Après avoir passé une quinzaine d’années dans les sous-terrains du rap français à enchaîner les rîmes sur  mixtapes et compiles, depuis 2008, AL sort des albums. C’est au moment de la sortie de son deuxième, “Terminal 3”, que nous avons passé un long moment au téléphone avec le dijonnais pour Radio Campus Grenoble

Sous-Culture : Présente nous un peu ton parcours.

AL : Moi je suis AL. Originaire de Dijon. Je fais du rap depuis 93/94. Je suis sur un label qui s’appelle Matière Première. Je viens de sortir mon deuxième album, le 3 décembre 2012, intitulé « Terminal 3». J’ai commencé le hip hop par la danse dans un groupe s’appelait LMG, une copie provinciale de NTM. Après j’en suis venu à écrire des lyrics quand j’ai eu 21, 22 ans en 93/94. À Dijon on avait l’impression qu’on était un peu à l’écart, parce que il y avait pas le numérique ni internet, on avait l’impression que les disques arrivaient après, qu’on était à la traîne. On fantasmait beaucoup sur Paris, pour nous c’était l’épicentre du phénomène. Mais le bon côté c’était que de la frustration naissait le mouvement. On était obligés d’aller vers les choses. Quand on rencontrait des gens de Paris par exemple, on était plus gourmands qu’eux, on avait soif de hip hop. On écoutait Couleur 3, une radio suisse qui diffusait des nouveautés parce que Dijon est plus prêt de Genève que de Paris. Les zoulous dijonnais se retrouvaient au centre-ville, rue de Liberté (sourire) mais c’était surtout pour être ensemble. Sinon à Talant on avait le « Club Jeune », une salle aux Logis de Bourgogne dans laquelle on allait répéter avec notre groupe. C’était dur à Dijon mais, à travers notre microcosme à nous, on vivait le truc. Quoi qu’il en soit, le hip-hop existait.

Tu dis que vous bougiez beaucoup à cette époque, c’est bien à ce moment là que tu rencontres Cut Killer ?

Attention quand je dis qu’on se bougeait, c’était surtout par rapport aux disques, pour pouvoir écouter du son. Après moi personnellement, j’allais pas forcément vers les gens et les rencontres se sont toujours faites au hasard. Pour en revenir à Cut Killer, le morceau Les Lions vivent dans la brousse, est un morceau que j’avais fait avec Dj Duke en fait. Il était sur une mixtape que Duke avait sorti qui s’appelait « Duke Flava » je crois. Fabe, que j’avais rencontré lors d’un concert à Bourges, avait entendu le morceau. On avait fait un freestyle de fin de concert avec lui, il était venu vers moi, on avait discuté, on était restés en contact et il avait été question de faire un morceau ensemble sur son album. Entre temps, il a fait écouter à Cut Killer Les Lions vivent dans la brousse et ce dernier a eu envie de le mettre sur sa compile « Opération Freestyle ».

Pour recontextualiser, Cut Killer avait décidé la compile « Opération Freestyle » dans laquelle il avait décidé d’inviter les MC de Province en plus de ceux de Paris.

Oui c’est ça (hésite puis qui rigole). S’il faut mettre une étiquette, alors oui on était les portes-drapeaux du rap de province (sourire) !


« Le morceau Correspondance, on l’a fait plus ou moins par accident »


Il y a eu ensuite la collaboration avec Fabe sur son album « Détounement de Son » en 1998 avec le morceau « Correspondance »

Pour la petite histoire, à la base on en avait enregistré un autre et Fabe n’était pas satisfait du titre. Donc Correspondance, on l’a fait plus ou moins accidentellement, au dernier moment avec une prod’ qui venait de Dijon faite par un mec qui s’appelait Steph, un DJ qui avait touché au sampleur comme ça mais qui n’a pas continué. Ce morceau est un bon souvenir. Fabe est un MC que j’appréciais, le morceau s’est retrouvé sur un de ses bons albums et j’ai l’impression qu’il a eu un petit echo quand même. Peu de temps après, Fabe disparaissait de la circulation un peu pour tout le monde. Mais c’est la vie, tu rencontres des gens, tu les croises, un jour t’es avec et un jour plus, c’est le destin.

Tu collabores ensuite avec Adil El kabir pour la sortie de l’EP « A force de tourner en rond ».

Je bossais avec Duke à l’époque et lui aussi. Il était de Sète et montait travailler sur Lyon, ville dans laquelle Duke habitait. Et voilà on s’est rencontrés, au bout d’un moment on a fait des scènes ensemble et un jour on s’est dit pourquoi ne pas essayer de faire un projet, de figer les choses et on est parti sur un petit EP « A force de tourner en rond », sur lequel on retrouve Fabe d’ailleurs. Après ce projet, on a fait beaucoup de freestyles sur des mixtapes puis un jour Adil est parti vers d’autres horizons, il a arrêté le rap. C’est bizarre, tous les gens que je croise arrêtent le rap, il faut que les MC’s m’évitent (sourire) ! Ce sont des gens, notamment Adil, qui avaient une avance de ouf. Quand tu participes à des ateliers d’écritures aujourd’hui, tu vois des mecs de 12, 13 ans qui rappent. À cette époque on ne commençait pas très jeunes, le rap était moins répandu, personne n’avait découvert le truc avant, alors que lui contrairement aux autres avait commencé alors qu’il était minot, donc à 22/23 ans, il avait déjà un niveau de ouf. Il était super fort.

Tu gardes des bons souvenirs des années 90 ?

Oui, des bons et des mauvais. Après on n’est pas là pour se morfondre sur ce qui s’est moins bien passé. C’est mon parcours, c’est tout. Mais c’est cool. L’époque d’ « Opération Freestyle », j’ai un morceau qui se retrouve sur une compile à l’échelle nationale avec beaucoup de visibilité alors que je ne connaissais même pas le sens du mot mesure. Et je fais une tournée avec Cut Killer donc c’était cool, oui.

Début des années 2000, tu te retrouves à nouveau seul. Qu’attendais-tu du rap à ce moment là ? Est-ce que t’as pensé à arrêter ?

Ah mais moi, je n’ai jamais rien attendu du rap ! Je ne vis pas du rap et quand j’en ai vécu, j’en ai plus survécu en fait (sourire). Je suis salarié. Je n’ai jamais eu pour objectif d’en vivre mais si ça doit venir un jour, ce dont je doute énormément, c’est cool. Je fais des morceaux, j’écris des textes parce que je kiffe ça. Ce que je préfère, c’est faire des scènes, c’est l’aboutissement final, c’est pour ça qu’on commence à poser des mots sur une feuille à la base. Chez moi, j’écris, je rappe à haute voix et je me vois rapper sur scène, c’est vraiment une passion.

Par la suite, notamment avec le maxi, « La bande orginale » produit par Ekoué, on t’affilie beaucoup à La Rumeur et Anfalsh.

Je crois que « La bande originale » était sorti en CD et en vinyle. C’étaient des gens dont j’écoutais beaucoup la musique. Ça se passe comme ça dans le rap, quand des gens apprécient des MC’s, ils n’ hésitent pas à les inviter et on s’est retrouvés sur ce projet. Par contre les gens de La Rumeur, ça fait longtemps que je ne les vois plus mais je vois beaucoup les gens d’Anfalsh, entre autres. Je me reconnais beaucoup dans leur point de vue et leur manière de rapper. Le fait de s’apprécier mutuellement, c’est aussi très important pour que ça marche.

Et puis Matière Première.

Oui c’est important. C’est encore une connexion qui s’est faîte naturellement. On a fait un truc avec les gens avec qui on était tout le temps. Ca ne va pas au-delà. Adil et Loubna sont des gens plus jeunes que j’ai rencontré en atelier et Stf, je le connais depuis l’enfance. Adil et Stf sont de Talant, Loubna est de Chenôve, une autre ville de la banlieue dijonnaise, mais elle était souvent avec nous. Au départ il y avait d’autres personnes, comme un mec qui s’appelle Miguel qui rappait à Dijon mais qui est passé à autre chose depuis. Et certains se sont greffés plus tard. À la base, on faisait des premières parties à Dijon et à un moment donné, il a fallu structurer tout ça. On a commencé par une association et puis c’est devenu un label, une société.

Avec cette structure, tu sors le Maxi « Le Masque du ravisseur » en 2004, et une steet-tape « Quand Le brut S’enflamme » en 2006.

Oui c’était la première sortie solo pour le maxi, et la face B s’appelait Matière Première. Et sur la street-tape, il y avait les gens du label et des gens dont on aime le taf, dont on écoute la musique comme Les Grandes Gueules, La Rumeur, Anfalsh et La Mixture. Les productions étaient des faces B. Des instrus très rap hardcore de la côte Est.

Ça se fait vite une mixtape comme cela ?

Dans le rap indépendant, rien ne se fait vite. Même si certaines personnes ont d’autres modes de fonctionnement et ont pour objectif d’être présentes tout le temps, nous on fait les choses naturellement, on est un peu fainéants et on n’a pas cette soif d’être vus à longueur de temps. Après il y aussi le fait que je me sois expatrié à Paris entre temps et qu’il faille faire les allers retours Dijon Paris pour enregistrer et pour se mettre d’accord avec les autres. Le studio est à Dijon chez DJ Saxe où l’on a enregistré mes deux albums et les autres sorties de Matière Première. DJ Saxe, ancien DJ d’Adil El Kabir, est de Sète mais habite à Dijon maintenant.

Sortir une mixtape sert à se faire entendre avant la sortie d’un l’album ou à en esquiver la difficulté de réalisation ?

Pour certains artistes, tu ne fais plus trop la distinction entre une mixtape et un album. Pour la distribution, t’as peut être plus les choses en main, mais tu fais un boulot moins efficace que pour un disque. Mais oui, ça permet d’être présent et la façon de travailler le truc permet plus de liberté à tous les niveaux. Souvent le format des morceaux n’est pas le même. Sur une mixtape, tu peux faire quatre ou cinq morceaux sans couplet par exemple. Alors que si tu fais ça sur un album, cela peut-être mal reçu, même si je pense et j’espère qu’il n’y a pas de format type.


« Si j’ai mis autant de temps à sortir un album, c’est que pour moi ce n’était ni une fin en soi ni un aboutissement ni une priorité »


En 2008, tu sors « High Tech et Primitif » à 35 ans on avait l’impression que tu le préparais depuis très longtemps.

Je faisais des morceaux depuis longtemps mais c’est seulement à partir d’un an et demi auparavant qu’on s’est vraiment mis autour d’une table et qu’on a décidé de voir ce qu’il pouvait se passer concrètement. Il était temps de capitaliser un peu autour de tout ce qu’on avait fait et qu’un disque sorte. Il fallait commencer à savoir dans quel ordre on allait faire les choses pour le financement et tout le reste. Mais en gros c’est en 2006 que cette réflexion a débuté. Si j’ai mis autant de temps à sortir un album, c’est que pour moi ce n’était ni une fin en soi ni un aboutissement ni une priorité. Si on sort un deuxième album aujourd’hui, c’est que le premier a fait le boulot. Bien qu’on n’ait pas gagné d’argent, on en a suffisamment vendu pour en sortir un deuxième sans mettre d’argent de notre poche. L’idée c’est de repartir encore sur un troisième si le deuxième fait le boulot. C’est du rap indé donc c’est très incertain.

Pour toi aujourd’hui, l’argent du rap reste dans le rap ?

Franchement pour moi, le rap ne paie pas ou alors un petit billet de temps en temps mais c’est des miettes de pain (sourire). Dans tous les cas je ne veux pas attendre du rap, j’ai déjà vu les dégâts que ça cause chez certaines personnes d’attendre de vivre du rap, tu te laisses après rapidement dépasser par les événements. À force de trop mettre d’espoir là-dedans, tu oublies de te gérer et ça peut gravement porter atteinte à ta vie sociale. Et j’aime me dire que le fait d’avoir une vie normale à côté, c’est ça aussi qui fait l’essence de ma musique.

 

Ensuite en 2011, il y a le premier album du collectif Matière Première « Les Armes d’une Guerre ».

Exact oui, sur des productions originales de Saxe avec des invités comme Anfalsh, Rocé et Mysa, le rappeur de Metz qui est super fort.

Et qui vient d’annoncer qu’il arrêtait le rap.

Ah bon ? Tu vois c’est toi qui me l’apprends. Ça faisait un certain temps que je n’avais pas eu de ses nouvelles.

Tu l’as rencontré comment ?

Je l’ai découvert à travers sa musique. Maintenant avec les trucs comme Facebook, t’as un accès facile à ce qui se fait un peu partout et t’arrives à rentrer en contact facilement. Du coup je lui ai envoyé un message en lui disant que je kiffais vraiment ce qu’il faisait, on a beaucoup discuté et finalement on a décidé de faire un titre ensemble, La pression des murs sur « Les armes d’une guerre ».


« Le premier album a permis de désacraliser la démarche »


On arrive enfin en 2012, tu sors l’album « Terminal 3 ». C’était aujourd’hui plus facile de sortir un disque du fait de l’expérience ?

C’est devenu plus facile de faire un disque plutôt. Le premier a permis de désacraliser la démarche. Parce que moi pour le premier album, je me mettais une pression tout seul, parce que la première fois il y a toujours l’appréhension de ne pas savoir faire alors que pour le deuxième, tu fais tes morceaux tranquille, tu les enregistres, tu les mixes. Tu te poses moins de questions. J’aime aussi me dire qu’avec tout le taf qui a été fait auparavant, tu prends plus rapidement les bonnes décisions par rapport à tes textes, par rapport aux instrus et par rapport à pleins de choses. Mais pour tout ce qui est de la structure, ça n’a pas changé. C’est toujours galère, on a toujours beaucoup de choses à faire. C’est vraiment la construction des morceaux et l’écriture que se simplifient avec l’expérience. Après on trouve toujours des gens qui préfèrent ce qui a été fait avant alors que je n’avais pas le même vécu, la même expérience, mais ça tu ne peux pas l’empêcher.

Au niveau des producteurs de l’album, on retrouve DJ Saxe sur la majorité des morceaux mais il y en a d’autres dont tu peux nous parler.

Il y a Nizi. Il est maintenant expatrié en Bretagne, je l’avais rencontré lors d’une date à Sète alors qu’il était avec Saké avec qui il collabore. Il m’a proposé des prods et j’en ai utilisée une pour le morceau Je suis AL . Il y a Vega qui habite à Blanc Mesnil à vingt mètres de chez moi et qui faisait partir du groupe Les 4 Fantastiks à l’époque. Il y a Banane qui fait les sons de Vîrus, avec lui on a fait le morceau Scar. D’ailleurs ce morceau est arrivé au tout dernier moment, un mois avant le mastering final. Sinon on retrouve Laloo et Hery qui sont les producteurs d’Anfalsh et qui viennent du Blanc Mesnil aussi.

Tu parlais de Banane, le producteur de Vîrus. Ce dernier est le seul featuring de l’album dans le remix du morceau Tout Seul. Tu l’as connu via Tcho, je crois, qui fait tes clips ?

C’est ça, exact. Ils devaient bosser ensemble un jour. Et Tcho m’a dit qu’il fallait à tout prix qu’il me fasse écouter le morceau. Il me fait écouter Saupoudré de Vengeance et je lui dis : « Mais Tcho, ça défonce… ». Et plus j’écoutais, plus ça défonçait puis j’ai pu découvrir le travail de Vîrus à travers ses trois EP. Je ne veux pas lui lancer des fleurs mais il est vraiment fort. Ça ressemble à rien d’autre, c’est super riche, c’est pleins d’images. Pour les gens qui ne connaissent pas Vîrus de Rouen, ça mérite vraiment d’être connu.


« Diam’s a été dans le classement des personnalités les plus appréciées des français, mais dès qu’elle s’est convertie, on a vu tout le monde s’abattre sur elle »


L’album s’appelle « Terminal 3 », c’est le nom du terminal des expulsions à Roissy. On rentre direct dans le thème de l’album, c’est un album sur la France qui expulse, qui discrimine…

Il y a un peu de ça oui, mais ce n’est pas forcément le thème des expulsions, c’est plus parce que c’est le terminal des charters pour l’Afrique donc les gens des banlieues, les gens qu’on fréquente, partent de là-bas. C’est soit pour retourner chez eux l’été ou alors quand ils partent en vacances avec un all inclusive à 200 euros. C’est vraiment le terminal des personnes les moins aisées. Mais c’est en effet un album qui parle de la condition de noir et de banlieusard en France. Ces thèmes sont en fil rouge dans mon écriture et j’ai parfois envie de m’en écarter. J’ai l’impression que c’est ce que j’ai fait un peu à travers ce disque mine de rien, mais c’est quand même des sujets que je ne peux pas laisser de côté.

Tu dis dans l’album que tu n’es « pas né innocent » ou qu’il y a « du polonium sur la route des podiums ». Aujourd’hui c’est toujours le cas, c’est même pire qu’avant selon toi ?

Oui je n’ai pas l’impression que les choses évoluent. On entend un mot à tout bout de champ, c’est « décomplexé ». T’entends ouvertement des choses racistes et blessantes et on essaie de te faire croire que le racisme est un point de vue, que ça se défend, que ça se discute alors que c’est faux, les actes et les paroles racistes sont punis devant la loi. Aujourd’hui on a l’impression que le racisme est toléré. Après il ne faut pas être dupe, on est en France, il y a pleins de bonnes choses : ce pays est passé à travers l’esclavage, la traite négrière et la colonisation. A côté de ça, les gens qui ont le pouvoir dans le pays, ils ont 50, 60 ans et on a l’impression que chez eux, cet état d’esprit est loin d’être dissout. Ils n’ont pas pris conscience du changement d’époque et ont du mal à accepter la diversité. Je crois qu’à un moment, Diam’s, dont je parle dans l’album, a été dans le classement des personnalités les plus appréciées des français, mais dès qu’elle s’est convertie on a vu tout le monde s’abattre sur elle. Après je ne suis pas un militant, je ne vais pas dans les manifs, mais ça veut pas dire qu’on n’est pas conscients de ces choses-là. Le racisme en France, ça existe et dire le contraire est aberrant.

Tu t’écartes peut-être un peu plus de ce sujet mais pour toi le rap est quand même là pour dénoncer ces choses-là. Dans le morceau Je suis AL, tu dis que ton rap existe parce que ces problèmes existent.

C’est fait pour tout dire le rap. Je peux parler d’autre chose dans Tout Seul par exemple ou dans le morceau Je suis refait dans lequel je parle de ma passion pour le hip hop. Mais pour moi c’est clair que cette musique est faîte pour aborder les problèmes. Tu ne peux pas faire tout un album en disant que tout va bien. Perso, je suis tellement ancré dans cette réalité et dans ces problèmes que forcément, ça remonte à la surface tout le temps.

Justement dans le morceau Tout Seul , tu parles un peu plus de toi. Tout seul, ça résume un peu ce que tu es, dans le rap comme dans la vie ?

Oui, t’as dit ça comme il fallait. Je suis quelqu’un d’assez solitaire. Des fois ça se gère bien, des fois moins bien, c’est de ça dont j’ai voulu parler. Après je ne sais pas si accepter cette condition est vraiment la solution et c’est aussi la question que je pose dans le morceau.

Dans les morceaux qui sortent un peu de tes sujets habituels, il y a aussi Sans Lui, morceau écolo, chose plutôt rare dans le rap.

Franchement, même si je déteste les rappeurs qui prétendent s’inspirer de tel auteur, c’est une des dernières phrases du bouquin de Levi Strauss, « Tristes Tropiques » : « Le Monde a commencé sans l’Homme et il s’achèvera sans lui ». Cette phrase m’a donné envie d’écrire un texte sur le fait qu’on était juste de passage sur terre, sans partir dans de grands débats philosophiques. C’est un morceau très imprégné de fatalisme. C’est dans le constat. Justement, je ne voulais pas trop tomber dans le côté écologique ou faire la leçon.

Dans le morceau Ca doit faire rêver, tu te mets dans la peau d’un rappeur dit “commercial”, même si le terme ne veut pas dire grand chose.

Oui, je ne pense pas avoir réussi à faire ce que je voulais faire en fait (rires) ! J’ai voulu montrer que faire des morceaux comme celui-là, c’était à la portée de tout le monde. C’est un morceau qu’il ne faut pas écouter sans écouter l’intro et l’outro parce que sinon, tu risques de te faire avoir. Et pour que ça soit encore plus parlant, à la base je voulais le clipper le morceau en fait. Mais ça n’a jamais été fait. Mon idée c’était de mettre deux ou trois mecs rappant le texte en jouant les zoulous déterminés et j’aurais été juste à côté à les regarder stupéfait. Mais j’espère que même sans le clip, le message est passé. Je voulais montrer que certains se laissent aller quand même en écrivant (sourire). Après ça existe aussi et des fois, c’est super bien fait. Même moi à certains moments j’écoute des morceaux comme ça et je kiffe. Mais par contre, il y en a qui sortent des textes comme ça dès leur première mixtape vendue à 50 exemplaires ! Ils te parlent de Ferrari alors qu’ils font du rap dans une MJC. Mais c’est comme dans le cinéma, il y a des films de gangsters, « Un Prophète » par exemple, qui sont beaucoup plus crédibles que d’autres super nazes.


« J’estime que dans le rap, tout a été dit mais c’est la façon d’aborder les choses, l’angle de vue qui diffère »


Chez toi, on a parfois l’impression que les lyrics priment un peu sur tout le reste contrairement au rap actuel où l’on a l’impression que le flow est plus important.

J’espère que mes lyrics priment sur le reste, même si j’ai aussi envie de faire des morceaux qui fassent bouger la tête, qui sont bons sur la forme. Mais quand j’écoute les gens que j’aime comme Rocé ou Casey, j’ai envie que ça me parle, que ça soit fou. J’estime que dans le rap, tout a été dit mais c’est la façon d’aborder les choses, l’angle de vue qui diffère. Le mec va sortir un truc, une punchline ou seize rimes et je vais me dire : « Putain merde, j’avais jamais vu les choses sous cet angle ». Dernièrement j’ai découvert Vîrus, c’est super riche, il y a plein d’images, des fois tu captes au bout de la deuxième, troisième écoute. Il faut que ça me percute. Cette question m’étonne parce que pour moi, c’est tellement naturel, je vois pas ce que font les MC’s qui rappent en se disant que ce n’est pas grave de raconter de la merde tant qu’ils ont le flow. Après quand je rappe, j’ai l’impression que je suis grave technique dans ma tête, que c’est grave flow, que c’est cainri (sourire). Il y a des rappeurs qui arrivent sur scène et qui sont incompréhensibles. J’aime bien les rappeurs quand ça se rapproche beaucoup du parlé, mine de rien. Après il faut quand même que ça prenne, mais j’aime bien ce côté-là.

 

Quel est ton ton top album dans l’histoire du rap français ?

« J’appuie sur la gâchette » de NTM, « L’Ecole du micro d’argent » d’ Iam, « Mauvais Oeil » de Lunatic, « Tragédie d’une trajectoire » et « Libérez la bête » de Casey et pour en citer un sixième, « L’ombre sur la mesure » de La Rumeur.

 

L’album rap français de l’année 2012 ?

« Itiniraire bis » de Flynt.

Tes projets pour l’avenir ?

Oui, on est en train de bosser sur un album mais avant ça, il devrait y avoir un « Histolyric 2 » avec six ou sept inédits et des morceaux rares.

Quelques scènes quand même pour défendre l’album ?

C’est le but du jeu, on va essayer. À une période, on avait vraiment beaucoup tourné, notamment à l’époque d’« A force de tourner en rond ». Les budgets dans la culture n’étant plus ce qu’ils étaient, les gens sont très frileux et les programmateurs bookent seulement des gens avec qui ils sont sûrs de remplir leur salle. L’aspect découverte n’est plus trop travaillé mais on ne perd pas espoir et on espère bien voir les gens sur scène.

 
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