Février 2012, le black poète vient de sortir son sixième album, « Roi sans Carrosse ». Retour avec lui sur ce projet et sa place dans la longue discographie d’un rappeur souvent cité comme référence.

Sous-Culture : Comment vous qualifiez vous aujourd’hui ?

Oxmo Puccino : Je me qualifie comme poétiseur depuis 20 ans. Je ne m’arrête là parce que je ne suis pas dans la vente de tapis : je compte sur la curiosité du « gens » pour venir se greffer à un univers auquel il va contribuer de positivité. Je ne suis pas dans la séduction à outrance, je ne suis pas dans du prosélytisme. J’ai quelque chose à proposer de fort, de bien, d’agréable qui peut servir à tout le monde et je ne vais pas le vendre comme un tapis. Pour que la rencontre soit forte, il faut que la personne soit assez ouverte pour pouvoir rentrer dans l’univers, à cette époque où on se donne que le temps d’effleurer et même pas avec les doigts.

Le 7 février, vous êtes en concert à Grenoble accompagné d’un trio acoustique, chose que ne vous faîtes pas à chaque fois.

Ce trio est composé de Vincent Segal au violoncelle, Edouard Ardan à la guitare et moi-même. Il diffère des autres spectacles, car nous sommes en acoustique. Lorsque c’est possible, nous jouons sans micro. C’est une revisite de certains morceaux de mon répertoire dans un style musical beaucoup plus dépouillé mais sans perdre en intensité. Donc par rapport à mes autres concerts, c’est moins bruyant, tout aussi puissant et plus intimiste. Pour les autres concerts, il y a trois musiciens en plus : le batteur, un bassiste et un clavier mais pas de violoncelle. Donc c’est vraiment différent, même au niveau de la scénographie.

Quelles étaient les motivations derrière « Roi Sans Carrosse » ?

Je tourne depuis huit ans déjà, régulièrement je fais des tournées de 50 à 90 dates et le disque est un prétexte à cela. La première motivation pour avoir sorti « Roi sans Carrosse », c’est que j’avais le matériel nécessaire et l’envie de sortir un disque. Ces raisons sont suffisantes. Le disque est sorti d’ailleurs contre toute attente, puisque j’avais prévu de le sortir plus tard. Et puis les raisons que j’ai citées en amènent d’autres, comme des rencontres qui apportent des idées et qui embellissent le projet.

On retrouve donc Vincent Segal sur le projet. Comment s’est faîte la collaboration et la rencontre ?

Physiquement, la rencontre avec Vincent Segal s’est faîte en 2006, mais c’est quelqu’un qui a toujours été dans mon spectre. C’est quelqu’un qui connaît tous les grands musiciens de Paris et une grande partie des musiciens du monde, donc il est peu probable de se retrouver dans un studio sans le croiser. Alors fort de ça, nous avons beaucoup de relations en commun. Mais la première rencontre musicale s’est faîte à la Ferme Du Buisson, où il m’a invité à monter sur scène avec Mathieu Chedid, Magic Malik et d’autres musiciens de qualité. À ce moment-là, il s’est produit un déclic qui m’a donné envie de collaborer avec d’autres musiciens régulièrement. C’est ensuite lui qui m’a présenté les Jazz Bastards pour l’album « Lipopette Bar ». A partir de là, il a toujours été à proximité de mon évolution, et les maquettes de « Roi Sans Carrosse » ont été assez convaincantes pour qu’il accepte de les réaliser. On s’est donc retrouvés en studio avec Renaud Letang et les Jazz Bastards.

On retrouve également sur l’album la chanteuse Mai Lan qui est le seul featuring.

Sur mon album, je ne réagis pas à ma volonté. Je ne fais qu’écouter l’album et déceler les lacunes pour trouver la personne nécessaire à la finition du projet. Je procède comme ça depuis « Lipopette Bar » où je suis tout seul sur le disque. Donc pour le morceau La Danse Couchée, on a trouvé qu’une voix féminine serait plus adaptée qu’une voix masculine. On a donc cherché cette voix féminine. Cependant, nous ne voulions pas la mettre au refrain car c’était trop attendu, trop classique. Par contre nous avions trouvé que faire rapper une très bonne chanteuse provoquerait l’effet de surprise et pourrait compléter le morceau de manière flamboyante. La personne la plus à même de faire ça autour de moi était Mai Lan Chapiron, d’une part parce que je la connais depuis longtemps et d’autre part car elle était en pleine période créative puisqu’elle était en studio pour son propre album. J’ai donc profité de tous ces éléments.

« Un artiste se doit d’être dans le futur »

Nous avons eu du mal à mettre des mots sur les sonorités de l’album. Comment vous, Oxmo Puccino, définiriez vous cet album au niveau musical ?

Je ne peux pas le décrire car je suis encore en train de le comprendre, en train de l’écouter et de le vivre sur scène. Et ce que je disais, c’est qu’un artiste se doit d’être dans le futur d’une certaine manière. Je m’explique : lorsqu’un artiste a une idée, il doit être certain qu’elle va marcher dans deux ans minimum, date à laquelle, le projet sera à même d’être présenté à un public. Donc il faut minimum deux ans d’avance. Après que le produit soit présenté au public, à la clientèle, il faut un certain temps pour qu’il soit compris, c’est valable pour un tableau, pour une sculpture et pour une chanson. Donc demander aux gens d’expliquer, de comprendre, à l’écoute d’une oeuvre toute neuve, je pense que c’est prématuré, définitivement. Une œuvre se réécoute, se revit. La manière d’écouter, de comprendre, change avec le moment où on l’écoute, avec ce que l’on est en train de traverser. Donc me demander de parler de l’album aujourd’hui c’est prématuré. Je peux vous parler du travail qui l’a construit, du studio, des manières par lesquelles je suis arrivé à ces sujets, mais dire ce que je pense de l’album qui réunit plus de 60 ans d’expérience, je ne peux pas. Quelque chose de sur : je peux dire que le meilleur album sera le prochain.

Beaucoup de journalistes parlent de cet album comme celui de la maturité. Qu’en pensez vous ?

Je pense que je suis en accord avec mon temps donc je suis très flatté. Chaque fois que je fais un album, je suis cohérent avec mon âge et mon époque.

Racontez nous l’histoire de la cover.

Nous étions en août dans le sud de la France, en vacances, en famille avec Kim Chapiron et un ami photographe. On sortait de la plage et mon ami photographe qui habite la région me dit « Ici c’est très beau, regardez ». Et Kim Chapiron me dit de me mettre debout à tel endroit. Il prend une photo et nous rentrons en voiture. Un an et demi plus tard, on commençait à parler de la pochette de l’album, on voyait des graphistes, des photographes et à chaque fois que nous argumentions la photo que nous voulions, cette photo revenait. Et un jour quelqu’un a dit que cette dernière serait la pochette de l’album. Pour la cover, la commande était la simplicité, le voyage, la nature, la sérénité. Donc cette photo de vacances remplissait la commande.

Le morceau Le Roi Sans Carrosse qui est le dernier titre de l’album est une reprise d’un texte de Seu Jorge, un artiste brésilien.

C’est une réadaptation personnelle on peut dire. C’est Vincent Cassel qui m’a introduit à la Bossa Nova et à la musique brésilienne. J’ai commencé l’album lors d’un voyage auquel il m’avait invité. J’aime beaucoup ce genre de musique brésilienne car on y trouve ce sentiment très particulier appelé la saudade, qui n’est pas traduisible en français.

Une idée de nostalgie, de mélancolie, de belle tristesse de la vie. Et je trouvais ça très beau, c’est ce qu’on m’a souvent reproché ici. J’ai toujours aimé chanter, tant bien que mal, plutôt mal souvent d’ailleurs. J’ai donc décidé que ce serait ce morceau qui serait le passage à une chanson chantée de bout en bout et pas seulement au refrain, tout en restant fidèle à ma manière de voir la musique et de chanter la vie. Ce morceau est donc une photographie de la société actuelle à travers les gens dont on parle le moins, les anonymes, les invisibles mais néanmoins importants pour l’évolution de la société. C’est donc une photographie à travers ces gens-là, de la société actuelle, avec cette part de saudade qu’on retrouve dans le morceau de Seu Jorge. Je voudrais préciser aussi qu’on a enlevé une grande part de l’exotisme présent dans le morceau de l’artiste brésilien grâce au travail de Vincent Segal. J’ai gardé les consonances rythmiques, j’ai calqué un poème écrit sur mesure par rapport à la chanson, sur une musique réadaptée de manière citadine par Vincent Segal. C’est plus difficile à faire que d’inventer une chanson qui n’existe pas.

« C’est une réponse aux gens qui remettent en cause le présent à cause d’un souvenir »

Le morceau Les Gens de 72 s’élève contre les gens passéistes. Est-ce une réponse à une partie de votre public qui regrette l’époque d’« Opéra Puccino » ?

Ce n’est pas une réponse à ceux qui regrettent certains moments du passé, parce que chacun a la liberté d’avoir ses regrets. Mais c’est une réponse aux gens qui remettent en cause le présent à cause d’un souvenir, qui remettent en cause quelque chose de concret, auquel on peut apporter des transformations. Ils entament donc de futurs souvenirs, ils les plombent d’avance. Et cette remise en cause est parfois due au temps qu’ont mis certaines personnes à comprendre ce qu’il s’est passé il y a 20 ans. Ce n’est pas parce qu’on commence seulement à comprendre ce qu’il s’est passé, qu’il faut demander de le refaire aujourd’hui pour retrouver cette fraîcheur. C’est pas de ma faute ni celle des gens d’aujourd’hui si tout le monde ne m’a pas compris à temps. Je parle du public en général. Ceux qui n’ont pas vécu le passé et prétendent le regretter sont très drôles. C’est absurde, laissez moi tranquille. Je comprends que des jeunes puissent apprécier aujourd’hui ce que je faisais dans le passé, mais qu’ils se mettent à ma place. Je suis triste pour ces gens nostalgiques. Et la seule chose qui m’irrite est qu’ils peuvent influencer de mauvaise manière les gens qui n’y connaissent rien. Moi personnellement, je m’en contre fiche, je vis ma vie, j’ai un concert demain à Grenoble, je reprends la tournée dans deux semaines, je vais très bien.

Le morceau Le Sucre Pimenté détonne du reste de l’album.

Totalement, c’est un morceau de rap traditionnel. C’est naturel qu’un morceau de ce type soit présent sur le disque. Je l’ai toujours fait. Il n’y a pas un album où je ne l’ai pas fait. C’est pour ça que j’ai toujours trouvé drôle qu’à chaque morceau comme celui-ci, on parle d’éloignement alors qu’il y a toujours eu un morceau traditionnel de rap dans mes albums, qui en plus, est toujours indiscutable. Et pour moi c’est la petite pichenette.

« Les reproches d’hier se sont transformés en demande aujourd’hui »

Concernant « Opéra Puccino », n’est-ce pas dérangeant pour vous qu’une partie de votre public n’écoute qu’uniquement cet album en éludant le reste de votre discographie ?

Tout à l’heure, je parlais du temps que peut prendre la compréhension d’une idée et c’est un album qui a mis 8 ans pour être disque d’or, qui a mis 8 ans pour faire 100 000 disques vendus. Alors qu’à cette époque les disques les plus côtés faisait 100 000 en une semaine. À l’époque, le disque d’or était à 100 000 et les ventes se faisaient beaucoup plus vite. Donc pour moi cette période de 8 ans correspond au temps qu’il a fallu pour que l’on commence à comprendre ce que j’avais emmené à l’époque. Car je me souviens bien qu’à la date de sortie d’album, j’ai eu un très bon accueil critique, mais une bonne partie du public ne s’attendait pas à cela parce que je m’étais fait connaître par des morceaux plus hardcore, plus égotrip et des fictions mafieuses. Beaucoup de gens attendaient donc un album dans ce style. Mais mon projet était de faire un album pour un peu plus longtemps et les reproches d’hier se sont transformés en demande d’aujourd’hui. En fait à l’époque, ce n’était pas tant des reproches que de la mauvaise compréhension. C’était en décalage avec ce que j’avais déjà fait et que je faisais très bien.

On a lu quelque part que vous préfériez le deuxième album « L’Amour Est Mort », car c’est l’album pour lequel vous avez le plus de problèmes pour tourner ?

Non, ce n’est pas parce que j’ai eu beaucoup de problèmes que c’est mon album préféré, c’est parce que c’est l’album qui définit toute la réflexion de ma carrière. Il était un peu trop ambitieux pour les moyens que j’avais à l’époque. Et c’est aujourd’hui qu’on commence à me parler de cet album. Mais finalement, c’est un peu mon album inconnu quelque part. C’est non seulement le disque avec lequel j’ai le moins tourné mais c’est même celui avec lequel j’ai disparu.

Avant ces deux albums, il y a la grande époque du Time Bomb. Beaucoup de jeunes rappeurs aujourd’hui y font référence.

Je suis très très touché mais mettez-vous à ma place. Comment réaliser ça ? Comment comprendre pour une époque, que vous avez vécue avec une masse de doute incommensurable, une période no future où vous ne saviez même pas ce que vous faisiez, où le public était réduit à quelques auditeurs de radio ? À l’époque on ne comprenait même pas ce qu’il se passait alors comment voulez-vous qu’on le mette en adéquation avec la manière dont les jeunes le prennent aujourd’hui. Moi je le prends de manière extérieur et je n’arrive pas à le concevoir, à le réaliser.

Vous ne regrettez pas d’avoir travaillé avec le Time Bomb ?

Jamais, jamais je ne regretterai. Je croise Ricky, j’ai souvent DJ Mars au téléphone mais par contre je ne suis plus tellement en contact avec les artistes. Je suis leur carrière pour ceux qui sont encore d’actualité et je trouve ça formidable, c’est un film. J’ai un grand respect envers eux car eux seuls savent de quoi nous sommes partis. J’écoute tous les albums de Booba. Qui n’écoute pas les albums de Booba ?

« À chaque fois qu’il y a une reconnaissance institutionnelle, on trouve toujours quelqu’un pour discuter alors que pendant des années on a dit que le rap était ignoré »

Vous évoquiez récemment dans une interview, un certain Prince Charles Alexander qui prévoyait en 98 la mort du rap 10 ans plus tard.

Le rap a changé. Le rap comme on l’a connu n’est plus. Il a muté. A la rigueur je ne sais même pas s’il peut encore porter le même nom. Le rap à son état pur, DJ, breakbeat, egotrip n’existe plus vraiment. Aujourd’hui les rappeurs chantent, sont entourés de musiciens, il y a des rappeuses, il n’y a plus de violence ou beaucoup moins. Dans le rap on fait de l’argent, il y a beaucoup moins de problème avec ça. On ne définit pas le rap aujourd’hui. On peut apparenter ça à un état d’esprit, à une vibration. Moi techniquement je peux définir le rap, mais ça ne peut rester que personnelle. Cette définition ne se fera que par rapport aux souvenirs de la personne qui en parle, par rapport à son éducation, ses idées reçu. Le rap est une idée préconçue.

Lorsqu’on vous voit aux concerts Can I Kick It ou encore à l’Original Festival, on se dit que malgré tout, vous êtes encore pleinement impliqué dans la scène rap.

Mais je ne sais pas moi ! L’Original, je crois que j’étais à la première ou à la deuxième édition et j’y ai été presque tous les 2 ans. Can I Kick It, j’y suis allé parce que le projet me plaisait et parce que c’était avec Triptik avec lesquels j’ai tourné pendant deux, trois ans. Là ou je suis, là où je ne suis pas, c’est une question qui n’a pas de sens. Que je sois dans le rap ou pas ? Qui le décide ? Même si on fait monter un rappeur à Can I Kick It et que la minute d’après, il fait les Enfoirés, s’il le fait bien, où est le problème ? Combien de temps a t-on reproché au rap français d’être commercial ? Alors que dans ce monde on ne peut pas exister sans avoir quelque chose à vendre. Comment peut-on reprocher à des artistes leur succès alors qu’on l’a tant recherché. Tous ces paradoxes font qu’on a foiré. Tout le monde a foiré. C’est comme les Victoires de la musique… À chaque fois qu’il y a une reconnaissance institutionnelle, on trouve toujours quelqu’un pour discuter alors que pendant des années on a dit que le rap était ignoré. Aujourd’hui que le rap est reconnu, on va bouder ? Les gens oublient que les textes de tous ces artistes prenaient source dans un désir de s’en sortir. Donc les personnes qui veulent que ces artistes restent dans la rue, parce que ça correspond à leurs rêves, à leurs fantasmes, n’ont qu’à faire des chansons eux même. Par exemple, on reproche à Booba son impérialisme qui est un peu à l’image de la société entre parenthèse. Mais ça, Booba l’a toujours chanté, avant même que ça marche. Il a toujours parlé de voitures, de filles, de bijoux, de vêtements. Toujours. Il racontait sa vie et ce qu’il en espérait. Et aujourd’hui qu’il a ce qu’il veut et qu’il continue à raconter sa vie telle qu’elle est, on lui reproche, mais c’est quoi ces histoires ?

Vous êtes au final très proche de Rocé dans la perception de votre musique par un certain public. Comme vous, on lui a souvent reproché de trop sortir des sentiers du rap.

J’ai écouté Rocé, j’écoute toujours ce qu’il emmène, mais je n’écoute pas beaucoup de musique. Je n’écoute pas assez pour connaître ses textes par cœur. Mais ce que je que je veux dire, c’est que ses textes sont complexes, demandent une trentaine d’écoute et la musicalité est très pointue. J’adore Miles Davis mais je ne vais pas l’écouter tous les jours parce que ça nécessite un état, ce n’est pas de la musique qui rentre en vous facilement. Et ce qu’on a reproché à Rocé, c’est ce qui fait sa force. Les gens qui viennent le voir en concert ne viennent pas par hasard. On veut bien être aimé mais pas par n’importe qui, c’est pour ça qu’on ne veut pas de tout le monde.

Là où je suis flatté, c’est quand les gens mettent du temps à me comprendre, ça me touche. C’est ce que je recherche un peu. Même un de mes plaisirs, que je fais peu, est de mettre une référence que personne ne va comprendre, et des années plus tard une personne viendra m’en faire part et la lumière jaillira du ciel !

Propos recueillis par Antoine Fasné et Gabriel Dlh

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