux »


 

Je faisais tout le temps des graffitis sur scène, il y avait des trucs exprès, des panneaux pour que je fasse des flops. Donc entre ça et le morceau, tous les tagueurs des quatre coins de la France m’attendaient à la sortie des shows. Les autres avaient des groupies, des fans et moi j’avais les tagueurs. Des fois j’étais jaloux, je les voyais dans des bonnes vibes pendant que je partais faire des tags (sourire).

Le rappeur des graffeurs ?  Je ne sais pas mais disons qu’il n’y avait pas beaucoup de mecs du graffiti qui faisaient du rap. Je parle des vrais mecs du graffiti, pas des NTM qui ont tagué pendant trois ans et puis ciao. Des vrais graffitis, faire des murs, des métros, des trucs élaborés, dessiner des sketchs de bâtard etc…Il y a très peu de rappeurs qui l’ont fait comme moi je l’ai fait en France. Et qui ont sorti des projets, encore moins. Les gens se reconnaissaient dans ce que je racontais sur 400ML parce que c’était vrai, les mecs qui faisaient du graf, c’est ce qu’ils vivaient. Dans le morceau je raconte un mode de vie, je raconte la galère, même le suicide. Quand j’ai fait 400ml c’était un bilan en fait, j’avais tourné la page de cette vie au moment où j’ai fait le morceau c’est pour ça que je dis « ¼ de siècle complètement ken ».

Pour moi les graffeurs sont les mecs les plus hip hop et c’est aussi ce que je disais dans le morceau, c’est pour ça que beaucoup de gens se sont retrouvés dedans. Le graf c’est le truc du hip hop le plus dur. C’est des vrais risques. Qu’est ce que tu vas prendre dans le rap ? Une plainte du ministère de la justice pour des insultes ? Tu vas payer une amende au pire. Mais nous c’est de la prison mon pote, des amendes chiffrées à 600 000 euros, des trucs qui vont te mettre sur le carreau. Et tu gagnes rien. À l’époque il n’y avait pas les galerie. C’était hors de question, on était des extrémistes, on ne voyait pas la nuance. Un peu comme dans le rap c’était « nique l’industrie ». Donc quand tu les représentes, ces mecs-là suivent à fond.

A l’Olympia d’ailleurs ils avaient mis un faux métro sur scène. L’équipe Grim Team était venue pour l’éclater pendant que je jouais 400ML. C’est pas dans le DVD sur la tournée ça. Je suis dégoûté de n’avoir aucune image de cette séquence. Et pendant toute la soirée les gars de mon crew ont pillave à fond et avec eux quand ça pillavait, c’était pas à moitié. Je vais pas faire l’innocent, j’ai bu aussi, on n’a pas arrêté. À la fin de la soirée les mecs de l’Olympia me pécho avec une éponge en mode « maintenant tu vas nettoyer les tags de tes potes ». Ils étaient tellement bourrés qu’ils avaient commencé à arracher l’Olympia et à faire des tags partout, dans les chiottes, partout. J’ai réussi à esquiver, j’avais l’habitude de ce genre de vice (sourire) mais j’étais dégoûté quand même quand j’ai appris ça. C’était un endroit où il ne fallait pas le faire. C’était pas ça le graf pour moi, il ne fallait pas exploser l’Olympia lors d’une soirée hip hop comme ça.

Faire cette salle c’était ouf. Il y avait ma mère, ma sœur. Elles ne savaient que je faisais du rap à ce niveau-là. Je les ai invitées en mode « venez me voir, je suis à l’Olympia ». Première fois qu’elles me voyaient en concert. Je les ai dédicacées à la fin du show, après le morceau Au fond de mon cœur, qui d’ailleurs était fou sur scène. Elles étaient contentes.

 


Video Profecy – 400ml Live

Les vidéos ci-dessus et ci-dessous sont deux extraits de DVD “Assassin live : Le Film”. La première représente une séquence ou Profecy interprète 400ml pendant la tournée dans les gradins de l’Olympia avant le show et sur une scène qui n’est pas celle de l’Olympia.


 

Toute la tournée c’était ouf, toutes les scènes étaient folles, tous les déplacements étaient fous. Ce qu’est bien avec Assassin c’est que tu sais que tu vas rapper devant un public. Tu ne risques pas d’arriver devant une salle vide. Ça m’a appris trop de choses, à contrôler mon souffle, à me lâcher sur scène. Souvent c’était pas la même que l’Olympia. Roubaix, Tourcoing, tu connais les concerts là-bas ? Des fois c’était tendu. Si tu leurs signes pas un autographe, les mecs te niquent ta soirée. Nous on était humains c’est pour ça que les gens nous aimaient bien. Quand des caillera montaient sur scène pour faire n’importe quoi on les laissait faire leur truc et au bout d’un moment on leur demandait de descendre gentiment mais ça se passait bien.

C’était une colonie cette tournée, des souvenirs il y en a pleins. C’était une des meilleures expériences de ma vie. J’étais foncedé h24, on me donnait de la beuh de partout. Des mecs venaient me voir avec des tubes de smarties remplis de weed, ils voulaient me faire kiffer avec la récolte de l’année. Il y avait des meufs qui me passaient des oinj sur scène avec leur numéro de téléphone. C’était la première fois de ma vie où je découvrais un peu le succès, c’était marrant. À cette période on sentait une petite popularité monter quand-même ce qui peut avoir tendance à me faire fuir mais là c’était cool. Si un mec venait me voir, je savais qu’il connaissait l’histoire. Je pouvais parler avec lui, il avait de la culture. Que ça soit par le graf ou par Assassin, pour me connaître il fallait s’y connaître. C’étaient des gars hip-hop qui venaient. On m’a jamais demandé de selfie à la con ou alors c’était après une bonne discussion. C’était une communauté.

On se tenait bien en général, on ne faisait pas n’importe quoi, on n’était pas des ouf, on avait une image. Bon des fois ça partait en sucette totale. Ca nous est arrivés d’aller dans les piscines de nos hôtels à 3h du mat, complètement bourrés après les concerts. On a aussi cassé des chambres d’hôtel. Il y avait la partie Squat et Madj, c’était un peu les darons, surtout Madj, et il y avait la partie freaks avec Duke, moi, La Caution, Pyroman etc… On avait une dizaine d’années de moins qu’eux quand-même. Moi j’avais 25 ans, c’était la jeunesse. Un jour on a fait un concert, peut-être dans le Jura ou à Pau. Là l’hôtel qu’on avait était en face d’une zone commerciale. Moi j’étais assez chaud sur le whisky, je buvais beaucoup de Jack Daniels’ à cette époque. Donc je suis parti, j’avais des bombes et j’ai éclaté la zone commerciale, j’ai fait des flops, des tags partout. Les keufs sont arrivés, ils étaient en train de ficher l’hôtel, ils avaient leurs lampes, nous on était cachés sous les fenêtres. Ca pouvait partir comme ça des fois mais c’était drôle.

Souvent,  ll y avait des afters chez des fans qui t’invitent dans des maisons de ouf. Dans le public, il y avait de tout, c’est ça qui tue avec Assassin. Les gens s’imaginent que c’est un public d’un certain type mais j’ai tout vu. T’avais des concerts en province genre Annemasse avec que des mecs de rue, des concerts dans des festivals avec un public rock ou techno, puis des gens de tous milieux…La réputation d’Assassin sur scène est grande donc les gens de tous styles, de toutes cultures viennent.

Dans une loge lors du “Tour de l’espoir” // De gauche à droite : Profecy, Riman, Pyroman, Dj Duke, Lyricson, Rockin’ Squat, Taïro // Photo fournie par Duke

Après la tournée en France, on a enchaîné sur des dates au Brésil, avec tout le monde. Là aussi un truc dingue. Le jour où on part au Brésil c’est le 11 septembre 2001, on est tous sous champagne, tous rébou. Et là une un hôtesse vient nous annoncer qu’une tour est tombée à New-York. Puis elle revient nous annoncer que la deuxième tour est tombée. On a atterri au Brésil, bon déjà c’est la guerre dans le Monde, tout le monde m’appelle, je dois rassurer ma mère etcetera. Et là-bas le soir c’était samba vu qu’il déteste l’Amérique. Incroyable expérience.

On était là-bas pour un concert avec le consulat français, puis une fois là-bas on a connecté plein de groupes locaux. Squat y a même, plus tard, produit un groupe qui s’appelle Z’africa Brasil, de Sao Paulo.

Ce sont des grands souvenirs. Au Brésil, c’est la musique pure, ce sont des magiciens, trois bouts de cartons, deux baguettes. J’ai repris aussi des vibes là-bas. New-York me gavait et là j’ai découvert un autre truc. Le baile funk, leur funk locale qui n’est pas pompée sur les Etats-Unis. Ils ont aussi leurs propres graf, un style bien à eux. Ils en ont rien à foutre des States, les mecs dans les favelas me disaient « nous on respecte Wu-tang et Snoop mais les autres on leur jette tout dans la gueule ».

L’histoire avec Assassin a créé des amitiés durables. Par exemple les mecs de La Caution j’étais H24 avec eux. Je me souviens de discussions interminables dans le bus de la tournée Assassin avec Nikkfurie. C’était un insomniaque comme moi, j’ai refait le monde avec lui 1 500 fois. On écoutait les mêmes trucs, on avait la même vision mais on se copiait pas, on avait chacun notre marque de fabrique. C’étaient des relations super enrichissantes.

En 2001 au Brésil avec entre autres, Duke, Profecy, Taïro, Rockin’ Squat et des artistes brésiliens // Photo fournie par Duke

 


 « On rentre dans la pièce (…) RZA boit du whisky à la bouteille et une meuf lui étanche la gueule avec un mouchoir brodé où c’est écrit “RZA The Rzarector” »


 

Le meilleur souvenir de toute cette période arrive juste après la tournée. Je suis chez moi dans mon appart à Paris, c’est morose. Comme j’écrirai plus tard sur l’album « Vocabulaire granit », « passer de l’Olympia à la rue c’est tendu ». Donc je galère chez moi, je suis avec mon pote Kaer de Starflam, il vient à Paris pour faire des graf comme souvent. Et là le téléphone sonne, c’était Rockin’ Squat qui me dit « j’ai un plan de ouf, je suis avec RZA et il y a moyen de faire un morceau avec lui ». RZA faisait sa compile où il faisait poser des emcees du Monde sur ses beats dont des français (The World According to RZA avec la présence notamment d’IAM, du Saïan Supa Crew, des N.A.P., Passi et Bams ndlr). Faut se remettre dans l’époque, 2002-2003, le Wu-Tang c’est toujours bien présent. Je regarde Kaer en mode « c’est quoi ce délire ? ». Donc on prend un taxi, boom on va à l’adresse, je crois que c’était aux studios de la Seine à Bastille mais pas sûr, et là à la porte, boom un gros renoi. Donc on rentre avec Kaer, on voit Squat en mode excité « mais il est là RZA ? » On entre dans la pièce, il y a RZA avec deux meufs méga bonnes à la console et Choco qui est un des ingénieurs du son de Tribe Called Quest. RZA boit du Whisky à la bouteille et une meuf lui étanche la gueule avec un mouchoir brodé où c’est écrit « RZA The Rzarector », imagine. Donc Squat nous présente et RZA nous dit « bon on va faire un morceau les mecs ». Et là mon gars je ne veux plus rapper, dans ma tête il y a un blocage, là c’est RZA, c’est Protect Your Neck bordel. L’ingénieur était plus à la cool que lui, je commence à sympathiser, on parle de rap et lui c’était une pointure de ouf, il connaissait tout. Je vendais de la weed à l’époque et sur moi j’avais une weed de bâtard, je la sors, l’ingénieur fumait mais RZA non. Par contre il a reniflé la weed et il commence à dire « What’s that stuff ?! », «  t’es un bon gars toi, où t’as trouvé ça ? » et il commençait à kiffer. Avant il avait vu IAM et Saïan mais là il voit un mec en Avirex, avec des dents en or, en Timberland qui lui raconte tout le Wu-Tang, c’était pas la même. Je lui sortais tout ce que je connaissais. J’étais comme un ouf. Donc on s’est détendus.

Il nous fait écouter des beats mais que des beats de ouf. C’était dingue. C’était un rêve. On choisit un premier beat et le premier qui doit rapper c’est Kaer. Le premier truc que RZA dit à Kaer c’est « Tu vois U-God dans tel morceau ben tu fais comme lui » « ah tu parles espagnol en plus, ben vas y, rappe espagnol ». Le pauvre Kaer il a trop la pression, c’est un belge il vient à Paris et il se retrouve en studio avec RZA, il avait pas du tout prévu ce truc là (sourire). Bref Kaer pose, Squat pose, je pose et à moi il me dit « vas y tu me fais penser à Ghostface tu peux essayer de faire ça un peu comme lui ». Après t’as RZA qui se lève « ok vous avez tué moi je pose aussi ». Il ne posait pas sur tous les morceaux de la compile, seulement quelques-uns. Donc il va au micro, sans aucun texte sur papier, il pose un tabouret haut, il y a les deux meufs à côté de lui qui continuent à lui étancher la bouche. Il sort un petit couteau et il fait une petite gestuelle genre il met des petits coups de couteau dans le micro, truc de dingue, incompréhensible.

On finit le morceau vers 4h du mat, je crois que le titre donné était « Strong Planet » ou un truc comme ça. On disait que des trucs de ouf dedans. RZA kiffait grave la vibe. Il avait toute son équipe de larbins de la maison de disque et il demande à un des gars d’aller chercher sa MPC à l’hôtel et de lui ramener un sandwich avec une sauce spéciale, un machin introuvable sur Paris. Le gars de la maison de disque se chiait dessus mais il y va. Nous on parlait avec RZA comme des ouf. Entre temps je crois qu’il y a Pyroman qu’était arrivé au studio. Squat pendant ce temps-là est dans une autre room avec le gros renoi de la sécu du début pour parler business. C’était comme ça le Wu-Tang, le mec qui faisait la sécu faisait aussi le business (sourire). Le mec de la maison de disque arrive avec la MPC, RZA est comme un ouf, il a pas du tout le sandwich qu’il a demandé mais il le mange, il retise du sky, branche la MPC et nous dit « allez les gars on refait un morceau ». Et il commence à faire le beat devant nous. Il travaillait son truc en nous demandant notre avis. Moi je suis dans un rêve. Donc on repasse en cabine, on refait un morceau, cette fois avec Pyroman. L’ingénieur du son est comme un ouf aussi, il nous kiffe, ça tue.

Seulement dans la pièce d’à côté, il y a un problème avec Squat, ça ne va pas le business. Ce que je respecte chez Squat c’est qu’il a toujours bien géré ses contrats, c’est pour ça qu’il est toujours là. Il ne se fait jamais carotte. Quoi que tu penses de lui, il ne transige pas avec le business. Gérer son image c’est très important pour lui. C’est comme avec les médias, il cassait les couilles pour relire à chaque fois.

Le deal ne lui allait pas, ce qu’on allait gagner sur le morceau ça n’allait pas.

Après cette nuit, on n’a plus dormi pendant trente heures je pense avec Kaer. À la fin de la session studio on n’avait récupéré des versions des deux morceaux et on les mettait en boucle. Le truc nous a traumatisés. Deux jours après on apprend que Squat a refusé et que ça ne sortira pas. Les deux seuls qui ont refusé je crois que c’est nous et Lunatic. J’étais comme un ouf. C’était pendant la période où on faisait « Le Cri des briques » avec Duke et je lui faisais « vas y on met le morceau sur l’album ». Je m’en battais les couilles que Wu-Tang m’attaque en procès, on était en indé complet, ça aurait même fait un buzz de ouf pour l’époque. Moi et Duke on avait même fait une prémaquette. Mais la qualité du son n’était pas assez bonne pour le sortir et on ne l’aurait pas fait par respect pour Squat. J’ai encore les deux morceaux, ça m’a titillé plein de fois de les publier.

 


« “Le Cri des  Briques” c’est mon “Taxi Driver” »


 

Au moment de la sortie de 400ML, on a vu que ça prenait, le morceau avait suscité de l’attente. Donc avec Duke, on décide de faire un album. Il a monté son label Street Trash pour l’occasion parce que personne ne voulait nous signer et Assassin Production se plantait, ça s’est arrêté peu de temps après la tournée, c’était le split entre Madj et Squat puis Livin’ Astro était déjà en projet (label monté par Rockin’Squat après l’arrêt d’Assassin production, ndlr). Entre Squat et Madj, chacun avait sa vision en fait, à un moment donné ça peut plus avancer. Tous les groupes passent par là. Squat c’était B-boy à mort et Madj c’était politique à mort.

On avait plus ou moins les mêmes références avec Duke. J’avais fait la tournée avec lui, toutes les nuits à l’hôtel j’étais avec lui donc la relation était intense. On a partagé de ces trucs. On se connaissait par cœur. C’était de l’instantané entre nous. Quand on fait « Le Cri des Briques », il y a aucune chute, les 18 morceaux de l’album sont les 18 qui sont sortis de la machine. Moi je compare ça au film « Evil Dead », film qu’ils ont fait entre potes, en je ne sais combien d’années, ils ont galéré sans budget sans rien, et aujourd’hui c’est un classique. Sur l’album, le mix, le master, tout ça c’est avec les moyens du bord et c’est peut-être pour ça que c’est un classique. L’écriture aussi était très instantanée. Pour faire un morceau je commençais par écouter le beat, l’ambiance me permettait de trouver un titre et je commençais écrire, en fonction du titre. Pour revenir à cette phase, dans 400ml quand je fais « ¼ de siècle complètement ken » c’est parce que dans le beat à un moment donné il y a une horloge qui fait « tic tic tic » et ça m’a fait penser à la vie qui s’écoule.

Ce premier album sonne plus New York parce qu’on n’avait pas les moyens de faire du son comme à Los Angeles. Puis avec Duke on écoutait Mobb Deep et Alchemist. Lui c’est un kiffeur du son de New York. Il kiffe L.A. aussi mais ce qu’il sait faire c’est du New York pure. Moi à l’époque du « Cri des Briques », je voulais déjà faire des associations avec des synthé mais ce n’était pas vraiment possible. On entend quand-même des morceaux un peu plus synthétiques sur cet album parce que j’étais derrière et je disais à Duke « il faut ce truc-là », « il faut faire comme untel, il faut ramener ce synthé ». C’était la période où j’écoutais Mannie Fresh, Master P à côté des trucs de New York. Je kiffais les trucs cross over. Dans un album de Noreaga il y a un morceau avec Juvenile, Jay-z avait fait le remix de Ha de Juvenile et dans le premier album de Prodigy il y a un featuring avvec B.G.. Si des mecs comme Prodigy s’associent à des mecs comme ça c’est qu’ils savent non ? Dans les années 2000 moi j’étais buté à tout ça. C’était à fond Dirty, c’était déjà presque de la trap des fois.

Mais attention pas de regret, « Le Cri des Briques » c’est une bombe. C’est le truc le mieux que j’ai fait en musique. C’est le premier donc quand t’as 25 ans, tu craches les premières années de ta vie. Ca m’arrive pas souvent de le réécouter mais quand je le fais j’ai des frissons, c’est comme si ça me replongeait dans une photo. C’est parce que tout ce que je dis dedans est vrai de A à Z. Tous les lyrics sont vrais. Il y avait le condensé de tout ce que j’ai traversé avec La Cliqua, avec Mafia K’1 Fry, avec la mort de mon père, la mort de mes potes, les taudis de 20 mètre carrés où je vivais. « Le Cri des briques », c’est mon « Taxi Driver ».

 

Affiche de promo Wrung avec Profecy et Dj Duke // photo fournie par Duke

C’est l’époque où je fais des tournées, je fais des radios, on passe sur MCM, tout roule mais en même temps j’arrive pas à manger. Le problème c’est qu’on n’est pas en 2012, je peux te dire que l’industrie c’est une friche, il y a rien. Nous on est dans un niche. Je vis du rap pendant les tournées mais j’en vivote. Je faisais des plans graf à côté pour du pognon aussi. Les gens ne savent pas ce que tu gagnes pour un concert, c’est pas grand chose. Après quand t’es avec Assassin t’es content parce que c’est un groupe qui tourne à fond donc tu peux cumuler un peu. Mais c’était une sale période pour le rap. Ça allait encore parce que Mouloud Achour était à Radikal, il nous poussait à mort nous et La Caution. C’étaient les balbutiements d’internet, il y avait trois sites : 90bpm, l’Abcdr…Si les gens te comprennent pas, ils te démontent, ils te tartinent en deux secondes. On était un peu frustrés en fait à cette période, que ça soit La Caution, TTC ou moi, on savait qu’on avait le niveau, on savait ce qu’on ramenait mais les gens n’achetaient pas de disque, ils copiaient, personne ne respectait l’artiste.

« Le Cri des Briques» a été fait dans cet état d’esprit. Dans le morceau Industrie tragédie, je raconte exactement ça en fait. C’est un dégoût de Paris, du rap. Quand je réécoute un morceau comme Nocturne je me dis « putain on en était là quoi ». On perdait notre temps, on était des galériens. À l’époque « Cri des briques », ça m’est arrivé d’être au RMI, je le dis dans l’album que j’investis le RMI dans le shit. C’était une époque sombre, je regardais des films sombres, j’écoutais de la musique sombre, tout était sombre. Donc l’album est sombre. Franchement je ne voyais pas comment m’en sortir.

Ça commençait à partir en couille d’ailleurs pour les graffeurs au moment de la sortie de l’album. Il y a une opération où les flics se mettent à serrer plein de crews en France. Je sais pas combien d’équipes se sont faites prendre. C’est ça qui est raconté dans l’interlude de l’album juste avant le morceau Instruction Basique. Je pense que genre 200 personnes se sont faites serrer (Le procès de Versailles dont nous parlions plus haut arrivera peu de temps après, ndlr). Le thème du morceau m’est venu avec le morceau de Notorious BIG, Ten Crack Comandments, il énumère les dix commandements pour dealer du crack. J’ai fait pareil pour le graf. C’est un thème qui n’existait pas vraiment dans le rap.

 


« Les graffeurs sont toujours plus en avance. Si le rap a pété en France c’est grâce au graffiti »


 

Je pense que ce premier album était déjà en avance. Surtout les lyrics en fait,  j’allais loin. Alors que les mecs parlaient tous de leur quartier on parlait de trucs que personne n’abordait. Je disais des trucs de ouf, genre qu’à 25 ans j’avais pas assez de cash pour m’acheter un flingue et me suicider. Il y avait pas besoin de parler de bicrave, de violence, de braquage pour aller loin. J’avais la haine mais personne ne comprenait. Mon style d’écriture c’était un peu comme Booba, un « puzzle de mot et de pensée ». Et même au niveau des sons, peu de monde faisait des beats comme celui de Nocturne.

Les graffeurs sont toujours plus en avance. Si le rap a pété en France c’est grâce au graffiti. Les pionniers du hip hop en France sont des graffeurs, dans l’émission de SidneyH.I.P. H.O.P., t’avais Futura 2000. Pour moi les graffeurs étaient plus cultivés que la normale, ils se prenaient la tête. La plupart des mecs qui écoutaient Radio Nova à l’époque étaient les tagueurs. S’il y avait pas eu les graffeurs, le rap n’en serait pas là où il en est aujourd’hui, plein d’emcees te le diront. Tout le début du rap en France est associé au graffiti, quand un album sortait, les graffeurs n’étaient jamais loin. Dans l’équipe à NTM, t’avais des gens comme Mode 2 qui les drivaient. C’est Mode 2 qui disait aux NTM comment il fallait rapper. Pour arriver à trouver de la saveur dans des lettres, pour comprendre un tag, il faut de la culture, une vision, une exigence et cette exigence permet de mieux comprendre la musique, d’y trouver plus de choses. Un graffeur va trouver quelque chose dans un morceau de Mannie Fresh que la majorité des gens va trouver naze par exemple. Les premiers mecs à avoir écouter du Dirty South c’est les graffeurs. Trane du crew UV TPK, les plus gros cartonneurs de train qu’il y ait eu en France, écoutait Three 6 Mafia avant tout le monde.

Sur ce lien entre rap et Graf, le morceau  Vapeurs Suspectes c’était en réponse à l’album « Vapeurs Toxiques » de Don Choa qui sortait la même année (2003, ndlr). Mon couplet était adressé aux mecs comme lui à l’époque. J’avais l’impression que lui c’était rap de rue et du jour au lendemain il arrive avec une bombe à la main. Mais montre moi tes pièces, montre moi tes métros, montre moi tes grades. Il mangeait plus que moi et ne savait pas faire un pièce, c’est ça que je me disais. Pour être honnête j’étais anti-rap de Marseille, plus d’une fois avec Nikkfurie on a voulu les clasher. Mais aujourd’hui, je n’ai plus de haine pour ces gens-là, ils font leur truc.

Nikkfurie est sur ce morceau avec Saphir des Cautionneurs (collectif réunissant la Caution et des rappeurs de leur entourage, ndlr). Saphir aurait pu aller loin. Lui c’était Del the Funky Homosapien pour moi, il a le même flow. Il s’inspirait de lui et pour ça il faut avoir de la culture. Il fait ses trucs dans la rue aujourd’hui, il a choisi une autre voie. Un autre qu’était bon dans ce collectif c’était 16S64.

J’ai fait quelques dates en solo pour cet album mais ça n’a jamais été un objectif de faire des tournées. J’ai fait Dour en 2003 avec Kaer en backeur et Duke aux platines. Comme j’étais pas connu, il devait être 16h quand on a joué. On était sous un cagnard de ouf mais le truc était rempli quand même et il y avait des mecs avec des t-shirts Grim Team au premier rang.

Mais sinon je n’ai pas fait beaucoup de dates en solo parce que j’étais avec Assassin. Après la tournée avec le groupe je ne voulais pas refaire des toutes petites salles, regratter, affronter ça. Je ne me voyais vraiment pas passer des Eurocks à 15000 personnes avec Assassin à jouer devant 50 personnes à la campagne. Je n’étais pas prêt à ça. La puissance de Squat sur scène, c’est difficile à atteindre, le mec peut rapper trois heures les doigts dans le nez. Ça coule dans ses veines. Moi je ne peux pas faire ça, à la fin de Dour j’étais complètement claqué alors que j’avais seulement dix morceaux avec un back. En plus le rap ne prenait pas et j’avais le graf. Les autres rappeurs sont dévoués à leur art, moi j’étais dévoué au graffiti donc j’avais pas le temps pour une tournée.

Je ne pense pas que « Le Cri des Briques » aurait mieux marché si on l’avait joué sur scène (contrairement à ce que dit Duke dans l’interview pour l’Abcdr du Son, ndlr). C’était une niche, on n’aurait pas ramené assez de gens, c’était mon point de vue à l’époque.

Après cet album je décide de mettre le rap en retrait. Ca ne marche pas, ça ne m’a pas ramené d’argent du tout donc stop.

 

Du rap “punk” au rap “business”, il n’y a qu’un pas ?

De la vente de bombes au retour Galaktik et une nouvelle tournée avec Assassin

Je fais du business de rue et j’ai un pote, Goze de la Grim Team, qui taffe dans une boutique de bombes et qui me propose de faire ça avec lui. On vendait des bombes à tout Paris. J’y vendais aussi mes disques d’ailleurs. Je commence à faire de l’oseille et comme je n’en avais jamais gagné dans la musique, j’oublie le rap. Je me mets à fond dans le graffiti. Je fais de l’argent au magasin et sur plein d’autres trucs d’art. C’était déjà un peu le cas avant mais c’est surtout dans cette période qu’on commence à être très souvent conviés à faire des pochettes, des décors, peindre dans des soirées de boîtes de pub et plein de trucs.

A l’époque Grim Team était affiliée à Wrung et Wrung était sponsor de Lunatic. Je me demande si c’est pas Satur de notre équipe qui a fait le premier logo de Lunatic. Au final c’est comme ça que la Grim Team se retrouve à bosser avec Booba sur le clip Numéro 10, Satur avait tagué tout nos noms sur des trains dans le clip. C’est par Armen, photographe, qui est aussi dans le Grim Team que le contact s’est fait. Booba voulait des tags dans le clip et il demande « c’est qui les numéros 10 sur Paris ? ». Il est carré pour le moindre truc, il pense à tous les détails.

Impression écran extraite du clip de Booba Numéro 10. On aperçoit le tag “Grim team”

Il y aussi un gars de mon équipe avant ça qui avaient fait des tags lumineux dans le clip de Art de Rue, franchement c’est pas la même qu’avec Booba. Genre les mecs de Marseille ne ramenaient même pas des mecs de Marseille, ils n’avaient pas la culture pour ça. Alors qu’il y avait du graf à Marseille.

On avait peint le décor de l’Olympia de Diam’s aussi avec mon pote Dize. C’était des bâches de six ou sept mètre de haut. Et ils ont fait la pochette de l’album live je crois à partir de ce décor après

On a a bossé avec plein de monde, je vais pas te faire la liste de tous les clips, les projets sur lesquels on nous a demandés.

 


« Quand j’ai posé, Bayes a attrapé Alino et Alibi Montana en leur disant “vous réécrivez, vous reposez, le petit vous a fumés” »


 

Il m’arrivait quand-même de rapper un peu durant cette période. Je me souviens par exemple d’un enregistrement dingue avec Delta, Alibi Montana, Alino, Squat, ça devait être vers 2005. C’était pour le remix du morceau Menace Record qui était sur « Interdit en Radio » (remix qui s’est retrouvé sur la compile « Excuse my French PT 1 » de Rockin’ Squat, ndlr). C’était incroyable, en studio personne ne me connaissait, je passais inaperçu au milieu de tous les gros renoi de deux mètres qui sortaient tous de prison, il n’y avait que des ouf. Dans le studio il y avait des sacs entiers remplis de camera, des trucs à vendre tombés du camion, des Nike qu’ils essayaient de me vendre. Et le maître à penser c’était Bayes de Menace Record, c’était le Suge Knight du truc. Lui il gérait ça comme une équipe de foot, genre Alino, Alibi, tous les gars quand il posait il leur faisait « ça c’est bien, ah non là ça va pas refais etc.. ».

On fait le morceau, Squat pose, tout le monde pose et je suis le dernier à poser. J’avais écrit un couplet sur place, j’étais chaud. J’avais fait un couplet de ouf, je disais des trucs de ouf, des trucs à la Conan le Barbare. Quand j’ai posé, Bayes a attrapé Alino et Alibi en leur disant « vous réécrivez, vous reposez, le petit vous a fumés ». Il m’a fait halluciner, il disait ça à des caillera finies, si c’est quelqu’un d’autre que Bayes qui leur dit ça, il prend un coup de mitraillette (sourire). Ils étaient repartis faire le couplet j’étais mort de rire, j’avais kiffé cette journée, elle était incroyable.

 

Bayes bossait un peu avec Squat, Menace Record a coproduit l’ep « Libre vs Démocratie fasciste » et moi j’aurais bien bossé avec lui. C’était un bon gars, il connaissait le hip hop.

À proximité de cette équipe, il y avait Samat. Paix à son âme, elle est sale sa mort (le rappeur Samat a été tué en 2019 d’une balle dans la tête, sur le parking du restaurant McDonald’s de Garges-lès-Gonesse, ndlr). Le mec c’était une crème. Il avait un morceau avec Squat.

De toute façon tous ceux qui critiquent Squat ne pourraient pas mettre un pied dans les studios où il a été. Il a fait des morceaux avec Expression Direkt, avec plein d’autres, même au Brésil ou en Jamaïque je l’ai vu dans des studios où tu mets pas les pieds. C’est parce qu’il est universel et il a ce truc qui fait que ça marche. Toutes les cailleras respectent Squat. Franchement les studios avec Bayes, peu de mecs du rap vont dedans. Moi j’ai des souvenirs de concerts « Touche d’espoir » dans des villes obscures où les mecs nous disaient « Rohff on lui a jeté des canettes, FF on leur a jeté des canettes mais vous on vous aime bien, vous faites des shows pour les prisonniers tout ça ». Il allait dans des radios à Trappes, personne n’y allait, il faisait des concerts pour des familles de morts en prison, c’est pas Joey Starr et Kool Shen qui font ça.

 


« J’étais plus le mec en chien du « Cri des Briques » , là je suis dans étape où j’ai une meuf, un appart, des tunes, donc d’autres perspectives »


 

Après l’arrêt d’Assassin Production, Squat a donc créé un nouveau label 2004, Livin’Astro. Il faut savoir que moi bien avant que le label soit créé, ça m’arrivait de taguer ça en référence au morceau de Kool Keith, Livin’Astro. Genre on vit dans le cosmos. C’était un de mes slogans. J’ai une peinture avec Mode 2 qui date de 96 avec ce slogan. Je sais pas si c’est moi qui ai inspiré Squat là-dessus mais c’est un truc qu’on avait en commun en tout cas.

Bref, il monte son truc. Moi je suis tout le temps au magasin de bombes et j’écoute tout le temps du son dans le magasin. Entre 2005 et 2007, j’écoute beaucoup de trucs de Houston. Il y a le label Swishahouse qui commence à arriver à cette période, en tout cas à vraiment se faire connaître avec des artistes comme Slim Thug, Mike Jones, Paul Wall toute l’école qui découle de Dj Screw. Au début on se demandait ce que c’était, le son était au ralenti, il y avait des scratchs bizarres, on essayait de comprendre. Mais c’était un nouveau style de rap en fait, c’était le “Screw”. Et là je délaisse le son de New-York. Je tombe en amour sur ce label. Pour moi c’était la révolution, un peu comme la trap ces dernières années. Quand j’écoute ce truc-là, que je vois la mentalité qui va avec, qui correspond un peu à mon nouvel état d’esprit avec le business, avec le magasin, ça me donne envie de rapper.

J’étais plus le mec en chien du « Cri des Briques » qui était dans la rue h24, qui pensait qu’à taguer des stores, là je suis dans une étape où j’ai une meuf, un appart, des tunes, donc d’autres perspectives. Cette musique me frappe, c’est la première chose que je me dis, je peux parler de ma vie, on peut parler d’argent et tout ça. Donc je me dis que je vais me relancer au micro.

Le soir quand on comptait les tunes à l’arrière boutique, je me suis mis à écrire. Mais c’était dur au début parce que le son de New-York et le son de Houston, c’est pas la même rythmique. Donc l’écriture n’est plus du tout la même. C’est l’époque aussi de G-Unit et 50 cent a lancé le truc de faire traîner sa voix, de chanter un peu, ce qui m’a inspiré aussi parce que j’écoutais quand même encore un peu du New York. Je commence à écrire, je fais tester à Goze et il me dit « vas y c’est bon ça match ». Donc c’était parti.

En même temps Rockin’ Squat lançait sa trilogie « Confession d’un enfant du siècle », une tournée se préparait et j’allais la faire avec lui, c’était le bon moment pour repartir au charbon.

A cette période-là il travaille avec un binôme qui s’appelle Shabz. Depuis qu’on était partis jouer là-bas en 2001 il était déjà beaucoup plus au Brésil donc c’est surtout Shabz que je voyais. Le label était nouveau et on n’avait pas la tune d’Assassin Production, donc finalement j’ai coproduit avec Livin’Astro, j’ai mis mon argent. Je me suis dis qu’on allait le faire à la Houston en terme de business. Shabz voyait aussi que j’avais changé d’état d’esprit, que je n’étais plus un punk. C’est vraiment le business qui m’avait changé. Je palpais de l’argent déjà à cette époque entre les plans graf et le magasin qui nous rapportait à mort, ça brassait.

J’ai mis un point d’honneur à ne pas refaire le son du « Cri des Briques », ma vie ne correspondait plus du tout à ça. J’étais dans un état d’esprit auto-entrepreneur. Je payais mon studio, mes feats cainri, mes beatmakers. Mon délire c’était Houston et j’avais les moyens, contrairement à avant, de faire ce type de musique, d’avoir du matos et des beatmakers. Quasiment personne n’écoutait ça en France à cette époque. Des mecs comme Mac Tyer ont fait des trucs de cette école, mais après. C’était hyper pointu à l’époque.

« Galaktik », le nom de mon album à venir, c’était un style de Graffiti à la base. Quand je faisais des graf dans les années 2000, les gens appelaient mon style comme ça. Quand j’étais petit, j’étais aussi un bousillé de Yuji Ohno, le mec qui a fait les musiques pour Capitaine Flamme, Cobra etc…Je sais pas pourquoi Mobb Deep n’a pas samplé sa musique, c’était ce qu’on appelait le space jazz, une musique interstellaire. Je pense que c’est lui la véritable source de mon univers Galaktik. Tout est relié à ça. Galaktik c’est du Street Cobra.

Je voulais faire un album complètement différent quitte à ce que ça choque. Je voyais ça comme le futur. Je voulais choisir mes beats. Je savais que Duke était bon, il m’avait toujours épaulé mais je voulais aussi d’autres gars qui contrôlaient le style. Je branche un pote un moi qui faisait du graffiti mais que j’avais connu via les raves party, un mec qui s’appelait Soper et qui faisait de la drum and bass depuis des années. C’est un boss de ça aujourd’hui. Lui cherchait aussi à s’ouvrir et notamment à faire des prod de rap, d’ailleurs il a fait aussi des instrus pour « Confession d’un enfant du siècle » de Squat. Il kiffait Houston par exemple ce gars. Je vais voir aussi Gallegos qui venait donc de la Cliqua.  Je contacte aussi Grimy Kid qui plus tard est devenu Prince 85 et qui maintenant cartonne en électro. Donc j’avais un petit socle de producteurs dans la vibe que je voulais et à partir de là je commence à louer des studios et à maquetter. Quand j’étais en train de travailler « Galaktik », j’avais peur que les gens ne comprennent pas tout de suite donc j’ai balancé l’album prélude « Vocabulaire Granit ». Le albums préludes ne se faisaient pas en France mais plus au USA. Pour moi c’était une bonne transition. Bon les gens n’ont pas compris quand-même,même mes potes n’ont pas compris. Mais t’as vu, je suis un artiste, je fais ce que je veux. Et aujourd’hui, dix ans après je reçois des messages de gens qui sont en train de capter mes sons maintenant qu’Atlanta a envahi le rap français.

Le public français n’était vraiment pas prêt. C’était dur cette époque, c’était l’avènement du rap caillera, de 2005 à 2010 c’était l’enfer. C’était pas créatif du tout.

Ca leur a fait un choc que je passe d’instru à la Mobb Deep à ce genre de musique. Je me suis fait torpiller. Je me demandais comment les gens ne voyaient pas le truc arriver. Pour moi dix ans plus tard c’est la musique que tout le monde écouterait en France et je ne me suis pas trompé.

Kool Keith a fait un album avec Tim Dog sous le nom « Ultra ». C’est mon album de rap préféré, c’est vraiment ma bible et dedans il a un morceau où il dit un truc du genre « j’en ai plein le cul de New York, alors j’ai fait mon sac et maintenant j’écoute plein de negros comme Master P et E40 », ça m’avait frappé. Aujourd’hui t’as tellement de trucs de New York qui ont mal vieilli alors que si tu réécoutes du Master P en 2020 mais le mec était tellement en avance : des caisses claires et des basses de maintenant, des rythmiques de maintenant.

La trap arrive en France en 2012 ? Mais non. Sur « Galaktik » il y a de la trap pour moi. Il y avait des trucs qui s’étaient jamais faits en France.

Le beat du morceau Galaktik c’est une chute de Gallegos qui devait être pour Booba. J’étais loin, je prenais les trucs perchés que les mecs ne voulaient pas. Gallegos était à fond dans le son d’Atlanta et de Houston. Il avait l’outro sur l’album de Booba « Ouest Side », qui ne sonne pas Houston d’ailleurs, et il avait placé des instrus sur « Autopsie 3 ». En fait Gallegos m’a proposé plein d’instrus que Booba avait refusées. Je savais qu’il faisait des trucs un peu sudistes pour Booba mais moi je voulais du “sudiste Galaktik”, des sons perchés. Il y a eu un clip de ce morceau Galaktik  réalisé par Jaba de liège (et Superxcm, ndlr), mais on n’avait pas de moyens. Moi je voulais faire un espèce de faux décor de lune ou de planète et moi en cosmonaute. Mais vas y à l’époque quand t’es indé…

Si j’avais eu les moyens de faire de l’autotune, j’en aurais fait aussi. Dans le morceau Chevalier de Jupiter je modifie ma voix mais ça aurait été mieux avec de l’autotune. J’aurais aussi pu mettre du vocoder sur des titres mais je n’avais pas le matos, il faut savoir manier le piano. Pas grand monde en faisait à l’époque. Il y avait Aelpeacha qui savait faire, lui c’est un musicien. Si j’avais continué la musique j’aurais connecté des mecs comme lui. En plus j’avais la carte du feat avec Kokane, Aelpeacha, ça lui aurait plu.

J’avais le choix entre le feat avec Kokane ou prendre un beat de Madlib et j’ai choisi Kokane. Pour moi il est plus haut que Nate Dogg, c’est le mec qui rappe avec Eazy-E, c’est Above the Law, c’est Snoop Dogg, c’est RuthLess, c’est une légende ce mec. Même s’il n’y a pas eu de rencontre physique, je mets ça sur le même plan que la rencontre avec RZA. On a tout fait par téléphone mais les séances de téléphone étaient dingues. Il me demandait ce que je kiffais de lui je lui sortais des morceaux du gouffre, il me chantait No Pain no Gain au téléphone. Après il m’envoyait sa fille pour le business, c’était super à la cool.

Le morceau est sur un beat Junkaz Lou, un mec de Gennevilliers, un graffiti artiste. En ce moment il bosse avec Kool Keith depuis dix ans. Produire un beat pour Kokane  c’était top pour lui, il était super chaud. Kokane a trop kiffé le beat, genre « ouah mais vous faîtes ça à Paris ? ». Il m’a fait un couplet de ouf et un refrain de ouf, une intro, une outro, il m’a tout fait. Et si tu traduis ce qu’il dit dedans c’est complètement ouf. Dans ma tête avec ce feat, ça y est j’étais sorti de la merde, attends c’est le gars à Snoop. Attends tous les gens connaissent « The Last Meal», non !? Et ben non, personne connaît (Donc comme vous ne connaissez pas, “The Last Meal” est le cinquième album de Snoop Dog qui contient six morceaux avec Kokane, ndlr). Bref tant pis, ll m’avait fait payer mais franchement ça allait. C’est normal, il me donnait son image, c’est hip hop de faire payer. Moi je fais pareil dans le graf aujourd’hui. Mon vrai regret c’est de ne pas avoir fait le clip du morceau. Je serais allé le faire dans son quartier à Pomona (ville située dans le comté de Los Angeles, ndlr).

J’avais un deuxième cainri sur « Galaktik », Napoleon Da Legend. Le morceau était d’un style beaucoup plus à l’ancienne pour faire une référence au « Cri des Briques ». Le couplet de Napoleon si tu le réécoutes aujourd’hui tu te rends compte qu’il raconte des trucs de ouf vachement visionnaires. C’était l’époque myspace, je cherchais des beatmakers et Jaffa Wane, un petit jeune de 16 ans à l’époque, m’envoie le beat. Je savais pas du tout qui c’était ni d’où il venait. Il n’avait pas de matos ni rien et j’ai trouvé que ça défonçait. Napoleon valide direct le beat avec le sample de « Alice au Pays des Merveilles ». J’appelle le petit pour lui dire qu’on fait le son sur son beat, ce qui le rend comme un fou. Je fais le premier couplet, je l’envoie à Napoleon qui fait son couplet. Mais comme il est connecté à des français, il se fait traduire mon texte et décide de reposer un couplet parce qu’il kiffe ce que j’ai raconté. Et ça donne le morceau. Cette fois c’était zéro dollar. Lui il en a rien à péter du business, il rappe pour le kif.

Sur l’album je n’avais pas que des gros noms en feat. Il y avait aussi des mecs de mon équipe comme RUES et Dead. RUES c’est un petit qu’avait 16 ans. En fait je cherchais un jeune pour faire un morceau sur l’école et ça a donné C.A.P. C’est un tagueur, il taguait Feser . C’est un mec qui avait été lancé par Dize. Dize, non seulement c’est un boss du graffiti mais il a aussi ce truc de toujours essayer de lancer les petits. RUES faisait partie des KSF. Il taguait aussi RUES, vu que c’était un vrai trainard, un vrai petit microbe, débrouillard de ouf, je lui ai dit de prendre ce blaze pour rapper. Il a continué le rap pour rigoler mais lui c’était surtout le graf et maintenant il est à fond dans la vidéo.

Il y avait Balastick Dogg aussi sur l’album, c’était avant qu’il se rapproche de Neochrome je crois. La première fois que je l’ai entendu c’est sur un morceau avec Alpha 5.20, Le boss veut te voir. On a fait le morceau sur le beat de Grimy Kid qui faisait aussi des beats avec Balastick, c’est Grimy qui nous a connectés. Ce genre de connexions c’était aussi pour montrer que je voulais pas faire un album juste concentré graffiti, parce que je l’avais déjà fait avec mon premier album. Je voulais me défaire de ça, faire d’autres thèmes, ramener d’autres gars. Lui c’était la rue. C’état Ghetto Fabulous Gang quoi.

Je m’étais vraiment motivé pour ce projet, je m’étais fais ma propre propre street promo. j’avais repris la technique de la street team de Mobb Deep sur l’album « Hell on earth ». Ils avaient des pochoirs énormes de genre 70 cm de longe avec leur logo et le nom de l’album puis ils plaquaient ça parterre sur le bitume à la bombe argentée. C’est une des bombes qui a le plus d’impact . Ca faisait un truc de fou, dès qu’il pleuvait le lettres ressortaient grave. Donc j’ai fait ça avec des pochoirs marqués Profecy et Galaktik dans tout Paris.

 

 


« Je fumais des gros poteaux de skunk en face de François Hollande qui était là pour une autre émission, c’était marrant »


 

Et en parallèle à la préparation de mes albums, je suis reparti tourner avec Squat. Comme je l’ai déjà dit, cette fois c’était en version réduite. J’étais le seul backeur. J’ai pris ce rôle très au sérieux. J’ai plus travaillé que pour la première. Cette deuxième tournée faisait beaucoup moins colo que la première. Déjà on était moins nombreux et il y avait un côté plus pro qu’en 2001.

Au tout début de la tournée, en 2008, il y a ce fameux passage au Grand Journal de Denisot sur Canal Plus. Vincent Cassel est invité de l’émission pour la promo du film sur Mesrine et pour l’occasion il a été proposé à Rockin’ Squat de venir faire un morceau en live.

Le jour-même, on est à Canal pour les balances. Ils nous mettent le morceau qu’on devait faire, Enfant de la Balle, (morceau où Rockin’ Squat parle notamment de sa vie de fils d’artiste, de fils de Jean-Pierre Cassel, ndlr). Donc tout le monde est calé là dessus, tout est travaillé autour de ce morceau. Et Canal, ces enculés, ils en ont profité pour mettre des vidéos de son père qui faisait des claquettes, ils voulaient diffuser ça pendant qu’on jouait le morceau. Je pense que c’est surtout ça qui a énervé Squat.

Profecy, Rockin’ Squat et Mouloud Achour en marge du live au Grand Journal

Moi et Duke on se frottait les mains, parce que je revenais avec mes projets et c’était une promo de ouf. Dans les loges ont était trop en joie, je fumais des gros poteaux de skunk en face de François Hollande qui était là pour une autre émission, c’était marrant. Il s’en battait les couilles. Mon modèle c’était Cam’ron quand dans son film il dit « moi je fume partout, même chez l’avocat ».

Mais à la dernière minute Squat nous annonce qu’on ne joue pas le morceau prévu, mais qu’on va faire France à Fric. À la base moi et Duke on était pas d’accord, on ne voulait pas se faire cramer mais bon finalement on a compris la démarche. Donc le soir arrive. Il faut savoir que c’est pas en direct, il y a un décalage de quelques minutes. Le truc part, ça commence, on fait le titre. Vous avez tous vu la scène, tout le monde se décompose sur le plateau, sauf  Vincent Cassel et Mouloud Achour qui sont pliés de rire. À la fin du morceau, Squat se fait interviewer et il dit des trucs de ouf. Je me souviens même avoir dit à ma meuf que ça allait être fou quand on a regardé ensemble l’enregistrement après l’émission. Mais ils avaient tout coupé. Il te font un montage en deux deux grâce au petit décalage.

Je crois qu’il y avait La Caution aussi dans les loges et après on est tous partis en boîte. Mais dés le lendemain ça a détonné. La même semaine on devait faire Taratata mais ça a sauté.

En tout cas il y a peu de groupes en France qui ont fait ça. Le texte est dur, et il a balancé ça à une heure de grande écoute.

 

Sur la scène de l’Olympia en 2009 / Photo par Silvio Magaglio

En 2009 on était de retour à l’Olympia. Tout le monde a été surpris de voir Solo (rappeur d’Assassin jusqu’en 1994, ndlr) sur scène lors de cette date mais en vrai je l’ai souvent croisé avec Squat et encore aujourd’hui on se parle des fois sur les réseaux. S’il y a peut-être eu des tensions à un moment donné entre lui et Squat, c’est aussi parce Solo traînait avec les NTM (Solo avait notamment fait la production du freestyle Popopop de l’album “Paris Sous les Bombes” de NTM juste après son départ d’Assassin, ndlr). Mais Squat l’a souvent fait croquer et pas seulement à l’Olympia. Solo n’était pas fait pour le rap, et moi non plus, pas pour toute une vie en tout cas. C’est pas fait pour tout le monde. Squat il est fait pour le rap, Kery James est fait pour le rap, Booba est fait pour le rap. Squat rappe tout le temps, je suis sur que Booba c’est pareil. C’est leur vie aux mecs, ils ne peuvent jamais arrêter.

Puis avec toute cette tournée, on a été aussi au brésil, en Allemagne, au Portugal. Squat a capté Seu Jorge au Brésil à force d’y traîner, ils ont fait des trucs ensemble et Seu Jorge nous avait intégrés dans son show pour qu’on fasse quelques morceaux. Un jour, 2009 je crois, on a fait une scène dans une salle, genre le Bercy de là-bas, et il y avait 12 000 meufs. Je me souviens de la réaction de Mouloud Achour qui était avec nous, il hallucinait. Seu c’est un player, c’est le Stevie Wonder de là-bas. C’était autre chose que nos concerts (sourire)…Selon mes souvenirs, il y avait au moins vingt musiciens. On envoyait les beats de l’album de Squat, une fois, deux fois et les mecs les refaisaient en orchestre. Ca m’a choqué à vie. Les beats prenaient une de ces dimensions. C’est un de mes meilleurs moments de musique. C’est la première vois que je voyais un band qui jouait un beat de rap à la perfection comme ça, avec des impros, des bouts de saxos, des bouts de trompettes. Je comprends pourquoi Squat est resté là-bas. Pour la musique c’est un autre mode. New York c’est plus le style mais au Brésil c’est plus la vibration. Puis Rio c’est la cour des miracles, tu vois des meufs avec des impacts de balles qui rappent, des gamins de cinq ans sous colle dans la rue.

Dans les loges d’un concert de Seu Jorge en 2009 au Brésil avec de gauche à droite au premier plan : Mouloud Achour, Profecy, Rockin Squat, ???, Dj Duke, Seu Jorge // Photo fournie par Duke

Lors de cette tournée, le passage à Berlin a été important pour moi aussi. J’y ai capté les RTZ. En fait nous le graffiti qu’on faisait depuis des années, le truc cosmique, il y avait un groupe à Berlin qui le faisait, c’étaient eux. Les puristes dans le graf c’est le style de New-York avec une typo, des lettres bien particulières, mais un peu comme dans le rap, avec le boom bap, pour caricaturer, les new-yorkais se sont arrêtés à leur style et ne sont pas allés plus loin. Ils n’ont pas fait évoluer leur technique. Nous, avec mon crew à Paris, on a pris cette base et on l’a faite évoluer. Un peu comme quand le Dirty South est devenu la trap. Donc à l’époque, les mecs qui avaient le même feeling que nous, c’étaient les RTZ à Berlin. Dans le DVD sur le graf à Paris, « Writers », on les dédicaçait d’ailleurs.

Quand je fais ce concert avec Squat et Duke, ça devait être en 2008. J’avais jamais pu aller dans cette ville et pour moi les RTZ étaient les boss du graffiti. C’étaient eux qu’il fallait que je battle. D’ailleurs pour info à Berlin il y avait aussi les GFA, leurs alliés, crew dans lequel était rentré MC Jean Gab’1 parce qu’il dansait. C’est mon gars Poet qui l’a fait rentrer dans le crew. Il avait clashé Squat dans Je t’emmerde mais on s’était croisé à un concert de Starflam, on avait fumé de la weed, super bon gars, on n’a même pas parlé du morceau.

Donc à Berlin, dans une époque où il n’y a pas trop d’entente, c’était chacun dans son coin, j’y vais au culot et j’écris à Phos4 de RTZ sur myspace pour lui proposer une rencontre. Je leur envoie des invit pour le concert. Vu que c’est des mecs méga hip hop, ils ont halluciné que je rappe aussi. A la fin du concert on boit des bières, ils me proposent de peindre et le lendemain on peint ensemble. Finalement je suis rentré RTZ un peu plus tard. C’est ma dernière famille de graffiti. Je parle souvent avec eux encore aujourd’hui. On se voit plus trop mais je pense qu’on va refaire des trucs ensemble bientôt.

Alchemist et Profecy

Sur la fin de la tournée, on a aussi partagé l’affiche avec Alchemist. C’était au festival Urbano en 2010, il y avait Sexion d’Assaut aussi. On était dans les loges sous un chapiteau. Moi j’avais une weed de ouf mec, elle était incroyable, mais tellement dingue. À un moment t’as Alchemist qui débarque dans notre loge, j’étais avec Duke, il m’a regardé en disant « aaaah c’est ici que ça sent la weed ! ». Il nous a pris dans les bras même je crois. Après il a même ramené son ordi pour nous faire écouter des beats de ouf.

Son show, c’était avec Just Blaze, ils mettaient les disques mais ils n’avaient pas d’emcee donc j’ai fini sur scène avec eux. J’engrenais le public. C’était dingue.

Une semaine après à Paris, je vais chercher de la weed chez un pote qui est le voisin du dessous d’un mec qui vend des vinyles pour les mecs qui font des sons. Et là haut il y avait Alchemist ! Il a pété un câble de me revoir (rire).

A la même période, dans le même genre, j’ai fait une session studio à Liège avec les gars de Heltah Skeltah, grâce à Starflam, ils ont fait un morceau ensemble (pour la mixtape « Bootcamp Clik vs the world », ndlr) en 2010. Ils avaient été cherché à fumé à Maastricht et Sean Price faisait des blunt de shit ! Pas d’herbe, de shit !

 

 

Au final, malgré la tournée et la petite exposition, « Vocabulaire Granit » et « Galaktik » ne m’ont rien rapporté. Sur un album comme « Galakitik » j’ai dû perdre 20 000 euros, ça m’a coûté cher et j’ai pratiquement rien vendu.

C’était vraiment la période la plus pourrie du rap, mais vraiment. Il n’y avait pas de streaming, pas de vente réelle, que du téléchargement. À l’époque de « Vocabulaire Granit », je vendais toujours mes bombes au magasin et il y a beaucoup de gens qui passaient. Un jour un petit rentre dans le magasin avec un sac Fnac. Un de mes gars l’engrène, se moque un peu et lui demande en parlant de moi « mais t’aimes bien son rap ? ». Le petit répond « ouais je kiffe » et mon pote fait « mais t’as acheté l’album ? Si tu veux on le vend ». Le gars voulait pas acheter l’album et dans son sac Fnac, il avait l’album de Beastie Boys. Il venait d’acheter un truc grand public à vingt euros plutôt que le disque à dix euros d’un artiste indé, qu’il apprécie en plus. Il fait ce qu’il veut mais je trouve que ça reflétait bien ce que subissaient les artistes indé à l’époque.

 


« Après ma rencontre avec Seen, Pro176 a tué Profecy »


 

Je n’avais donc pas réussi mon retour et en 2008, au début de toute cette période, il s’est passé quelque chose qui a fini par me pousser vers la sortie. J’ai rencontré Seen, une légende du graffiti américain. Il est new yorkais et à un moment donné il est venu en Europe et à Paris. Je commençais à faire sérieusement des toiles à ce moment-là. Je n’avais pas d’atelier et j’avais une connaissance commune avec le manager de Seen qui était Eker, qui a taffé d’ailleurs avec Rockin’ Squat sur son livre. Eker m’a proposé de passer un soir à l’atelier de Seen mais moi je ne voulais pas y aller pour faire le sucker. Je suis quand même allé dans le studio, j’ai fait une toile et en fin de soirée Seen m’a proposé de me signer, de me manager. Là dans ma tête ça a fait boom. C’est un peu comme si j’étais guitariste en France et que Mick Jagger me propose de partir en tournée avec lui. Si le monde graffe c’est grâce à des mecs comme ça.

Seen et Pro

A ce moment-là, j’étais en pleine tournée avec Squat, j’étais sur mes projets rap donc j’étais face à un vrai dilemme. Mon cerveau a buggé et j’ai dû faire un choix, soit Pro176 tue Profecy, soit Profecy tue Pro176. J’avançais, j’avais passé la trentaine et on était toujours en pleine « industrie tragédie », c’était une galère de ouf. J’en ai vu des mecs taper le sol à cette période, et plus d’un, il y a pas que Nessbeal, j’en ai vu des pires, et des gars avec avec un talent de ouf. Donc ça a pris du temps mais j’ai fini par tout lâcher musicalement, en 2010 en fait. J’ai été aidé dans mon choix par l’échec de « Galaktik ». Je me souviens d’un moment sur une plage au Brésil où je dis à Duke « je crois que je vais tout lâcher, ma vie c’est la peinture ».

Pro176 a tué Profecy à ce moment-là. Le dernier morceau que j’ai enregistré c’est aussi ma collaboration préférée avec Squat. C’est le titre Livin’Astro sur « Confession d’un enfant du siècle vol 3 ». Je parle de trucs de ouf dans ce morceau. Ca part en folie, en conspiration, en cosmos… C’est là-dedans que je serais parti si j’avais continué. Je ferais une musique complètement perchée. Il faut savoir aussi que j’avais déjà commencé un autre album. Je l’avais écrit entièrement et Duke m’avait fait la moitié des prod. Je venais de sortir « Galakitk ». Au niveau du son, à ce moment-là j’étais influencé par Vast Aire de Cannibal Ox et par « H.N.I.C. pt 2 » de Prodigy dont le son était un mix de synthé et de beats new-yorkais. En gros je voulais faire un pot pourri de musique à la Def Jux, à la Cannibal Ox avec une influence Atlanta et des bases New-York. C’était encore une autre vibe. Je voulais l’appeler « Creepozoïdz » en référence au film d’horreur. Le retour de Prodigy m’avait vraiment fait vriller en fait, il avait capté qu’il fallait tout unifier. A Los Angeles. il y a des mecs, genre Nipsey Hussle, qui étaient partis dans ce délire là, d’exploiter tous les sons de toutes les époques.

Dommage que je n’ai pas sorti cet album parce que je pense sincèrement que ça aurait été mon meilleur. Grâce à la peinture j’avais atteint un niveau de maturité artistique mais c’est aussi à cause de la peinture que je l’ai pas sorti, j’avais plus le temps.

J’étais parti dans de l’abstrait, en étant influencé par la peinture. Je m’étais trouvé un autre style d’écriture presque incompréhensible mais je m’en battais les couilles que les gens comprennent ou pas. J’avais un morceau, sur un beat de Duke incroyable, qui s’appelait Le Rocher des singes en référence au film « 2001, l’odyssée de l’espace », c’était tout un texte sur la transmission du savoir aux hommes etc…

Squat a peut-être mal digéré que je me sois barré en pleine tournée mais on est loin d’être en guerre. Il était là à ma dernière expo à Paris. Il sort son album là. C’est un bon, j’ai rien à dire. Je me suis déjà tapé pour lui, il m’a apporté plein de trucs. Les gars de La Caution te diraient pareil, peut-être qu’eux en voudraient à Madj pour des trucs de business mais pas à Squat. C’est une famille. Il y a toujours des haineux mais l’histoire elle est là. Qu’il soit fils d’artiste, ça changera pas l’affaire, c’est son équipe qui a ramené le graf en France, lui a développé le rap en France, le vrai rap. Alors que Kool Shen et Joey c’étaient des beaufs franchement, ils ne connaissaient rien.

 

 

 

Après la mort de Profecy

Peinture for life

 

Après avoir arrêté le rap, j’ai arrêté le graffiti aussi. Je me suis barré à Valence en Espagne, ça fait dix ans que j’y suis. j’ai fait mon livre qui s’appelle « Cosmonométry », c’étaient mes 25 ans de graffiti et en fait c’était pour clore le chapitre. Le livre définit bien mon univers de graffeur. J’ai demandé la préface à Mode 2, il a dit oui direct. Je m’attendais à avoir une demi-page et il m’a pondu une vraie préface. Quand tu fais un livre c’est relou parce que tu dois toujours attendre les gars mais pour Mode 2 en deux nuits c’était réglé. Il était trop content. On a un peu la même histoire. Pour lui c’est un honneur que j’en sois arrivé là en l’ayant comme référence.

Le livre était pour raconter 25 ans de Graffiti avec des témoignages d’une partie des mecs que j’ai captés dans mon histoire dans le graf que ça soient les gars de New York, de Berlin, de Belgique, de Londres. Ils racontent tous une anecdote avec moi. Et moi j’explique un peu mon art. Il fallait que je fasse ça pour le futur parce que je voulais sceller toute cette histoire.

Donc ce bouquin, c’était la fin du cycle, mon nouveau personnage c’est Pro176, Pro et Profecy c’est fini. Je suis plus dans le graffiti parce que ça serait un mensonge. Je fais plus de lettres, plus de vandale aujourd’hui. À Valence, il y a personne la nuit pendant le confinement, et je me suis dit ben vas y je vais y aller. Je vais prendre des fatcap et je vais aller vandaliser. Mais non je l’ai trop fait, ça m’intéresse plus (rappelons que l’entretien s’est déroulé fin avril, en plein confinement en Espagne, ndlr).

 


« Doc Gyneco c’était “classez-moi dans la variet” et moi aujourd’hui c’est “classez-moi dans le street art” »


 

Je gagne bien ma vie avec ce que je fais, je fais des expos et des façades partout dans le Monde. Mon style a changé, je ne fais plus vraiment de cosmonometry. Aujourd’hui mon style, on pourrait l’appeler néocubisme ou abstract comics, je déforme en cubisme des personnages qui viennent de la BD. À la Picasso un peu, dont je suis fan. Faire autre chose que des lettres c’était une continuité évidente pour moi, comme pour tous les mecs qui étaient les meilleurs en lettrage. La comparaison vaut ce qu’elle vaut mais Maître Gims quand il a compris qu’il avait une voix de ouf, il a arrêté de rapper et il a chanté. Nous c’est pareil, notre art évolue, on apprend de nouvelles choses. Je suis reconnu par des personnes de tout âge. J’ai réussi à faire de la pop avec la peinture en fait. C’est à dire que dans la musique t’es vite grillé si tu fais de la pop mais dans l’art c’est une autre démarche. Si je passe « Le Cri des Briques » à un japonais, il va rien comprendre. Tandis que là avec la peinture, j’ai des propositions jusqu’en Corée du Sud, la peinture c’est universel de ouf. Puis t’as besoin que de tes mains, de ton cerveau, des pinceaux et une toile.

Au début, comme tout bon graffeur, j’avais des aprioris sur le monde des galeries, mais quand j’ai bossé avec Seen en 2008, tout mon monde s’est écroulé. J’ai pris une claque. Je n’étais rien face à lui. Il m’a ouvert l’esprit à l’art. Lui était le king du graffiti mais avec le temps il détestait ça parce qu’il avait dépassé le truc.

J’étais pas là au bon moment pour le rap, mais 2009 c’était le bon pour le street art, c’est à ce moment-là que ça s’est enclenché. En galerie les mecs qui tenaient le pavé n’étaient pas des usurpateurs, c’était Mode 2, les BBC. Donc si eux le font, pourquoi on me le reprocherait à moi ? Comme j’avais une grosse histoire dans le graffiti ça a été plus facile et en plus derrière j’avais Seen qui me poussait. Et quand t’as Seen derrière les mecs te repèrent. À partir de là j’ai vu la vraie tune que j’avais jamais vue dans le rap. Aujourd’hui quand je peins une toile je me dis que c’est des tunes, c’était loin d’être le cas quand j’écrivais des textes de rap. Mon premier chèque galerie c’était 35 000 euros, je peux te dire que j’ai oublié le rap. Je vais peindre des murs à Bogota pour 7000 balles. Doc Gyneco c’était « classez-moi dans la variet » et moi aujourd’hui c’est « classez-moi dans le street art ». Quand ma mère voit la vie que je mène aujourd’hui, elle est accro à ce que je fais.

Il y a deux, trois ans j’ai fait le plus gros festival du Monde, le festival Art Basel à Miami, c’est le Coachella du street art, tout le monde veut aller là, il y a douze artistes par année. Il m’avait booké pour faire un mur, j’ai fait quatre murs et après ils m’ont recruté pour faire le design de tous les velib de Miami.

Mur peint par Pro176 à Bogota / Source : Instagram de Pro176

Mur peint par Pro 176 à Miami

Ouais on m’a reproché Monoprix  (En 2014 Pro176 et d’autres artistes signent une collection de prêt à porter « street art » pour Monoprix, ndlr). J’ai eu plein de haters. Vous voulez quoi ? Que je taffe avec Louis Vuitton ? Louis Vuitton c’est pas la rue, Monoprix c’est la rue mon pote. Il y avait plein de gamins avec mes casquettes dans le métro, des vieilles avec mes écharpes, des meufs avec des leggings. Allez voir Andy Warhol, il aurait fait ça avec une boîte de soupe. C’est pour ça que j’ai accepté, parce que je savais que ça allait être populaire. C’était dans tous les Monoprix, j’ai pris v’là l’oseille pour faire un JPEG. En vingt minutes, j’ai fait la tune de « Galaktik ».

Quand tu commences à comprendre le business tu kiffes. Moi avant je détestais les vernissages, je détestais me montrer, mais maintenant je suis mon propre manager, depuis sept ans, et j’adore parler avec des grosses marques. J’ai plus besoin qu’on le fasse pour moi, j’étais avec Seen, le meilleur, j’ai tout appris. Maintenant je sais tout faire, je suis un indé complet. Si je m’en sors en peinture c’est parce que je n’ai pas fait les mêmes erreurs que dans la musique, j’ai mieux géré le business. On m’a souvent dit « toi t’es un Booba tu t’adaptes ». On est nés la même année. Je le cite souvent, c’est un de mes modèles. C’est le boss, il a tout niqué. Moi dans la peinture c’est comme lui, je veux faire gaffe à tout. Je suis un espèce de Booba de la peinture. L’avantage supplémentaire de la peinture c’est qu’on nous reconnaît peu dans la rue. Seen est millionnaire dans le street art mais personne ne le reconnaît dans le métro.

Mon but c’est d’évoluer tout le temps, j’espère que dans 20 ans je ferai autre chose. Je vogue de courant en courant, selon ma vie, selon mes influences. À chaque fois que je fais un truc, je le fais à cent pour cent et quand tu fais les choses à fond, ça t’ouvre dez portes. La peinture c’est jusqu’à la mort, c’est ma mission sur Terre maintenant. Je peindrai jusqu’à 95 ans comme Picasso. Avec les années ça va aller encore plus loin, je vais me mettre à la sculpture. j’ai déjà commencé, je vais faire ça avec des imprimantes 3D aussi.

Il va y avoir un nouveau bouquin bientôt, qui racontera ce que j’ai fait dans la peinture depuis que j’ai arrêté le graf, qui sera donc basé uniquement sur les toiles et les façades.

Pro176 peignant un mur du parking de l’Institut de Monde Arabe à l’occasion d’une soirée Classics Only (2019) / Source : Instagram de Pro176

J’ai mon atelier, j’ai mes assistants, ma société, tout va bien. Par contre le COVID me baise un peu. Je devais faire deux expos solo ce mois-ci et je devais aller à la Réunion pour deux façades, je perds un max de tunes. En plus d’être confinés, les gens ne veulent plus consommer d’art pendant la crise, ils écoutent BFM en non stop. Mais je fais du stock en ce moment, je peins et je m’inquiète pas trop. Je vais à mon atelier malgré le confinement, je suis un gueur-ta, je sais me déplacer en furtif.

Je suis parti vivre à Valence parce que je commençais à signer mes premiers contrats, je gagnais des gros chèques, j’avais des potes ici, des Ultra Boys. À Paris c’est la misère, ça coute trop cher un atelier. Puis il pleut tout le temps. Ici c’est calme, il fait beau et c’est beaucoup moins cher que Paris. Ici ils sont un peu repliés sur eux même mais ils font bien la fête, ils s’amusent. T’es un peu au bord du monde matrixé, je kiffe. C’est un délire. Paella à un euro, mama qui te sert la bouffe, pas de licence 4. L’Espagne, c’est ma base, mais c’est pas là où je fais mon business. Je suis bien ici pour le moment, on verra pour la suite.

J’a pris le risque de quitter paris donc de me fermer le marché français mais de l’extérieur j’ai pu accéder à d’autres marchés et avec le succès international, les français ont été obligés de me reconnaître et de m’inviter partout. La vison qu’avait la France sur moi a changé à ce moment-là.

Bon par contre le rap à Valence c’est mort, il y a pas de business, pas de radio hip hop. T’allumes la radio c’est les années 80. D’ailleurs ce qu’est ouf, c’est qu’aujourd’hui les rappeurs en Espagne ne s’inspirent pas de Young Thug ou je ne sais qui, ils s’inspirent de PNL ou MHD. Le gars qui me vend de la weed écoute Maître Gims et il ne parle pas un mot français. Jul est très écouté aussi ici, puis ils aiment bien Kekra. Pour moi les français mènent la danse aujourd’hui dans le rap. Des fois sur youtube, je vois des cainris, des mecs du hood, qui écoutent du PNL. Là on a gagné. Quels cainri auraient mis La Cliqua à l’époque ? Aucun parce que ça leur ressemblait trop, il n’avaient pas besoin de ça. Alors qu’aujourd’hui en écoutant des français ils découvrent d’autres univers.

PNL, je les ai rencontrés, encore un truc de dingue. J’étais déjà fou d’eux avant qu’ils sortent « Le Monde ou Rien », pour moi leur premier album « QLF » est un classique. Chez moi j’ai même la mixtape d’Ademo « Le son des halls », qui date de 2009. Donc je les suivais vraiment à l’ancienne, avec mon assistant on les écoutait grave, je partage grave sur les réseaux depuis le début. Un jour, j’étais à Paris pour une expo. Ce soir là je sors de chez un pote, j’étais défoncé sous skunk et sous whisky, je vais chercher mon hôtel, je suis dans une rue obscure et là je vois Ademo et N.O.S. dans un bar. Je vois qu’ils ont des paquets de clopes et je me dis qu’ils vont sortir fumer donc j’attends qu’ils sortent et je commence à leur raconter ma life. Je leurs fait « hey les mecs, j’ai jamais fait ça, mais il faut que je me prenne en photo avec vous, vous allez tout niquer, vous êtes les meilleurs ». Ils me répondaient que ça tuait ce que je disais, ils kiffaient trop. On est restés 1h30 ensemble. Il venaient de rentrer de Naples pour leur clip et moi j’étais sur le point d’y partir pour un truc de graffiti. Je leur ai montré des trucs de graf sur instagram ils hallucinaient. Je crois que j’avais plus de followers que N.O.S. à l’époque. Je commence leur expliquer le business de toiles et on a parlé pendant tout ce temps. J’étais trop bourré donc je pense que j’étais marrant, j’étais trop flow.

Le pire c’est que six mois après Seen arrive de Los Angeles, on fait un truc, je ne sais plus quoi, une soirée art urbain. On se fait un resto et comme d’habitude je suis bourré, Seen aussi, et dans la rue, on les recroise ! Je les présente entre eux « donc là c’est Ademo, là c’est N.O.S., là c’est Seen, vous êtes tous des légendes mais vous vous connaissez pas c’est super . » Les mecs m’ont reconnu. Ils avaient percé à ce moment-là donc je leur disais « alors qui est-ce qu’avait raison, hein qui (sourire) ? » J’aimerais bien les revoir. C’est eux qui m’ont fait réécouter du rap français, j’en ai jamais écouté autant que maintenant.

Pro et Ademo

Là le nouveau mec qui va tout péter pour moi c’est Gazo. On se parle sur insta. Il prend du poid de ouf, il fait de la drill comme à Londres, c’est incroyable. Il est dans la vraie violence, la vraie, il fait des clips, il a double glock dans les mains, pas des armes louées comme les autres, il danse autour des balles, ils ont des mitraillettes de l’enfer, dans les clips ils ont des têtes de marabout foutu. Je pense que sa vie est vraiment folle à lui. De la trap avec des armes c’est banal mais il le fait tellement bien et son flow est tellement dingue. D’ailleurs c’est les Kickback qui m’ont fait découvrir ça.

Gazo est connecté à Freeze Corleone que je kiffe aussi. Son univers me fait penser à moi à l’époque, il a un esprit Street Cobra lui aussi.

C’était pas mieux avant le rap français, moi j’ai toujours suivi le flow du truc. Il y a un battement de cœur qui t’emmène dans une nouvelle dimension. Il faut le suivre.

Si les jeunes connaissent Assassin ? Non et c’est pas grave, c’était un autre style de musique. Aujourd’hui il y a des nouveaux codes. Je ne leur en veux pas de ne pas connaître, c’est comme si moi à mon époque on me reprochait de pas connaître Schoolly D, je connais pas c’est pas ma génération, je m’en bats les couilles. C’est trop vaste pour tout connaître. La musique évolue trop vite, surtout le rap. J’ai vu l’émission Rap Jeu avec Koba LaD qui connaît pas IAM, te te rends compte qu’il avait 19 ans ? Il est né en 2000 ! Ils ont fait quoi IAM après 2000 ? Il a dû commencer à écouter du rap en 2010.

Ca m’a grave fait plaisir de reparler de tout ça en tout cas, de reparler de rap. C’est des bons souvenirs. Aujourd’hui je suis toujours en contact avec Mouloud, Nikkfurie, Squat, Duke etc.. On s’envoie des big up, on se partage des trucs, heureusement qu’il y a les réseaux. Mais tout a changé, on a tous nos vies. Pyroman est dans des business au Brésil aujourd’hui. J’ai fait une pochette pour Duke, pour son maxi avec Keith Murray. Kaer aussi c’est la mif, on est encore en lien aujourd’hui. Il est coach de scène, je crois même qu’il a coaché Hamza. Tous ces rappeurs-là n’ont pas eu ce qu’ils devaient avoir. Quand tu vois La Caution franchement le niveau qu’ils avaient. Les mecs me scotchaient en écriture. Je devenais ouf. Ils sont rois sans couronne. Sans me jeter des fleurs, je n’ai pas eu ce que je devais avoir non plus. Mais c’est un plaisir d’avoir vécu cette épopée et d’avoir rencontré tous ces gens.

C’était cool le hip hop mais aujourd’hui je ne suis pas hip hop, je suis libre. Je suis un peintre, rien d’autre. Je suis béni des Dieux par rapport à ça.

Là t’as l’impression que je t’ai raconté trop de trucs mais je t’ai rien dit en fait (sourire). Si tu savais tous les dossiers que j’ai en stock. Je ferai un livre quand ils seront tous morts ou quand je serai sur le point de mourir, comme les hommes politiques.


Article dédié à Dj Duke décédé quelques mois après la sortie de cet article, le 6 novembre 2020.

 

Merci à Nabil Ifalas, Zo., Olivier LBS et Gab que j’ai saoulés avec les incertitudes qui ont entouré la sortie de cet article.

Merci à Pro176 pour la confiance et d´avoir accepté de se raconter de cette manière : www.pro176.com

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