Il arrive de découvrir un artiste avec un morceau dont on sait qu’il prendra une peine à perpétuité dans le lecteur relié à nos écouteurs. Souvent, cette première écoute nous donne envie d’approfondir, de creuser, de chasser les pépites, d’en savoir plus sur sa vie et son oeuvre. Parfois on ne trouve rien, si ce n’est une page Facebook à l’abandon, de rares apparitions sur des compiles, des titres en ligne sur un compte Soundcloud en friche, contribuant à renforcer le mystère. Une telle frustration peut se développer avec quelqu’un comme Karim Nazem, en tombant sur sa poignée de couplets sortis sur une période allant de la fin du deuxième au début du troisième millénaire.
Dans ce genre de situation, retrouver la personne, la rencontrer pour en savoir plus, peut devenir le dernier recours. C’est ce qu’on a fait avec l’ancien rappeur parisien, par deux fois à Paris, pour qu’il nous raconte un parcours construit sur des relations fraternelles avec Dj Vas, Rocé, Cris Prolific et Yann Kesz, un parcours semé d’embûches, semé d’échecs mais rempli de bons souvenirs. Un peu étonné qu’on le contacte, c’était la première fois qu’il se penchait sur une partie de sa vie dont il n’avait jamais vraiment exploré les souvenirs. De ces rencontres, de cette démarche égoïste, nous avons fait un article, pour que les prochains frustrés de Karim Nazem le soient un petit peu moins.
Voici donc un entretien fleuve avec un emcee qui n’a pas respecté la cadence d’une industrie qui laisse en chemin des personnes de talent, celles qui préfèrent leur propre rythme, le rythme de l’ombre.
Photos : Archives personnelles de Karim Nazem
À la source des [Mo]
Contexte
Je suis né en 76 à Paris vers la porte de Saint Ouen. Mon père est algérien et ma mère franco-italienne. Elle est née à Saint-Ouen. Lui est arrivé en France à 14 ans. Elle a arrêté ses études parce qu’elle avait besoin d’argent donc elle a commencé à bosser à 16 ans. Lui est venu au moment où c’était encore l’Algérie française, il a appris le métier de plombier pas très loin de Reims.
Moi j’ai grandi dans le 17ème arrondissement de Paris, dans la partie un peu scindée en deux par le boulevard qui fait la séparation entre le 17ème côté Saint-Ouen et l’autre 17ème… C’était la vie de quartier. T’avais des mecs qui faisaient des conneries, des mecs qui faisaient de très grosses conneries et des mecs comme moi qui ont évolué là-dedans tout en restant plus ou moins droits. C’est peut-être parce que j’avais la chance d’avoir une cellule familiale un peu plus stable. En fait je n’avais pas le choix, c’était assez strict à la maison. Je n’avais pas envie de décevoir.
Mes parents écoutaient beaucoup de musique des 70’, ils avaient des vinyles de James Brown, Curtis Mayfield, Steevie Wonder, Weather Report. Mon père était un fan inconditionnel de James Brown, il a même fait la sécu à son concert à l’Olympia en 71. À Saint-Ouen à son époque c’était ça, ils étaient à fond dedans. À côté de ça, lui écoutait sa propre musique qui lui permettait de se replonger un peu dans le pays pendant les moments de nostalgie. Donc t’avais des artistes comme IDIR, Dahmane el Harrachi et Farid el Atrache. Ils écoutaient aussi de la musique française, des trucs comme Balavoine, Ferré, Brel, donc des textes qui avaient du sens. Brel je l’ai saigné, je l’ai re-découvert lors de mon service militaire plus tard.
À la base la musique, je kiffais en écouter mais je n’allais pas fouiner, je n’allais pas chercher des disques. En fait c’est avec le rap que j’ai commencé à faire ça. En y repensant, j’ai grandi avec le rap, j’ai l’impression que ça a toujours été là. À la télé t’avais Sidney, même sans comprendre le truc, tu restes devant ta télé parce que c’était chanmé, tu vois des mecs qui dansent et tout…Il y a une culture à laquelle tu te scotches sans comprendre vraiment ce que c’est. Les casquettes retournées et tout ce qui va avec, ça t’attire quand t’es gosse. Je me sentais proche de leur attitude, des façons de bouger, de danser, des blagues, de l’ambiance. Tu reconnais un peu tes semblables, tu te sens en confiance. Si t’es en face de personnes d’un autre milieu, si t’es un peu inhibé tu ne vas pas forcément aller vers eux, souvent il y avait un côté défiance entre les milieux. Mais personnellement là-dessus j’avais quand même la chance de me trouver en équilibre par rapport aux différents mondes, entre les personnes issues de l’immigration et les autres par exemple. Je me suis toujours senti bien avec tout le monde, j’ai pu naviguer d’un côte comme de l’autre.
Essais non transformés
Début dans le rap et première sortie manquée
« Mon écriture était dès le début orientée. J’étais dans l’écrit pour dire, contester, réconforter, encourager. Je cherchais la “justice” »
Le fait que tu m’aies contacté, ça m’a mis dans un truc bizarre. Forcément quand t’essaies de retracer honnêtement ton parcours, t’es obligé de te replonger dans des souvenirs. Ça m’a fait réfléchir sur moi-même et découvrir des aspects auxquels je n’avais jamais pensé. Par exemple je me suis rendu compte qu’à chaque fois que je passais par une étape, c’était influencé par une rencontre. Ça fait un espèce de pallier, c’est comme si il y avait des balises sur mon chemin. Tu rencontres quelqu’un et tu passes à autre chose. Il y avait l’image du frangin que je n’ai pas eu la chance d’avoir et que j’ai cherché dans mes différentes relations en mettant des gens sur un piédestal dès qu’il y avait un feeling, mon parcours s’est construit sur des relations comme ça, honnêtes et entières.
C’est le théâtre au collège qui m’a fait découvrir les mots. J’écrivais pour moi, sans forme particulière, sans que ça soit du rap, j’écrivais des pensées, les récits de ma journée ou des choses comme ça. Mon écriture était dès le début orientée. J’étais dans l’écrit pour dire, contester, réconforter, encourager. Je cherchais la “justice”. En fait, l’intention dans mon écriture, c’était l’introspection. C’était un dialogue avec moi-même, je parlais de mes journées, de mes angoisses. Encore une fois c’est en repensant à tout ça que je me suis posé des questions et avec l’âge ça apparaît plus clairement.
J’écoutais toujours beaucoup de jazz, du rock progressif aussi et évidemment du rap. En rap à cette époque, j’écoutais que du français et je me suis dit : « Pourquoi ne pas essayer ». Alors j’ai fait un texte de rap, puis deux, puis plein jusqu’au jour où tu croises un pote qui écrit aussi puis un pote qui rappe. C’est comme ça, tu passes des stades dans ton approche.
Devant mon lycée, il y avait toujours un groupe de mecs qui se réunissaient, dont un graffeur, Jiwee. On a fini par sympathiser, je devais avoir 17,18 ans. Ils avaient des très bonnes références hip-hop. On s’est reconnus comme des semblables. Jiwee était fan de Pharcyde. Finalement il m’a invité à une répétition de son groupe, Mauvaiz Graines, puis une deuxième, une troisième… Il rappait avec Kavinsky qui à cette époque rappait et faisait des beats aussi il me semble. Leur DJ était DJ Vas du groupe Kojak, le clavier Richie Rich. Mauvaiz Graines était composé aussi d’un bassiste et d’un guitariste. C’était un vrai band. Leur musique était à mi-chemin entre le Parliament Funkadelic et The Pharcyde, gros potentiel. Le groupe était connecté avec la Malka Familly et beaucoup de graffeurs gravitaient autour : Lue, Nosé, Rock et Cosla qui a d’ailleurs sorti un bouquin vraiment mortel sur le graff. Je ne le connaissais pas à l’époque mais c’est plus tard que je l’ai retrouvé en bossant dans une boutique.
C’est la première fois que j’incorporais un collectif, sans vraiment l’incorporer d’ailleurs. C’est donc par ce biais que je me suis rapproché de DJ Vas. Lui c’était un mec de la house, qui faisait des instrus de rap.
On a commencé à faire des sons, au départ je rappais sur des instrus de Jiwee. Gilda une chanteuse de Malka nous laissait gentiment utiliser son 16 pistes et son “home studio-chambre de bonne” pour que l’on puisse enregistrer. Au tout début on me reprochait d’avoir les intonations de Fabe.
Tout ça c’était un tout petit peu avant La Cliqua. Pour moi l’arrivée de La Cliqua a changé pas mal de choses en France. Certains membres du collectif ont commencé à vouloir faire des choses un peu différentes. C’était l’arrivée d’une nouvelle école dans le rap.
« J’ai quitté l’équipe de Levallois au moment où Didier Drogba a commencé à y jouer »
C’était la fin du lycée, j’ai fini par avoir mon bac ES et après j’ai fait une année de droit.
À cette période, je passais du temps dans le foot aussi. J’avais un assez bon niveau, je m’entraînais avec l’équipe de National 3 à 17 ans à Levallois. Je m’entraînais quatre fois par semaine. J’ai fait des essais qui n’ont pas fonctionné. Les mecs de Monaco étaient venus et j’avais eu des contacts avec l’A.S. Cannes à l’époque de Guy Lacombe. J’ai arrêté à 21 ou 22 ans parce que ça me gonflait, j’avais commencé à 5 ans et j’en avais marre d’aller à l’entrainement, je voulais faire autre chose. J’ai quitté l’équipe de Levallois au moment ou Didier Drogba a commencé à y jouer et à ce moment là j’ai donné un peu plus de temps au rap.
95, 96, il y avait beaucoup de plans mixtapes, compiles etc… On se refilait les plans entre potes. Un ami du 14ème, Jean Mo’ qui avait un groupe, Le Temple Maudit et avec qui j’allais au lycée, voulait m’inviter sur une compile où il posait. La compile s’appelait « Police ». Hélas c’était trop tard pour y participer. Finalement il m’avait branché sur un plan d’une mixtape dont j’ai oublié le nom, réalisée par Moda du groupe Moda et Dan. J’y avais posé avec 2frè un membre du Temple Maudit. Le jour de l’enregistrement j’ai rencontré des emcees de Cachan : Saber, Dice, Funest, Don Romano, l’Infâme. Ils étaient membre du collectif LNC (Le Nouveau Combo). Eux m’ont invité sur des scènes, on a fait des morceaux ensemble et ils m’ont présenté à Rocé et à son frère Ismaël. C’était chez un des mecs de cette équipe la première fois que j’ai vu Rocé. C’était juste avant son apparition sur l’album de Différent Teep et Ma face en première page sur le label Chronowax. Le feeling est passé direct et pas qu’au niveau du pera d’ailleurs. Il y avait ce côté ressemblance dans le rap, dans l’envie, dans la façon d’être… Je ne sais pas, il y avait un truc.
Dans le même temps je continuais à côtoyer Vas. J’avais pas mal de textes sans musique. DJ Vas produisait aussi. Je me suis mis à travailler avec lui juste avant de partir à l’armée en octobre 97.
L’armée c’est une expérience marquante aussi. Levallois F.C avait fait en sorte que je reste sur Paris. Avec le recul, j’aurais préféré faire un truc dans la marine, à la montagne ou en outre-mer. Autant que ça soit vraiment dépaysant, même si je crois que ce genre de place était réservée aux pistonnés, aux enfants de militaires, de politiques ou à ceux qui envisageaient une carrière.
Mon service s’est passé sans accro. Bon c’était pas la fête quand même, mon adjudant avait sur son bureau une photo de sa femme posant avec Jean-Marie Le Pen. Le capitaine était ouvertement raciste. Il parlait et écrivait l’arabe mais dans un état d’esprit de colon. À part ça, comme c’était l’année de la coupe du monde 98, il y avait beaucoup de tournois de foot inter-régiments et mon football m’a permis d’avoir un semblant de statut privilégié.
On continuait à se voir vite fait avec Vas lors de mes permanences et je commençais à enregistrer.
« Se vivre entier c’est vivre équilibré sa mixité, de façon entière, ne pas choisir une partie de soit plus que l’autre »
Un jour où je travaillais un morceau chez Jiwee, pendant une permanence de l’armée (armée de Octobre à 97 à juin 98, ndlr), Vas était passé chez lui pour qu’ils trouvent une idée concernant la pochette de son maxi « Caps », parce que Jiwee était graphiste. C’est lui qui avait fait le logo d’Alliance Ethnik. Vas a entendu mon morceau et voulait que l’on essaie de le poser sur un de ses instru’. Il était convaincu que ça collerait parfaitement. Finalement j’ai enregistré dans la chambre de bonne d’un membre de Kojack dans une petite salle de bain transformée en cabine, l’acoustique était parfaite ! Ça à duré 20 minutes, peut-être même moins. Ça a été magique. Ça s’est fait tout seul. C’était le titre Se vivre entier.
Vas a proposé d’inclure le premier couplet sur son maxi « Caps », sorti en 1998, maxi qu’il a fait avec Kojack. En fait à la base, on voulait essayer de faire des morceaux ensemble et on a profité de ce maxi pour annoncer notre album commun. C’était son idée. Quand il a dealé son maxi, c’est le morceau qui a été choisi par Radio Nova où il a tourné en boucle, sûrement aussi grâce à son format. Par la suite, le maxi de DJ Vas a connu un franc succès, j’ai même pu monter sur scène avec Kojack au tout premier Solidays en 1999 pour faire un une version du morceau.
Se vivre entier, c’est vivre pleinement sa mixité, de façon entière, ne pas choisir une partie de soit plus que l’autre. Beaucoup de jeunes métisses pratiquent ou ont pratiqué une sorte d’hypocrisie sur leurs origines. Pour moi c’était une façon de nettoyer une plaie, de sortir le pu pour parler franchement mais aussi de rassurer, de consoler, de prendre en compte une douleur existentielle. Ça pouvait et ça peut toujours être un vrai problème d’être “habité par deux mondes, deux cultures, deux moitiés”. Chez les bleus tu n’es pas bleu et chez les jaunes tu n’es pas jaune, tu es vert donc souvent tu vas chercher à choisir une couleur sur l’autre et peut-être devenir plus jaune que le jaune ou plus bleu que le bleu. Tout ça s’apprend même si ça peut prendre du temps.
C’est tout ça que j’ai essayé d’aborder sur ce morceau. J’ai une version longue sur K7 que j’ai un peu occultée du fait qu’un couplet était déjà sorti (K7 qui n’a pas été retrouvée malgré notre forte insistance, ndlr). À la base elle était prévue pour l’album que je devais faire avec Vas.
Le morceau a plu. Le manager de Kojack était intéressé, le groupe était signé chez Barclay et par ce biais je me souviens que pas mal de gens dont par exemple les gars de Chiens de paille avaient écouté et bien accroché.
Je crois qu’à cette période, je travaillais déjà chez Foot Locker. J’avais trouvé un taf chez eux au sortir de l’armée, c’est le moment où je suis parti de chez mes parents. Je ne me voyais pas rester chez eux tout en ayant ce mode de vie. C’est là que j’ai rencontré et beaucoup cotoyé Cosla, graffeur du collectif 132. On est devenu pote compte tenu des affinités et du nombre incroyable d’amis que l’on avait en commun. Par la suite, la boutique a fermé et j’ai trouvé un autre job chez Gap, puis Bodum au Louvre. Puis j’ai bossé pour un ami qui avait une galerie d’art africain et qui vendait aussi des productions artisanales directement importées du Maroc, du Sénégal et du Mali. Enfin, après 3 ans, j’ai repris l’activité plomberie chauffagiste familiale, c’est cette activité que j’exerce aujourd’hui.
Fonder une famille c’est se mettre en second plan, il y a des bouches avant la tienne.
« Si l’album avait été finalisé, si ça avait été mur, mature, ça aurait peut-être changé les choses »
Donc suite au relatif succès de Se vivre entier, avec Vas on essayait de travailler sur un album. On enregistrait des maquettes, j’avais 5 ou 6 titres. C’était un peu particulier, ça traînait, parce qu’à cette époque Kojak faisait des tournées dans le monde entier, Angleterre, Japon, Afrique du Sud, etc… Peut être que c’était une erreur du coup de prévoir un album ensemble. Finalement nous n’avons pas continué. Si l’album avait été finalisé, si ça avait été mur, mature, ça aurait peut être changé les choses pour mon parcours. Je n’étais sûrement pas prêt.
Dans les titres, il y avait un morceau avec Rocé, je me souviens du refrain qui faisait : “Aucune peur, aucune trace, aucune frayeur, aucune angoisse mais combien de mensonges, combien de grimaces ?”. J’avais un autre morceau qui s’appelait Chien de garde que j’avais écrit à l’armée, qui était vénère, objectif mais vénère (sourire). Ce n’étaient pas des morceaux très aboutis, ils n’étaient même pas finis contrairement à Se vivre entier, qui était clairement mon meilleur titre. Il y avait aussi le son Hypnose qui, plus tard, a été samplé par Hamé de La Rumeur sur son morceau Le Pire (On entend la voix de Nazem tout à la fin du morceau, ndlr).
C’est Jiwee qui m’avait encouragé à rencontrer Hamé. Il bossait pour lui ou devait bosser pour lui sur la pochette de son mini EP, je ne me souviens plus exactement. C’était après la sortie du « Poison d’avril ». La Rumeur avait pété le score. Il n’y avait que de La Rumeur, les mecs voulaient faire de La Rumeur partout. Nous on suivait le groupe en concert des fois, et plein de mecs de province s’étaient reconnus dans ce groupe. Enfin un groupe qui ne faisait pas de chichi, qui assumait d’où il venait, avec ce truc de fils d’immigrés : « Nous on n’est pas des cainris, on veut pas rapper comme des cainris ». Il y avait aussi une conscience politique, l’envie de maîtriser les choses sans être dans le blabla. T’avais beaucoup de rappeurs comme Al & Adil, Casey, Sheryo qui étaient aussi dans cette envie. C’étaient des artistes qu’on côtoyait pendant les scènes avec La Rumeur.
Naturellement avec Hamé, nous en sommes venus à échanger sur nos textes, nos façons de concevoir le rap, la musique et notre condition de “fils d’immigrés” de la seconde génération, ici en France. Pour m’encourager et aussi parce que ce morceau Hypnose, était dans la même veine que l’un des siens, Hamé a donc repris un sample de ma voix qu’il a incorporé à son titre Le Pire.
Hamé m’avait aussi présenté à Amine Bouziane de Real magazine qui aujourd’hui est réalisateur et producteur de documentaire. Amine a été le premier à être intéressé d’un point de vue “management” par ma musique. C’est grâce à lui que j’ai fait des interviews, des passages sur Génération et d’ailleurs c’est aussi par son biais que Solo d’Assassin m’a contacté pour me rencontrer après avoir écouté Se vivre entier. C’est le seul emcee à m’avoir contacté de cette manière. Il a demandé à me voir donc je suis venu à son studio à Pigalle. Mortel, super sympa, pur échange. Il était déjà plus dans Assassin mais il avait toujours son studio, il faisait des sons. Finalement on n’a pas bossé ensemble. Et le management en soit avec Amine ne s’est pas trop fait non plus d’ailleurs.
Amine avait aussi donné un coup de main à Ekoué de La Rumeur sur sa compile sortie en 2001, « La Bande Originale » sur laquelle j’ai posé un couplet. Super bon souvenir cette compile. On était tous au studio à Porte de Clichy. C’était le bordel. L’ingé rigolait mais il rigolait pas en fait. Il en pouvait plus. Il y avait tous les gens de la compile en même temps : Casey, Rocé, Sheryo, moi, Al&Adil, Le Téléphone Arabe, Ekoué, Prodige, les gens de La Mixture, etc… Tous là le même jour au studio. Ça taille, ça chambre. Imagine toi le mec fait une prise et rate, c’est mort ! Il y avait une pure ambiance parce qu’on était animé par le même truc. Et puis on se respectait. C’était Ekoué et Fred qui organisaient tout ça, ils avaient su trouver des gens qui se ressemblaient.
Je ne me souvenais même plus que j’ouvrais le morceau sur La Bande Originale, c’est toi qui me l’as rappelé. Tu m’as même contacté en me disant : « Tu as des couplets qui sont à rentrer dans l’anthologie du rap français ». T’exagères là, c’était un hameçon (sourire). Je suis pas sûr que ce couplet soit si ouf. Je pense qu’il y a un décalage voire un gouffre entre l’artiste qui fait son truc dans son coin et la personne qui le reçoit. C’est là que c’est intéressant. Tu vas avoir du talent, même si c’est peut être mon cas, mais le vrai talent c’est de l’avoir sur la durée, c’est pas faire des coups d’éclat comme Ben Arfa…
Nazem est le premier à intervenir sur ce freestyle paru sur “La Bande Originale” en 2001
À la même époque, j’ai fait un morceau sur la tape d’Ol’Tenzano, « Extralarge », avec Les Grandes Gueules (Demi-Portion et Sprinter, ndlr). Je ne me souviens pas du morceau mais je me souviens du jour de l’enregistrement chez Ol’Tenzano. Je me souviens que JP et Kimto de Less du 9 étaient passés. Les Grandes Gueules n’étaient pas là, ils avaient déjà enregistré leur passage avant. On ne s’est jamais rencontrés. C’était une de leurs toutes premières apparitions. C’est vrai que Demi Portion, le mec est presque une star aujourd’hui. Voilà un mec régulier..
Au moment de la « La Bande Originale » et d’« Extralarge » j’étais déjà beaucoup avec Rocé qui bossait sur son album.
Son coeur de backeur
Top Départ Tour avec Rocé
Vers 98-99, Rocé a commencé à travailler son premier album « Top départ » (l’album est sorti en 2002, ndlr). Je ne sais plus combien de nuits blanches nous avons passées en studio. Je n’ai eu aucun rôle officiel mais il nous demandait conseil. Il y avait moi, son frère, DJ Karz, des potes comme Ali et Mamadou, JL, Manu Key, Rabeh, etc… Mamadou et Ali, c’était Mad Fly et Ali le Nocif qui formaient le groupe Ornorm avec un autre emcee, Jeremy. C’est David Sheer et Yvon qui faisaient leurs prods. D’ailleurs, on a un son avec Rocé et Mad Fly sur la « Contre Face Vol.2 », la K7 de DJ Karz.
Cette période où je traînais avec Rocé m’a permis de rencontrer pas mal de monde. On a aussi à cette époque, eu l’occasion de jouer dans la vidéo « Easy Pizza Riderz » de l’équipe Kourtrajmé. Rocé était connecté avec Kim Chapiron et Romain Gavras, d’ailleurs c’est eux qui ont fait son premier clip Changer le monde. Un jour ils l’ont appelé pour jouer dans cet épisode et Rocé m’a proposé de participer. Le truc drôle c’est que mon père, plombier chauffagiste, avait fait l’installation des sanitaires et du chauffage des parents de Romain et Kim qui habitaient tous dans le même immeuble. Je devais avoir 6,7 ans et mon père m’avait même emmené sur le chantier comme il le faisait parfois. Et donc 20 ans après je retourne dans cet immeuble pour rencontrer Kim et Romain. J’ai essayé d’en toucher deux mots à la mère de Kim mais elle ne s’en souvenait pas, elle s’est demandée de quoi je parlais (sourire).
Pour en revenir à l’album de Rocé, personnellement, je n’aidais pas du tout sur les textes mais c’était plus sur la forme, si il était un peu trop hors beat, en avance ou des choses comme ça, mais vraiment vite fait. J’aurais bien voulu apparaître sur le projet mais il ne m’a pas invité (sourire). On faisait pas mal de freestyles chez des potes, en studio. A un moment donné tu finis par connaître les phases de l’autre. Quant il s’est posé la question de la scène, je crois que c’est Ismaël son frère et d’autres gens qui lui ont suggéré d’avoir un back. Ismaël était super impliqué à cette époque, il avait une grosse influence. Et c’est vrai que le back donne plus d’impact sur scène. Tu peux faire des jeux.
Sur les concerts de Rocé, je pense que je prenais trop de place, par immaturité certainement. Je suis un diesel, quand ça montait bien c’était le bordel et j’étais en feu. Les gens qui ont vu les scènes peuvent confirmer. J’étais très à l’aise, sûrement grâce au théâtre d’ailleurs. Je pense que par rapport à Rocé et sa vision du truc c’était un peu too much. Peut être que des fois je l’ai mis plus mal à l’aise plus qu’autre chose. Je faisais pas beaucoup de couplets, seulement des petites séquences où je rappais et il me backait, on inversait les rôles. Sur certains morceaux je disparaissais de la scène. Pour On s’habitue par exemple. Il avait un bon effet sur le public. Ce morceau avait une charge émotionnelle importante dans le sample avec l’instru crescendo, encore plus émotionnelle aujourd’hui d’ailleurs comme elle est produite par DJ Mehdi (décédé en 2011, nldr). C’était mon morceau préféré, mon coup de coeur Je crois que c’est même moi qui ai insisté pour qu’il le fasse seul même si lui aussi en ressentait le besoin. Il n’y avait pas besoin d’un backeur, c’était comme un speech. Moi j’aurais même bien aimé que la salle se mette dans le noir, que toutes les lumière se mettent sur lui…
« À cette époque on avait du mal avec les gens des salles. C’étaient des rockeurs les mecs, ils ne nous comprenaient pas »
À ce propos, à cette époque on avait souvent du mal avec les gens des salles. C’étaient des rockeurs les mecs, ils ne nous comprenaient pas. Ils ne savaient pas comment gérer notre lumière, nos micros. Par exemple pour le Printemps de Bourges, on avait galéré pour faire les balances, les types voulaient nous montrer comment tenir un micro (sourire). Ils n’avaient pas la culture rap, pour eux ça devait se faire que d’une seule manière. Pour nous c’était simple, il fallait prendre le micro, mettre l’instru, rapper, faire ses balances s’entendre dans le retour, il fallait que ça soit spontané, il fallait laisser faire la magie alors qu’eux voulaient toujours en rajouter. Ils voulaient parer à tout, éviter qu’on leur demande de monter le son pendant la scène par exemple, alors que pour nous c’était pas grave.
Malgré ça on était bien reçus. On ressentait pas cette peur du rap qu’ont pu avoir certaines salles. Ils savaient qui était Rocé, ils lisaient la bio, etc… Ils savaient à qui ils avaient à faire.
On a fait toute la tournée de l’album avec cette formation partout en France et une ou deux dates en Belgique… On a tourné bien deux ans. On a fait des grosses dates, des bons festivals. On faisait aussi beaucoup de showcases, en Fnac par exemple. C’était un peu relou les showcases, les gens ne venaient pas pour ta musique mais pour acheter des disques.
Il y avait aussi une scène qui s’appelait Sunday School à Paris. C’étaient des membres de la Malka Family qui parrainaient des après midi goûter/concert au Cabaret Sauvage. Il y avait un band derrière. Les mecs castaient des artistes pour faire 3 ou 4 titres. Jean Luc et Emilie qui organisaient ça nous avait invités avec Rocé. C’était au tout début de la tournée et ça s’est super mal passé. Je crois que les musiciens n’étaient pas partis en même temps ce qui a entraîné un gros bug. On ne trouvait plus les mots, on n’arrivait pas à jouer. Moi ça m’ saoulé, j’ai quitté la scène, j’ai posé le micro et ça avait vénère les orgas ! Il y avait Greg Frite aka Black Boul à l’époque qui vient me choper en me disant : « Non vas y, faut pas laisser comme ça, c’est comme quand tu tombes en vélo » (sourire). Finalement peut-être un an après on se revoit avec Jean Luc et je dis : « Tu sais faudrait qu’on retourne sur ta scène pour foutre la merde ». Il était un peu réticent. Finalement la deuxième fois qu’on s’est vus, il a accepté (sourire). Cette fois c’était dans un lieu qui s’appelait Hot Brass, renommé le Trabendo depuis. Et ce live a tout démonté. Là on avait flingué le truc. C’est Sidney qui animait, gros gros bordel.
Sur les autres tournées, Rocé ne voulait pas de backeurs. Il voulait un truc différent, avec un contrebassiste par exemple. Il voulait être seul avec son public, « Restez avec moi, dans mon propos ». Moi j’aurais été chaud pour continuer (sourire) ! Je crois que je n’ai pas refait de scène avec lui depuis « Top départ ».
C’est enrichissant de bosser avec un mec comme ça. Aujourd’hui on peut dire que dans son parcours, il a été exemplaire et cohérent. Son propos est arrivé à maturité. C’est-à-dire qu’il se cultive, il s’enrichit intellectuellement. Il est toujours avec des associations, etc… Artistiquement tu te transformes, tu vas écouter différentes choses aussi, ton flow va changer, va s’adapter aux différentes rythmiques. Un autre morceau que je retiens moi de son parcours c’est Pour L’horizon, super émouvant. En plus de ça sur scène ce morceau était mortel. Mais il y en a d’autres, comme Ma face en première page qui déchire.
Par la suite, je n’ai plus jamais été présent pendant qu’il travaillait ses albums ou ses scènes mais aujourd’hui, c’est un ami, ce n’est même plus un rappeur pour moi.
Rocé et Nazem en live sur un morceau conçu uniquement pour la scène, et paru plus tard en 2004, sur la tape “Pousse ça à fond” de DJ Beebs
Tenter sa chance, tenter des choses
Au travail avec Cris Prolific et Yann Kesz
C’est par l’intermédiaire de JM chanteur de Kojack que j’avais rencontré Cris prolific. Ils habitaient Porte de Vanve dans le 14ème tout comme mon pote Jean Maurice du Temple Maudit, avec qui j’étais au lycée aussi. Je connaissais donc Cris Prolific par le biais de JM de Kojack mais ça s’est concrétisé encore plus avec Jean Maurice. Cris Prolific c’était aussi une relation fraternelle. Il était au 45 Scientific, c’était le cousin de Geraldo. En fait je le cotoyais depuis 95, 96, il avait beaucoup de projets et était très demandé. Il avait un deal avec EMI je crois au départ donc il bossait avec pas mal d’artistes. Il avait notamment bossé sur l’album de Rocca qu’il avait d’ailleurs rencontré via JM qui était pote avec lui. On échangeait beaucoup sur la musique souvent tard jusqu’à l’aube. Au milieu des certaines des prods qu’il travaillait, je me souviens de cette prod pour Kery James, Deux issues, comme pour pas mal de ces sons j’étais chez lui pendant qu’il la faisait. Il me faisait écouter, il me demandait conseil. Je me souviens aussi de sons pour Pit Baccardi, etc… C’est le premier à m’avoir initié à la programmation, au sampling.
Finalement on commence à vraiment bosser ensemble pendant la tournée avec Rocé. Pas mal de monde m’incite à me lancer, à sortir un truc sous mon nom. Donc j’ai demandé à Cris s’il n’avait pas des sons pour moi et on a commencé à se voir régulièrement pour travailler. On se voyait une à deux fois par semaine, on a passé des nuits blanches ensemble, on écoutait de sons, on allait voir des lives. On a commencé à bosser sur un maxi. Ce sont des pures années, pures souvenirs. À ce moment là il était sur le label Versatile de DJ Gilbert.
« Elle était allemande, parlait anglais et venait d’arriver en France. C’était Ayo »
J’ai une anecdote qui date de cette époque. Donc Cris était signé chez Versatile pour faire des maxi. Moi j’habitais à Bastille à cette époque et il y avait la Scène Bastille qui était très newschool et j’allais traîner là bas. Un jour, en 2004, il y a une petite meuf qui chantait avec sa guitare. J’ai directement fait l’association entre sa façon de chanter, sa voix et des sons que j’avais entendus chez Cris. Donc j’appelle Cris pendant le concert en lui disant que je suis convaincu par cette fille. Je lui fais écouter au téléphone et il me dit : « Ah ouais chanmé, essaie d’aller la voir ». À la fin de son truc je vais la catcher, elle était allemande parlait anglais et venait d’arriver en France. C’était Ayo. C’est une de ses premières fois je crois à Paris et elle est avec un tourneur manageur qui était un peu réticent. Je lui parle de Versatile et ses yeux s’ouvrent. Pour lui Versatile c’était « sérieux ». Je lui ai fait écouté des sons que j’avais sur moi. DJ Gilbert a écouté Ayo. Et puis voilà ça s’est passé comme ça. Finalement plus tard, elle a fait un morceau avec Cris Prolific, Confusion. On s’est revus sur Paris et elle se souvenait de moi.
En réfléchissant, beaucoup de personnes que j’ai côtoyées ou rencontrées ont fait quelques chose : Ayo, Rocé, Cris, DJ Vas, Mouloud Achour aussi. Lui je le voyais souvent à l’époque. Il gérait un peu La Caution. D’ailleurs j’avais posé sur un truc de La Caution. À aucun moment je pensais qu’il allait devenir ce qu’il est devenu. C’est mortel. Tu peux qu’avoir du respect pour les gens qui ont un parcours comme ça.
Au moment où je bossais avec Cris, lors d’une répétition pour la tournée de Rocé, David Sheer était venu nous voir et m’avait parlé d’un de ses potes qui faisait du son. David Sheer c’est un pote de Manu Key, ils ont grandi ensemble avec lui, Kery James, etc. Il faisait aussi des prod pour le groupe Ornorm dont je t’ai parlé. Donc il me présente son pote parce que pour lui c’était évident que ses sons colleraient à mon style. Ce pote, c’est Yann Kesz. En fait la première fois que je l’avais vu, c’était longtemps auparavant à l’anniversaire de JL mais on ne s’était pas vraiment parlés.
Comme pour les autres, il y a eu une appréciation mutuelle. On s’est mis à bosser ensemble à la fin de la préparation du maxi avec Cris et lui s’est d’ailleurs greffé pour faire un remix du morceau Soleil d’hiver sur le maxi. C’est la première chose qu’on a faite ensemble.
En fait sur le maxi qu’on a sorti avec Cris, il y a deux fois Soleil d’hiver, la version de Cris et un remix de Yann Kesz. Et il y a même une troisième version de Soleil d’hiver produite par Yann, celle du clip présente plus tard sur l’album. Il y a aussi un morceau qui s’appelle Clappe des mains avec un instru d’un mec qui s’appelle Fohat, un pote de Yann chez qui on allait enregistrer des fois, dans sa cave. C’est pendant un enregistrement qu’il nous a fait une écouter du son et ça a donné ce titre qui est plus un freestyle qu’un morceau d’ailleurs. C’est devenu un morceau pour la scène en fait. Donc les sons du maxi sont Couleur Usée, deux version de Soleil d’Hiver et Clappe des mains. DJ Fab avait beaucoup joué la version de Cris Prolific de Soleil d’hiver dans son émission Underground explorer sur Générations. Le maxi devait être l’annonce d’un album en préparation. Il est sorti à peu d’exemplaires sur le label Morelinks qui était l’association de mon manager Mahmadou membre des Refrès qui m’avait été présenté par Yann et qui faisait en même temps des soirées. Finalement j’ai été le seul artiste de ce label vu qu’ils l’ont arrêté juste après.
Pour ce qui est de ma relation avec Cris, c’est souvent le même schéma, les mecs bossent avec toi mais à un moment donné il faut que l’argent rentre, que tes prods se fassent entendre, il faut de l’actualité donc ils ont un peu moins de temps pour un projet en devenir. Moi j’avais besoin de temps justement et ça peut créer de mauvaises situations.
Finalement ça s’est pas très bien terminé, je me suis vexé sur un truc… Je suis entier, je te donne tout mais si tu me fais une phase chelou, je le prends mal. Je suis intransigeant, peut-être à tort d’ailleurs. Le principal aujourd’hui, c’est que tout ça soit derrière.
La version de Cris Prolific du morceau Soleil d’hiver extrait du Maxi “Couleur Usée”
En paralllèle avec Yann, on avait formé un petit groupe, un petit collectif de travail, avec Lorett Fleur, Valérie Ekoumé, moi, Yann puis Mahmadou mon ancien manageur : LCKSEF, Le Crew Ki s’en fou. On avait des maquettes qui ne sont jamais sortis encore une fois. Donc après on s’est mis à bosser juste avec Lorett et Yann sur mon album. C’est surtout Yann et moi mais Lorett était là. Parallèlement Yann et Lorett bossaient un projet… À un moment donné, on a fait une scène dans un café à l’arrache dans le 19ème. On avait un petit set avec Yann, on a fait du pur freestyle en fait mais les gens avaient kiffé. Yann, c’est la première fois qu’il me voyait sur scène et en voyant le potentiel il a voulu qu’on fasse quelque chose. Donc on a fait des scènes ensembles.
Sur cette même période, vers 2005 donc, j’ai posé un couplet sur la compilation “Juste nous”. Un des mecs qui s’occupait de la coordination de cette compile, c’était Vestat, rappeur que j’avais déjà vu plusieurs fois avec Rocé. Un jour je le croise dans la rue et il me parle du projet qu’il est en train de mettre sur pied avec son équipe, dont Noella, une amie à lui, que j’ai rencontrée aussi pas mal de fois pour cette collab. Pour le morceau, on n’aimait pas l’instru qui nous avait été proposée car elle s’apparentait trop à un morceau solo d’album donc finalement j’ai moi même ramené un son de Yvon de Ornorm qui allait mieux pour un freestyle. Ca a donné le morceau Quand ma musique avec JL, Séisme, Arken et Karim.
À l’horizon des (Mo)
Premier et dernier album
Les retours que nous avions eus sur le maxi nous ont encouragés et naturellement avec Yann Kesz, on s’était mis à travailler un album. Yann était super bordélique, pas organisé, tu t’arraches les cheveux. Mais humainement laisse tomber, il était top. Avec lui je me suis même mis à toucher à la production, il m’a appris à utiliser le logiciel Cubase et à faire du son. J’ai composé mes premiers beats. Les beats sur le projet c’est lui mais j’étais très impliqué. C’était une discussion. La direction artistique de ce projet, c’était vraiment nous deux.
Pendant ce temps lui sortait des maxis et m’avait invité sur deux titres que nous avons plus tard repris pour l’album : Art perdu et Differents borders avec LMNO.
Donc finalement on a fait l’album. On a enregistré 16 ou 17 titres et gardé 13 pour finalement faire un album appelé « À l’horizon des (Mo) ». À l’horizon des (Mo), c’est s’éloigner des maux et s’éloigner des mots. C’est cette idée de regarder plus loin, dépasser les douleurs sans les oublier mais en allant de l’avant. Lorsque tu mets des mots sur tes maux, tu réussis à nommer tes douleurs, à les définir à les accepter. Tu dépasses tes maux et tes mots. « À l horizon des (Mo) », c’est donc un peu comme tourner une page… pour aller en tourner un nouvelle.
Pour cet album l’écriture a grave évolué. La forme est vachement différente. Au départ elle était brute. Par exemple sur un morceau comme sur La bande originale, j’étais dans un certain état d’esprit, une certaine mouvance, un certain courant… Après les choses changent. Certaines expériences douloureuses te font évoluer… Les lectures font beaucoup grandir aussi. Tout ça donne des angles de vues différents. Tu t’enrichis ce qui te donne envie de faire autre chose.
Pour ce qui est de mon emprunte, j’ai toujours eu pour objectif d’avoir un flow dicté par la zique. Des fois t’as une musique qui colle de manière magique comme pour Se vivre entier. Le flow doit coller à l’instru. Par exemple, un morceau comme Les heures creuses sur l’album, on a passé deux heures en studio et rien… Yanis (Yann Kesz, ndlr) me dit : « J’ai fait un truc hier », il met l’instru et là ça sort tout seul. Le remix de Soleil d’hiver par contre ça démonte ce que je viens de dire, c’est l’instru qui s’adapte au flow. Ton flow doit être dans le beat. Faut pas oublier que c’est de la musique qu’on fait. Un mec comme Sheryo, par exemple il était off-beat dans le sens décalé mais dans la vue d’ensemble ça collait parfaitement. Mais t’as des mecs qui rappent à gauche quand l’instru est à droite et l’intention de leur flow ne correspond pas du tout à la musique. C’est ce qui s’appelle ne pas savoir rapper. Ton flow doit se marier à l’instru. C’est de la musique.
Je me suis associé avec Still Music pour que ça sorte, ils se sont rapprochés de Morelinks et Mahmadou. Ils se sont partagés la réalisation. D’impliqué, il y avait aussi Vincent Défossé que j’ai rencontré à Bastille. C’était un mec de mon quartier que je voyais tous les matin dans ce bar (dans le bar où se déroule l’interview, au Café de l’Industrie / Bastille, ndlr). Il s’est trouvé qu’il était info-graphiste et c’est lui qui m’a présenté les gars de Still Music, qui étaient ses amis d’enfance. Par la suite c’est lui qui fait l’animation des Gros Mots de Greg Frite sur Canal +. Pour Soleil d’hiver, le clip a été réalisé par Vincent Défossé et Julien Demont. Eux ils l’ont fait comme ça à l’arrache, ils avaient un peu de temps, c’était familial. Par exemple c’est la femme de Vincent qui s’occupait du maquillage. D’ailleurs dans ce clip, les deux danseurs que tu vois c’est David et Walid, des mecs qu’ont dansé au sein de NTM à un moment donné. Walid avait souffert d’ailleurs pour le clip parce qu’il a fallu le raser pour le maquiller.
« On peut dire que la sortie de l’album a été ratée et ce qui m’embête un peu c’est qu’il y a eu énormément de gens impliqués sur ce projet »
Il y avait aussi David de MPC à la base d’impliqué sur l’album. Lui je l’avais rencontré une fois dans un studio à Porte d’Ivry, il avait trouvé ça bien et il cherchait à manager des artistes en devenir. Puis il est venu vers moi. C’était un mec qui paraissait carré. Finalement après avoir voulu sortir l’album, il m’a un peu posé un plan en me sortant des excuses un peu bizarres. Je lui en veux pour sa façon de faire. S’il n’arrive pas à vendre le projet, soit parce que le projet n’est pas bon, soit pour d’autres raisons, qu’il me le dise. Au moins je sais à quoi m’attendre. Mais là il m’a jamais donné de nouvelles, c’est moi qui ai été obligé d’aller en chercher. En réalité je pense que ses interlocuteurs n’étaient pas intéressés, donc peut être que le projet n’était pas suffisamment bon. C’est sûrement aussi que ce type de rap n’est pas facile à vendre. Pas mal de gens ont une image stéréotypé du rap, jamais Skyrock ne va promouvoir un rap plus à texte, plus politique. Donc si tu vas voir ces gens là avec un produit qui ne leur correspond pas, ça va être un problème.
On peut dire que la sortie de l’album a été ratée et ce qui m’embête un peu c’est qu’il y a eu énormément de gens impliqués sur ce projet. Des gens que j’ai côtoyés, des musiciens, par exemple Vincent Mascart qui fait le saxo et Karim Ziad qui chante sur Dawi, c’est un jazzman qui tourne dans le monde entier. Une grande rencontre. Sa musique c’est la fusion entre mes origines africaines et tout ce que j’écoute. J’ai toujours écouté du rock progressiste à la Weather Report et il se trouve en plus que lui a joué avec un membre de ce groupe, Joe Zawinul, c’est même un peu pour ça que je l’ai contacté pour l’album. En plus j’ai découvert après qu’il venait du même bled que mon reup, je crois même qu’il connaît certains membres de ma famille… On a fait ce morceau. Il y a deux versions, l’originale sur son album et sur mon album, on a repris les voix pour faire un remix.
Mes morceaux préférés sont Differents borders avec LMNO et Ya Latif. Ce sont les morceaux que j’écoute sans jamais me lasser. J’écoute moins les autres parce que je trouve qu’ils ne sont pas aboutis. Je trouve que l’album n’est pas abouti en fait. J’ai manqué de moyen. Le projet méritait plus que ça. Quand t’invites des musiciens, il faut un traitement particulier. C’est pas comme si tu faisais du son dans ta chambre. Des morceaux comme Jasmin et Train de vie auraient du être plus travaillés. Par exemple, ils n’ont pas d’image, pas de clip. Imagine un morceau comme Differents borders en clip. On n’avait pas d’argent, pas de connaissance. Il y aurait aussi pu y avoir Rocé sur un morceau, je l’avais invité mais ça ne s’est pas fait.
Pareil, si on avait eu un tourneur, on aurait pu le jouer sur scène. J’ai fait quelques scènes par le biais de Morelinks en amont de l’album. J’ai fait notamment une première partie du regretté Guru au New Morning, avec Yann. Moi j’étais archi fan de Gang Starr, archi fan de Guru, mais vraiment. Et quand je l’ai vu, il était déjà malade et il n’était pas avec DJ Premier, il était avec un autre mec. Pour moi Guru c’est Gang Starr, il pouvait faire ce qu’il voulait ça restait Gang Starr. Nous franchement on avait cartonné ce soir là avec Yann, c’était mortel. J’ai refait le New Morning une deuxième fois avec Karim Ziad qui m’avait invité sur plusieurs de ses dates pour son album.
Par contre on n’a pas fait de scène après la sortie. En fait on a tellement galéré, vécu tellement de déceptions que quand le truc est sorti, il n’est pas sorti dans une bonne atmosphère. Le projet n’a pas été défendu. On l’a sorti parce qu’il fallait que ça sorte et qu’on passe à autre chose. Non seulement on n’a pas tourné mais personne ne l’a joué, à part Soleil d’hiver par DJ Fab sur Générations. Je ne me souviens que d’une seule interview, faite par Narjes qui bosse pour Mouv‘ maintenant et aussi d’un article sur Maelstrom. C’est sûr que j’aurais préféré que certaines choses se passent autrement, notamment par rapport à des gens qui me donnaient leur parole.
Les bons souvenirs d’un “Art perdu”
Conclusion
Je n’écoute quasiment plus de rap aujourd’hui. J’écoute vite fait mes potes comme Rocé, Yanis, Cris, etc… Franchement je suis passé à autre chose. Il y a quand même des trucs sur lesquels je tombe et que je trouve bien fait. Pour ce qui est du cainri, mes références resteront Guru, Nas, Group home, The Roots, Rakim, Yasiin Bey alias Mos Def. Il y a aussi la période Common et Talib Kwehli.
« C’est pas seulement la musique qui a été flinguée, c’est l’essence même du mouvement »
On peut dire que le rap m’a déçu en fait. Art Perdu de l’album, c’était la considération d’une certaine valeur qui selon moi a été perdue. Faire de l’art pour moi, c’est avoir une envie honnête, ne pas travestir ce que t’as en toi pour séduire. Le rap par exemple, est un art qui a été fourvoyé, travesti, et pas que par les majors et les radios, mais juste par les gens. Si les majors viennent te chercher, c’est que t’es prêt à leur donner ce qu’elles veulent.
Le rap, c’était un art de contestation et à partir du moment où ils ont compris que ça allait leur péter dans la gueule, ils l’ont récupéré. Ils ont flingué l’esprit. C’est pas seulement la musique qui a été flinguée c’est l’essence même du mouvement. Malgré le fait qu’il y a toujours eu un côté fun, party, je pense que la dimension contestataire est la base dans le hip-hop. Rien que le fait de ne pas danser comme tout le monde, ne pas danser sur les mêmes musiques de tout le monde, dans les mêmes endroits que tout le monde, tu crées ton mouvement. Tu ne peux pas peindre, tu vas peindre dans la rue. Dans cette musique, perso, je n’ai jamais agis pour gagner de l’argent. Vraiment je ne sais pas comment ils font pour penser comme ça. Je pense sincèrement que les valeurs sociétales ont changé en peu de temps. Par exemple, j’ai commencé le foot parce que je kiffais le foot, maintenant plus de jeunes commencent pour l’argent. Ils ont compris qu’en deuxième ou troisième division, ils vont pouvoir jouer et avoir un petit salaire.
Aujourd’hui, je ne suis donc plus là-dedans mais j’y ai plein de bons souvenirs. Les Sunday School c’était mortel, la première partie de Guru aussi, les scènes que j’ai faites avec Karim Ziad étaient super enrichissantes aussi. Mais en fait tout le parcours, tout ce dont je viens de te parler, ce sont des bons moments. Toute cette période de ma vie c’est une vraie bonne période. Même si ça ne s’est pas finalisé par un album marquant et que personne n’en a vraiment entendu parler, si je devais recommencer, je recommencerais. Toutes ces rencontres, ce sont des purs souvenirs. Il y a aussi des personnes que j’aurais voulu rencontrer et pour qui ça ne s’est pas fait. Il y a une personne avec qui j’aurais vraiment voulu faire un titre, c’est une canadienne qui s’appelle Zaki Ibrahim.
Si je devais avoir un regret, ça serait les scènes. La scène c’était mon élément. J’ai toujours fait ça pour pouvoir accéder la scène, c’était la motivation. Aujourd’hui je ne trouve plus le temps. Je ne trouve pas la motivation pour me dégager du temps surtout. On a passé des moments, avec ma femme et mes enfants, assez difficiles récemment et plus largement on a une vie de famille donc les priorités changent. Je souhaite à tout le monde de découvrir ça d’ailleurs. Je pourrais monter sur scène pour le fun mais sans plus.
Je fais quand même des instrus en ce moment, notamment pour un pote qui s’appelle Coco D-Rock, il vient de Côte d’Ivoire, on s’est connus au lycée. J’espère que ça va sortir, c’est son projet. À côté de ça j’écris un peu mais pas pour du son. Franchement je n’ai plus vraiment envie de faire un morceau de rap. C’est purement de la fainéantise.
Forcément quand tu m’as contacté, j’ai réfléchi à tout ça alors que je ne l’avais pas trop fait avant. T’es obligé de faire de l’introspection et avec l’âge ça fait un peu bilan. En tout cas je ne suis plus dans le regret, j’ai trois enfants, il m’est arrivé des trucs de dingue. Il y a des choses qui auraient pu être mieux, qui auraient dû être mieux. Je pense que j’aurais pu être plus patient. Mais d’un autre côté j’étais un peu dans la précarité, je bossais déjà à côté et je ne voulais pas trop attendre du rap. Il faut faire sa vie à un moment. Issu de quartier populaire, il n’y avait pas papa et maman derrière. Et comme on l’a dit, le rap ça prend du temps, rien que pour la promo, etc. Je n’ai pas su m’entourer, j’ai pas su calculer… Pour moi c’était du feeling l’écriture, c’était instinctif, il fallait que je ressente le truc pour m’y mettre, alors qu’à un moment donné, il faut se forcer un peu et ne pas attendre uniquement de ressentir le besoin. Ça va pas loin si on fait ça. Un danseur professionnel va faire ses gammes même si ça lui casse la tête tout comme un footballeur. Peut être que si j’avais eu un vrai deal et des engagements, je les aurais tenus parce que c’est ma nature. Si à la sortie de mon premier album, on avait enchaîné les dates et un deal pour le deuxième album, ça serait devenu un travail, et après la talent aurait été de garder l’originalité, la fraîcheur malgré que ça soit un travail. C’est cool de faire du rap, j’ai la fibre artistique, c’est un truc que j’ai en moi d’écrire mais aujourd’hui je ne rapperai plus, à moins que Nas, Rakim et Black Thought m’invitent sur un titre (sourire).
Merci au camarade Gabriel DLH pour son soutien à la relecture et à l’édition.