En 2009, je découvre Aelpéacha et tout le microcosme g-funk qui gravite autour de lui. Sur la compilation « Chargé » sortie la même année, un grand nombre de rappeurs – se réclamant de cette scène – posent leurs meilleurs morceaux, encadrés par le boss du Studio Delaplage. Parmi eux un rappeur dénote légèrement du reste. C’est Jeune LC, qui aux côtés de Sobre et Double S, réalisent le morceau Chargé – 1ère charge. Pas vraiment convaincu au premier abord, j’oublie rapidement ce morceau et le rappeur, que je re-découvrirai des années plus tard sur plusieurs featurings et quelques morceaux laissés au hasard sur Soundcloud.
Adulés par certains et incompris par d’autres, Jeune LC ne laisse pas indifférent à la première écoute. Ce rappeur qui officie depuis déjà le milieu des années 2000 dans l’underground parisien, est une petite légende à lui tout seul pour les fans de rap, tant ses apparitions sont rares mais guettées de près. Aujourd’hui, Jeune LC semble désabusé lorsqu’on lui parle de sa musique et du rap en général. Morceaux supprimés, projets avortés, le rappeur du 10ème arrondissement ne simplifie pas la tâche à ses auditeurs.
Étonnés qu’il ait accepté notre demande d’interview, nous sommes revenus avec lui sur plusieurs passages de sa vie, des rencontres marquantes au rapport à sa musique et à sa relation avec Paris. En soit, de nouvelles clés de lecture qui permettent peut-être de mieux comprendre l’état d’esprit du rappeur. En espérant que cette interview puisse jouer sur sa motivation à sortir de nouveaux morceaux.
Interview réalisée en février 2018.
Photos : Paul Mesnager
Il n’y a aucune interview de toi sur Internet, ni même sur aucun autre média. Je me demandais si c’était un choix de te part de ne pas t’exposer, d’être un peu discret par rapport à ta vie et ton rap.
Pas du tout, j’aime bien échanger, c’est juste qu’on ne m’a pas proposé et comme je n’ai jamais eu réellement de projet, de sortie, il n’y a donc jamais eu véritablement de raison de m’interviewer je pense.
Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’il y a beaucoup de gens en attente de ta musique et qui souhaitent réellement que tu sortes un projet. Il y a quelques mois, l’Abcdr a sorti un papier sur le morceau Début d’automne en parlant de toi comme “le secret le mieux gardé de Paris”. Tu te sens comment avec cette image ?
On est habitué à ce que les gens sortent beaucoup de choses, on est dans une époque où on est plus dans la quantité que la qualité. Donc c’est vrai que je suis un peu à contre-pied de ces gens là. Je peux comprendre que ça soit un peu bizarre pour les gens mais le rap est un truc un peu instinctif pour moi. Un jour je me lève un matin et : “Tiens je vais faire un son”. Mais en vrai ce n’est pas ce qui me fait vivre.
Pourtant, ça fait presque 15 ans que tu rappes ?
(me reprend) Ça fait même 22 ans que je rappe. Je suis né en 1984 et j’ai commencé à rapper en 1996.
Tu viens de Bobigny, c’est ça ?
Je suis né à Bobigny, ouais. J’ai grandi dans 3-4 villes du 93, un peu dans le Nord de Paris aussi. Et là ça fait 10-15 ans que je suis dans le 10ème.
« Le rap est un truc un peu instinctif pour moi. Un jour je me lève un matin et tiens je vais faire un son. Mais en vrai ce n’est pas ce qui me fait vivre »
L’enfance, c’est un thème qui revient assez souvent dans ta musique. Quels souvenirs gardes-tu de cette époque ?
C’est un monde assez particulier quand tu vis dans une cité. C’est un monde qui laisse beaucoup de place à l’imaginaire, tu vis dans une cité et autour, tu as un peu la campagne, un peu rien. Du coup tu es dans un espèce de monde où tu imagines l’extérieur, tu as juste des rails avec un train qui passe. C’est assez particulier, j’aurais du mal à le décrire mais pour l’imagination, je trouve que c’était assez fort. Il y avait un truc qui s’appelait le festival XXL de hip-hop à l’époque. Tous les ans, il y avait ce gros festival avec tous les gros rappeurs français qui venaient faire leur truc. Donc déjà à l’âge de 7-8 ans, on se prenait des grosses scènes avec des mecs super chauds, genre la Cliqua, les Sages Poètes de la Rue. C’était assez hip-hop le 93 à l’époque, le graffiti était hyper présent. J’ai baigné dans tout ça, je pense que ça fait parti de mes influences.
Est-ce que tu écoutais les mecs qui venaient de ton coin ?
Ouais, j’écoutais beaucoup NTM, j’ai même appris à rapper en chantant leurs chansons. On était fiers qu’il mettent le 93 sur la carte.
La cité Karl Marx où tu as grandi, est actuellement en reconstruction, la ville veut re-moderniser le lieu, rendre le lieu plus coloré avec davantage d’espaces verts, etc.
Ils veulent désenclaver en fait. Si tu veux quand tu vis dans une cité, les keufs ne peuvent pas rentrer parce que pour rentrer, il faut passer par les escaliers. C’est hyper cloisonné et tu vis un peu en autarcie du monde. Donc là ils essayent de déconstruire un peu tout ça pour mettre des routes qui traversent. Mon avis est partagé, c’est peut-être bien de vivre moins dans un monde fermé mais en même temps, c’est toute mon enfance, c’est comme si tu brisais quelque chose, comme si tu brûlais un album photo et toutes les cassettes vidéo que ton père avait gardé de toi bébé. J’y suis retourné et c’est vrai que ça m’a fait mal au coeur de voir ma tour détruite complètement. C’est comme si on m’enlevait mon passé un peu, ça a été une petite souffrance, je suis assez attaché à là où je suis né en fait même si je n’y retourne plus trop.
Tu as encore de la famille là-bas ?
Mon père y habite toujours, mais il vit dans une autre cité du coup je ne retourne plus vraiment à Karl Marx, et puis je ne connais plus personne là-bas.
Pour revenir rapidement à Karl Marx, certains habitants regrettent le manque de mixité culturelle, beaucoup plus présente à une certaine époque. Tu en penses quoi toi ?
Je ne sais pas, je pense qu’il va y avoir ce qu’on appelle la gentrification, le 93 va devenir une zone très demandée parce que pour les gens qui veulent venir vivre à Paris, il n’y a plus de place. Je pense que c’est de plus en plus de gens aisés qui vont pouvoir venir et donc les gens qui habitaient là vont devoir aller encore plus loin. Ça va chasser les gens qui habitaient là à la base. Est-ce que c’est une bonne chose pour les gens du 93 ? Je ne sais pas. Si le gouvernement voulait vraiment faire des choses pour les fils d’immigrés et les immigrés du 93, ça ferait longtemps qu’ils l’auraient fait, donc je pense qu’il y a une raison autre, sans doute liée au Grand Paris.
Quand est-ce que tu as réellement commencé le rap ?
J’ai commencé à écouter du rap à 10 ans, et j’ai du commencer le rap à 12 ans. Je travaillais avec des gens qui étaient plus âgés que moi et c’est quand je suis arrivé à Paris et que ma mère a déménagé à la Fourche dans le 17ème. J’avais 3 voisins qui étaient plus vieux que moi et qui étaient à fond dans le rap américain à l’époque. Je commençais déjà à rapper et vu qu’on était tout le temps ensemble, j’ai fait comme eux. C’était naturel. C’est comme si disons, tes potes d’en bas jouent au ballon, tu vas jouer au ballon avec eux.
« Il y avait surtout le Virgin Megastore, qui a été un gros tournant de ma vie. Il y avait à peu près tout ce qui pouvait exister en rap, environ 90% était là et en écoute. »
Tes premières inspirations sont au final françaises ou américaines ?
(il hésite) Je pense qu’elles sont clairement françaises. Après elles sont très vites devenues américaines. J’ai toujours été quelqu’un qui était dans la recherche. Comme j’étais plus petit que les gens avec qui je traînais, je m’étais dit qu’il fallait que je puisse clouer le bec aux grands de mon quartier, et que je rattrape tout mon retard. Super vite, je me suis mis à écouter des trucs comme Slick Rick, Public Enemy, fin années 80, A Tribe Called Quest… Alors que je n’avais que 13-14 ans et personne de cet âge n’écoutait ça. J’allais chez des gens qui avaient des disques et des bouquins. Je les lisais, je connaissais certains trucs en lecture et même pas en son. Il y avait surtout le Virgin Megastore, qui a été un gros tournant de ma vie. Il y avait à peu près tout ce qui pouvait exister en rap, environ 90% était là et en écoute. Tu pouvais écouter les 30 premières secondes mais c’était déjà assez (sourire).
Écouter Slick Rick quand tu as à peine 10 ans, ça marque à vie je suppose.
Slick Rick, ça reste un de mes rappeurs préférés.
LC, ça vient de Lyrical Concepteur, c’est bien ça ?
À la base, je cherchais un nom pour le groupe que j’avais avec les 3 mecs de mon immeuble, à la base c’était “La clique de l’Afrique” (rires). J’avais trouvé LC Crew, Lyrical Concept je crois, un truc à la con comme ça et au final ça n’avait pas tenu. Je l’avais gardé pour moi, je taggais sur mes cahiers “LC” et les gens m’appelaient comme ça donc c’est resté. On enregistrait déjà des trucs à l’époque avec des écouteurs qu’on transformait en micro, on pensait qu’on pouvait sortir un truc avec ça, on avait 12 ans tu vois (sourire). C’était en 96-97. J’ai pu commencer à enregistrer dans de vrais studios en 2000, avant ça c’était très très amateur. Quand on a tous déménagé, le groupe s’est arrêté.
Et le groupe Grand Boulevards, aux côtés de Charaf ?
Ça c’est bien plus tard, c’était en 2005.
Quand tu déménages à Paris, qu’est ce que cela change dans ta vie ?
Ça change beaucoup. Ce qui a changé quand je suis arrivé à Paris, c’est que c’était un environnement totalement différent. En cité, tu as beaucoup d’espaces verts, pas vraiment de voitures. Quand je suis arrivé à Paris, je me suis pris les rues avec les voitures, ça a vraiment été un choc, je ne savais pas vraiment où l’on pouvait jouer. C’était différent. Les mecs sont également dans une mentalité différente, un peu plus speed qu’en cité. En cité, ça reste assez calme, les gens sont posés et font leur petit business, leurs trucs. À Paris j’habitais pas loin du boulevard Pigalle, donc il y avait tous les pickpockets, les putes et tout ça… Les mecs étaient plus malins et plus despi qu’en banlieue, même si les mecs de banlieue restaient très vifs et très intelligents aussi.
C’est à cette époque que tu rencontres les rappeurs qui constituent un peu ton entourage (Joe Lucazz, Provok, etc.) ?
Tous ces gens là, je les ai rencontrés quand je suis revenu à Paris dans le 10ème, c’était donc en 2005… Là je suis devenu une autre personne, c’était l’époque du son dirty south, c’est là que je suis rentré dans cette vibe là. J’étais parmi les premiers artistes à rapper sur des instrus de type dirty south.
J’ai découvert il y a peu le reportage Le Crunk de Belleville, réalisé par Ariel Wizman à l’époque et dans lequel on aperçoit Charaf.
(sourire) On s’est rencontré exactement à ce moment là. On s’est rencontré un mois avant qu’il parte aux states pour faire ça. Les gens ne savaient pas ce que voulait dire “la crunk”. Avec Charaf, on allait en soirée et on mettait la pression aux DJ’s pour leur dire de jouer du crunk, du south. C’était hyper nouveau. Rafcha était à la pointe dessus. Quand il était aux States, il m’appelait pour me dire : “Ouais on va faire un groupe, on va faire un truc lourd”. Il avait deux copines à lui qui avaient des dents en or, bien énervées. Il voulait faire un truc à la Crime Mob, c’est un groupe d’Atlanta avec deux mecs et deux meufs. Le son Knuck if You Buck, c’était un gros hit à l’époque. Bref, il voulait faire un groupe un peu comme ça. Quand il est rentré, il y avait finalement que moi et lui. On cherchait un nom de groupe, et comme on trainait beaucoup sur les Grands Boulevards… J’avais un appartement là-bas où on faisait nos trucs. C’était un peu l’état d’esprit paris Haussmannien, on voulait re-mettre en avant le côté luxueux de Paris, du coup : “Grands Boulevards”. Mais ça n’a pas été vraiment un groupe, on a dû faire trois morceaux ensemble, on était plus un groupe de potes on va dire.
Et Bigg Meuj ?
À la base, Bigg Meuj c’était le pote à Charaf. Mais il n’a jamais fait parti de Grands Boulevards. Je l’ai rencontré par Charaf, puis on est devenus potes.
Est-ce que le fait de voir des potes autour de toi sortir des projets, se professionnaliser dans le rap, tu ne t’es jamais dit : “Je peux le faire et j’en suis capable” ?
Ah si complètement ! Mais… Je voulais le faire à ma façon et bien. Je ne pouvais pas le faire d’une façon qui ne me plaisait pas totalement. Le vrai problème était qu’il n’y avait pas de producteurs, il n’y avait personne qui faisait des instrus qui m’inspiraient. Tous les sons que j’ai fait à l’époque, c’était des face B donc il n’y avait pas matière à faire quoi que ce soit. Je ne pouvais pas réellement sortir de projet, ni d’EP donc ça m’a un peu bloqué. Jusqu’à que je rencontre Myth Syzer, qui m’avait contacté à une époque où il faisait un peu du son à la J Dilla. Je me disais : “Mais c’est qui ce mec, qu’est ce qu’il veut ?” (sourire). Au début, je ne le calculais pas trop. Avec le temps, il a commencé à montrer au monde qu’il faisait des bonnes instrus, et à dériver vers des choses un peu plus south, un peu plus élaborées, un peu plus cainris. C’est là qu’il m’a dit : “Vas-y viens on fait un projet”. C’est là que je me suis dit éventuellement, on va pouvoir faire un vrai truc.
Ce projet, beaucoup de gens l’ont attendu…
Le problème est qu’on ne s’entend pas donc le projet ne sortira pas.
Jeune LC – Mauvais délire (prod. Myth Syzer)
On va maintenant parler de l’une de tes collaborations, c’est celle avec Metek avec qui je trouve, tu partages beaucoup de points communs.
C’était en 2013. Metek, je l’ai rencontré parce que c’était un pote à Charaf., c’est Odji Ramirez, un mec d’ATK et du CSRD qui était proche de Charaf. Metek était connecté à ATK, donc Charaf le connaissait par rapport à ça. C’est l’époque où je traînais à fond avec Charaf, un jour il le ramène le jour de l’an, il venait à peine de sortir de prison et on a commencé à rider ensemble. J’ai vu que le mec était fou, qu’il avait un rap incroyable. Donc on est devenus potes, on s’est beaucoup défoncé ensemble. À vrai dire c’était plus ça notre relation (sourire). On s’est toujours dit qu’on devait faire un morceau. 3-4 ans après, on a réussi à faire ce morceau. Mais ça a été super difficile de le faire parce que des mecs barrés comme lui – moi aussi je suis barré à ma façon – c’est dur de mettre ces deux individus en studio et de réussir à faire quelque chose. Il y a eu 10 000 tentatives, même un album qu’on voulait faire… C’est vraiment un bête de pote à moi et je ressens vraiment sa musique. Je le dédicace beaucoup dans mes morceaux d’ailleurs.
Tu as écouté son album “Riski” ?
Ouais, il y a des morceaux que je kiffe dedans. Il fait des trucs chanmé mais je pense que c’est le genre de rappeur qui a besoin d’un producteur dans le sens Birdman ou Puff Daddy, qui dirige un peu parce que sinon, il est trop barré et ça va trop partir à gauche à droite. C’est le genre d’artiste hyper talentueux qui aurait pu devenir quelqu’un de vraiment important s’il avait eu le bon management derrière, la bonne structure. Moi aussi d’ailleurs je pense (sourire).
Il y a un autre featuring dont je voulais parler, c’est celui avec Aelpéacha sur la compilation “Chargé” sortie en 2009.
J’ai rencontré Desty Corleone – paix à son âme – qui est l’un des membres du Réservoir Dog avec Odji Ramirez. Il m’avait ramené sur le tournage d’un clip d’Aelpéacha du coup je l’avais rencontré par là. Longtemps après, il m’avait appelé pour cette compilation et je suis venu.
Est-ce que tu t’identifiais à cette nouvelle scène west en France ?
Oui et non. C’est à dire que j’étais dans cette vibe clairement west-coast, même si c’était un peu plus dirty south. Mais je n’étais pas dans le cliché. Je n’étais pas le genre à mettre des low-riders dans les clips. Moi mon slogan était plus “Réalité rap music”, donc je ramenais plus ma réalité, à savoir la ride, la drogue, les boîtes de nuit, Paris, mes origines… Je n’étais pas dans ce lifestyle. je les adore tous, mais moi ma direction artistique était plus dans ramener quelque chose d’authentique et de parisien. Après dans les CSRD, tu avais les deux. Réservoir Dogues, c’était plus dark et ils venaient plus de Panam.
Qui est Fuego el Fugitiv ?
(sourire) C’est un ami d’enfance, complètement fou aussi. (s’adresse à l’enregistreur) Excuse-moi Léo. C’est un mec qui a vécu dans plein de pays différents car il était un peu en caval tu vois. Il a toujours voulu rapper avec moi, moi je n’ai jamais trop voulu – c’était mon pote mais c’était pas vraiment un rappeur si tu veux. Pour ce morceau, on était à Barcelone, on a fait un voyage au Maroc et on en a profité pour faire ce morceau là. C’est un bon poto à moi que je ne revois plus, je ne sais pas où il est dans le monde à l’heure qu’il est.
Toi qui ne t’identifies pas comme rappeur, qu’est ce que cela te fais lorsqu’en concert, tu vois des gens qui apprécient ta musique et connaissent parfois les paroles ?
C’est vrai que c’est touchant. Des fois c’est vrai que je me pose la question : “Est-ce que je ne devrais pas vraiment me mettre à rapper ?”. De voir que des gens chantent mes lyrics, ça me fait prendre ça en considération. Ça me fait un peu de peine, j’aurai bien aimé donner un projet à ces gens là. Mais dans la vie, les choses ne se passe pas toujours comme on veut.
Bon Gamin, ça t’a donné aussi une nouvelle visibilité.
En fait, il y avait pas beaucoup de gens à Paris avec qui je me sentais de rapper. Comme eux je les ais vus un peu grandir – en termes de rap on va dire – je me sentais assez proche d’eux et ça a collé. On a fait quelques morceaux ensemble et on va continuer de faire quelques morceaux ensemble et quelques dates, en tout cas avec Ichon et Loveni on reste toujours très proches et c’est cool. C’est un bon groupe, beaucoup d’amour pour eux.
Tu as l’air très indécis autour de ta musique. Un jour on sent que tu veux te remettre à fond dans le rap et un autre plus du tout, que c’est de la merde, et que ça n’a pas beaucoup de sens, et tu supprimes tes morceaux.
Ouais (rires), d’ailleurs je viens de supprimer mon Soundcloud il y a deux jours. En vrai, je n’ai pas la réponse à cette question. Je ne crois pas vraiment à l’astrologie, mais je suis du signe balance. Je suis toujours un peu un pied à gauche, un pied à droite. Des jours je me dis que c’est mon truc, c’est ce qu’il y a dans mon coeur, il faut que je le fasse. Un autre jour, je me dis que je ne suis pas du tout la dedans, ça ne me parle pas du tout, quand je vois le rap aujourd’hui ça m’inspire pas vraiment, donc j’ai pas envie… Je suis encore jeune, je me cherche encore peut-être.
Il y a quelque chose qui revient souvent dans ta musique, c’est ce que tu vas laisser au monde, quand tu ne seras plus là.
Je me dis souvent : “À quoi rime tout ça, pourquoi on vit ?”. C’est des questions existentielles qui n’ont pas vraiment de réponse. À quoi bon même faire ce rap, vu que tout ça n’a pas de sens. La vie n’a pas de sens. En le rapant, j’essaye de me le faire comprendre à moi même, j’essaye de le faire intégrer aux autres, il faut arrêter de se poser des questions, car tout ça n’a pas de sens. Pour autant, je n’essaye jamais de rentrer dans le dark nihiliste.
Il y a la ride aussi.
Quand t’es à Paris, tu ne peux pas y échapper, quand t’es fourré, tu rides, quoi que tu fasses, t’es dedans.
C’est le dénominateur commun entre toi et tous les rappeurs qui gravitent autour de toi, non ?
C’est le dénominateur commun de toute ma vie, de tous les gens que je connais. C’est la ride qui nous ramène au fond. Il y avait une phrase chanmné de Metek qui disait : “Comment ça ils disent tous la ride, c’est nous la ride !”. C’est une phrase mythique, c’est clairement eux qui ont ramené ça. À la base, c’est des mecs qui s’appellent Nano, Bolo, des grands de cette équipe là, qui ne sont même pas des rappeurs et qui ont ramené tous ces termes : la ride, c’est là que t’es bon, maussade, toutes ces expressions… Aujourd’hui, ça ne veut plus rien dire. La ride, c’est les mecs de Club Splifton du 94 qui roulent parce qu’ils habitent en zone pavillonnaire, et que t’es obligé d’avoir une caisse pour aller en soirée, donc tu rides. Après, le truc s’est transformé avec les mecs comme Metek à Paris, où tu rides à pied, en taxi, tu rides avec ce que tu as. Ça fait 10 ans que j’essaye d’arrêter de rider. J’habite au milieu de la ride, j’habite dans le 10ème tu vois. Avant, j’étais un mec qui faisait des trucs, maintenant j’ai un bar, je suis dans la ride. La ride est en moi, donc j’essaye de la transformer dans des trucs positifs comme le sport.
Le “jeune”, il vient d’où ?
À la base, vu qu’on écoutait beaucoup les trucs du sud, il y avait beaucoup de mecs qui s’appelaient “Young” ou “Lil” quelque chose. Avec Charaf, on était un peu dans cette vibe là, un peu comme Roi Heenok, de traduire de l’anglais au français mot à mot. Donc Jeune LC, c’était logique. Après j’ai un peu transformé ça. Par exemple, quand j’appelle mon pote, je lui dis : “T’es jeune ou quoi ?”, ça veut dire : “Est-ce que t’es bon ou pas, est-ce que tu as du cash ou pas ?”. Quand on voit une go, je dis “Elle est jeune !”, ça ne veut pas dire qu’elle est jeune mais qu’elle est bonne (sourire). On a échangé le mot bon avec le mot jeune. Être jeune, c’est être frais, en pleine forme, être bon. Jeune LC, ça peut vouloir dire le Bon LC.
Comment tu t’y prends pour écrire ?
C’est simple, j’écoute une instru ou même un nouveau son d’un rappeur cainri, et dès les premières secondes, je vais me dire “Oh l’instru, elle défonce”. Avant même de finir le morceau, je vais chercher la face B, et tac, je vais écrire en impro dessus. C’est pour ça que mes morceaux sont souvent hyper longs, parce que j’écris non stop 50-60 mesures et ensuite je retaille un peu dans la pierre pour sculpter le truc. Des fois, je vais écrire 3 sons en un jour, d’autres fois un morceau en un an. Ça dépend de mon énergie, ça dépend des sons que je vais écouter.
Tu t’autorises parfois à parler sur les instrus, notamment sur le morceau Demain avec Ichon, que certaines personnes ne comprennent pas.
(rires) Je lui avais dit d’enlever la partie parlée du morceau, c’est lui qui a voulu le garder. On était foncedé dans les studios tu vois… Il y a beaucoup de gens qui disent : “Oh il sait pas rapper”. Je suis d’accord, je ne trouve pas que je sois un bon rappeur. Je ne cherche pas à être technique, je ne cherche pas à être un bon rappeur, je balance ma sauce, après tu kiffes ou tu ne kiffes pas. Je peux comprendre que si tu me connais pas, tu te prends un couplet comme ça, ça peut paraître bizarre.
La plupart des choses dans la vie que je kiffe, c’est des choses que je n’aimais pas forcément au départ. Les rappeurs que je kiffe le plus, au départ quand je les écoutais, je trouvais ça chelou. Quand j’écoutais les rappeurs de Cash Money, je me disais : “Mais qu’est ce que c’est que cette merde”. Ça n’avait aucun sens. Maintenant c’est devenu mes rappeurs préférés, je les écoute tous les jours. Dans la vie, les choses que tu te mets à kiffer direct, c’est comme des bonbons, c’est de la merde. Le vrai cinéma, c’est les choses dures à apprécier direct. Des mecs comme Cassavetes, au début c’est dur de rentrer dedans. Je pense que sans prétention, je suis un peu dans ce genre là (sourire).
Quand on parle de ta musique, c’est les mots “sincérité”, “réalité” qui reviennent le plus souvent.
J’essaye j’essaye. Quand t’es un rappeur, tu rentres dans l’intimité de quelqu’un. Tu rentres dans la vie de quelqu’un à travers ses oreilles. Si tu lui mens, c’est comme si ta meuf te mentait ou que ton pote te mentait.
Il n’y a pas de différence entre Mehdi et Jeune LC ?
Je pense qu’il doit forcément en avoir une mais j’essaye de faire en sorte qu’il n’en ai pas. Après… le rap reste quand même un truc imaginaire, il y a peut-être des moments où je glisse comme tout le monde, mais je pense qu’il y en a très peu. En fait, je pense que ce n’est pas qu’il y a de différence entre moi et le rap que je fais, c’est qu’il y a plusieurs différences entre moi et moi même. Je peux être plusieurs personnes, je peux être un mec hyper sain, qui se lève tôt et qui fait du sport, qui boit du jus, qui limite va faire la prière, comme je peux être un mec qui va taper de la coke et baiser des putes, faire des trucs de salaud tu vois. On a tous plusieurs facettes en nous.
« Je pense que ce n’est pas qu’il y a de différence entre moi et le rap que je fais, c’est qu’il y a plusieurs différences entre moi et moi même. Je peux être plusieurs personnes »
Justement, t’es vachement explicite par rapport à tout ça. Le rappeur Lalcko disait à ce sujet : “Je ne rappe pas pour renseigner les flics”. Tu penses quoi de cette phrase ?
Je comprends ce qu’il veut dire. Comme un pote à moi disait, on est souvent en train de s’auto-balancer tu vois. Mais je ne peux pas dire que j’informe les flics, si j’informais les flics, ça veut dire que j’irais balancer les flics alors que ce n’est pas le cas. Je m’auto-balance moi parce que je m’en bats les couilles, je raconte ma vie, dans ma réalité, je fais de la musique et les flics ne m’ont pas arrêté pour ce genre de trucs, donc fuck.
Dans un morceau tu dis : “Mes téléphones sonnent puis je m’en vais vivre mes textes”. Est-ce que ça t’arrives de te forcer – d’une certaine manière – à vivre certaines choses dans le but d’alimenter ta créativité lorsque tu écris ?
Non pas du tout. C’est plutôt l’inverse, j’essaye de désalimenter mon rap. Pourquoi j’enlève mon Soundcloud, pourquoi je veux arrêter de rapper, c’est parce que le rap est lié à toute cette merde. C’est lié à la drogue, c’est lié à la ride. Quand j’essaye d’arrêter ça, je jette le rap dans le même sac, je le ferme et je le jette à la poubelle. Je ne peux pas demain devenir un Ali ou un abd el malik, qui va faire un rap de repenti. Je n’ai pas envi d’être ce rappeur là. Je respecte Fabe, c’est un des meilleurs rappeur français, il est rentré dans la religion sérieusement, il est devenu adulte, il a arrêté le rap, point barre, ce n’était pas compatible ! Je trouve ça respectable. Après je respecte Ali, je pense que c’est un bon gars et il dit de bonnes choses. En général, tu as été connu pour un certain type de rap, c’est pour ça qu’on t’aime, je n’ai pas envi de te voir rapper sur d’autres choses.
Il y a une relation amour-haine avec Paris dans ta musique. Est-ce que tu penses qu’il faut avoir vécu ou vivre à Paris pour mieux comprendre ta musique ?
Je pense que tu peux ne pas avoir vécu à Paris et de loin, tu pourras comprendre certaines choses et ma vision. Mais c’est vrai que tu comprendras mieux ma musique si tu as vécu à Paris, si tu as fait les mêmes choses que moi globalement, tu vas pouvoir t’identifier et te dire clairement : “Ouais je vois vraiment de quoi il parle cet enculé” (sourire).
Tu serais capable de vivre ailleurs qu’à Paris aujourd’hui ?
Ouais, j’aimerais bien vivre à New-York, à LA, au Maroc. Mon coeur est ici, ma famille est ici, donc je reviendrai toujours ici. mais oui il se peut que je m’expatrie un jour.
Il y a une autre phrase, c’est : “Je maîtrise mon environnement, mon architecture parisienne”.
Moi ce qui me fait kiffer dans le rap, c’est que quand j’écoute du rap de New-Orleans, tu sens la ville. Quand j’écoutais du rap west-coast, tu sens LA tu vois. J’ai toujours dit, mon rap, c’est la musique d’un cinéaste frustré. À défaut de pouvoir faire des films, je fais du rap. Paris se définit par son architecture, et l’architecture définit les quartiers, la population qui y vit, toute la sociologie qui en découle. C’est vrai que c’est lié et que c’est lié à mon rap. Quand je dis que je maîtrise mon environnement, c’est que je sais que dans tel quartier, comment ça se passe, je sais que tel genre de keuf se trouve ici, comment il fonctionne, je vais rentrer dans un hall, je vais faire le code, je reconnais la gueule de gens… Je maîtrise mon environnement sinon ça ferait longtemps qu’un rider comme moi serait en prison, mort, ou se serait fait défoncer la gueule, pour l’instant ce n’est pas encore arrivé.
Tu parlais de cinéma. Tu n’as jamais eu envie d’écrire dans ce domaine là ?
Si si, j’ai voulu écrire. À l’époque avec Charaf, on avait un projet de faire une série qui s’appelle “Grands boulevards”. On voulait faire un mélange des Soprano et de The Wire, à notre sauce à nous (sourire). J’avais commencé à écrire, puis j’ai eu des problèmes avec la justice, ce qui a mis un terme à tous mes projets à l’époque. J’ai essayé d’écrire un peu après, mais je ne pense pas avoir le talent pour ça donc j’ai laissé de côté. Avec l’aide de vrais écrivains, je pense que j’ai de bonnes idées mais moi tout seul, je n’ai clairement pas la prétention d’avoir le talent pour ça. Je ne suis pas déjà un très bon écrivain en rap alors…
« J’ai toujours dit : “Mon rap, c’est la musique d’un cinéaste frustré”. À défaut de pouvoir faire des films, je fais du rap »
On approche de la fin de l’interview. J’insiste encore un peu dessus, mais es-tu réellement décidé à ne jamais rien sortir ? Est-ce que tu resteras à jamais le fantôme du rap parisien ?
Tous mes potes m’ont dit : “Si tu le fais pas, tu vas le regretter un jour”… Je serai toujours un peu frustré de ne pas avoir fait un gros truc, une vraie carrière, comme celle des mecs que je kiffe.
Je pense qu’il y avait cette peur là aussi de ne pas devenir connu. Je savais que mon rap n’était pas assez mainstream et que j’allais être un peu un outsider tu vois. Je ne voulais pas être dans cette case là, où tu fais des petites scènes en banlieue, et que t’as 30 ans, je ne voulais pas de cette carrière là. J’aime bien les mecs comme DMX qui sont ghetto mais avec une carrière internationale, j’aurai aimé avoir une carrière comme ça. Mais je pense clairement que je n’avais pas le niveau pour une carrière comme ça (sourire), comme plein de gens en France d’ailleurs. C’est sans doute la peur de ne pas réussir.
L’ouverture de ton bar “Le Jeune”, ça a représenté quoi pour toi ?
Un pas vers la légalité déjà (sourire), donc gros changement. Et puis après ça prend beaucoup d’énergie aussi, c’est pour ça que le rap a aussi été mis en standby. En 2013/2014, c’était l’une des périodes ou je devais sortir un truc avec Syzer, le bar a pris beaucoup de place et a dû jouer sur le fait que le projet n’est pas sorti. J’ai toujours privilégié mon hustle à mon rap.
Si tu devais changer quelque chose dans ton parcours ?
J’aurai aimé aller au bout de ce que je dis, quand je dis quelque chose, le faire vraiment. Mais en même temps, je suis allé au bout de ma vie à moi, j’ai fait ce que j’avais à faire, j’ai ouvert mon bar, j’ai fait plein d’autres choses à côté. Donc oui et non. Les choses auraient pu mieux se passer mais les choses sont comme elles sont, on ne peut rien y faire et c’est bien aussi. Faire confiance à la vie. La création elle se fait au quotidien, elle évolue, elle continuera de se faire.
Est-ce que tu as des rêves ?
Ils ne sont pas vraiment définis tu vois. J’aspire à… (il hésite). Être jeune, c’est aller de l’avant et chercher à faire de nouvelles choses tout le temps. Si tu ne fais pas de nouvelles choses, ton cerveau flétrie et devient vieux. Pour rester jeune, il faut apprendre de nouvelles choses et faire de nouvelles choses, c’est la seule façon pour que ton cerveau reste jeune. C’est vers ça que je tends, à apprendre et faire de nouvelles choses. Je n’ai pas de rêve spécialement défini. Mon rêve est de rester vivant et de rester jeune, voilà.
Ton dernier mot ?
Restez jeunes, restez vivants (rires). Pour rester jeune, vous pouvez faire tout un tas de choses : des exercices le matin, méditation, lire des livres, faire l’amour à votre femme différemment, essayer de nouvelles choses, rester curieux, sortir des sentiers battus. Les gens sont trop des suiveurs, il n’y a pas vraiment de création, et ça c’est pas jeune tu vois. Être jeune, c’est créer. Si vous aimez ce concept là, vivez le vraiment et soyez jeune jusqu’au bout dans votre façon de faire, quitte à changer votre façon de marcher.