Kader de Marseille est venu nous rendre visite à Grenoble au début de l’année 2014. À l’occasion d’un concert sur le campus, le sud était à l’honneur, REDK partageant l’affiche avec le sètois Demi Portion. Dans une loge bruyante mélangeant accents sétois et marseillais, nous avons tenté tant bien que mal d’interviewer celui que beaucoup considéraient alors, comme le meilleur kickeur de l’hexagone. Nous avons aussi réussi à le rameuter, lui et son crew, dans les locaux de Radio Campus situés tout prêt du lieu du concert. En résulte un très bon moment, une réunion de vieux copains, dont l’amour du freestyle n’est décidément pas prêt de s’éteindre.

Sous-Culture : Dans le morceau R.E.D.K. extrait de ton nouvel album « Chant de Vision », tu dis « Appelle moi Kader, R.E.D.K., c’est pour le net et les pochettes de disque ». On t’appelle comment ce soir ?

Kader, parce que ça me met moins au rang d’artiste. Ça rend le rapport plus humain.

Comment as-tu trouvé l’ambiance ce soir à Grenoble ?

Très bonne ambiance. Le public a eu un peu de mal à démarrer mais certains se sont lâchés au fur et à mesure des morceaux. Ça répondait sur les morceaux et c’est le principal. Quand tu te déplaces et que le public est réceptif, ça fait toujours plaisir. En fait là, c’est la deuxième date qu’on a faite. Hier on était à Genève, la salle était remplie aussi, ça commence fort et j’espère que ça va continuer tout le long de la tournée. En tout cas en Suisse, j’étais vraiment surpris. C’est la première fois que je faisais un concert en solo là-bas et c’était un truc de malade. Même moi j’étais choqué. Limite je posais le micro et les gens rappaient tous les couplets. C’était le bordel.

Sur ta description Twitter tu as écrit : « R.E.D.K, un gars qui fait rimer les mots, qu’on considère comme un rookie mais qui est en fin de carrière ». Aujourd’hui, tu as plus de trente ans, pourquoi certains te considèrent encore comme un rookie ?

Quand tu es à Marseille et que tu n’as pas les moyens d’exposition qu’ont les gens sur la capitale, ça met toujours un peu plus de temps à arriver. Ensuite je pense que les gens sont mal renseignés aussi, parce que j’en suis à mon quatrième voir cinquième projet officiel si on compte celui avec Soprano (R.E.D.K. et Soprano ont sorti un album commun, E = 2MC, NDLR). Après ça fait partie du jeu. Par exemple hier pour le concert à Genève, j’ai croisé une personne qui me découvrait, c’est quand même bien de préciser à chaque fois qu’on a un parcours derrière. Mais tout ça est dû aussi au manque d’implication de notre part. Pendant une bonne période on ne prenait pas ça au sérieux, c’était juste un hobby, à la fin de la semaine on se retrouvait, on faisait des sessions freestyle entre nous et ça n’allait pas plus loin. Puis quand on a voulu concrétiser un peu le truc, on a appuyé sur l’accélérateur.

« Je ne ferai pas d’autre album solo »

Dans la même description Twitter, tu dis aussi que tu es plus sur la fin de carrière. Tu te vois arrêter le rap bientôt ?

Oui, bientôt je pense que ça sera fini. On fera encore un projet avec Carpe Diem. Je ne ferai pas d’autre album solo. Avec Carpe Diem, on fera le jubilé (sourire).

Tu dis d’ailleurs dans le morceau Debut de la Fin, « C’n’est pas le premier projet solo mais bien le quatrième de Carpe Diem ».

C’était juste pour préciser que ce n’était pas une échappée en solo. J’en ai rien à faire de tenter l’aventure solo franchement. C’est un projet qu’on nous a proposé, que l’équipe a validé et que tout le monde nous a poussés à faire. Donc à partir du moment où t’as l’aval de tes gars, que tout le monde est prêt à jouer le jeu, ça ne gêne personne. Tout le groupe est derrière. Regarde en concert, ils sont tous avec moi. C’est pas la musique qui nous lie, on est au-dessus de toutes ces conneries. Il n’y a aucune gêne à ce que l’un d’entre nous fasse un projet ou un morceau.

 

Parles nous des prod très variées de l’album « Chant de Vison ».

Quand je fais un projet en fait, je commence à demander à ma garde rapprochée, donc Isma, Ladjoint, Saïz, Kill foster, Mech. Ces gens constituent le noyau marseillais. Et dès que j’ai voulu d’autres vibes, d’autres délires, j’ai fait appel aux beatmakers parisiens comme Cannibal Smith, Medeline, SoulChildren. Je voulais absolument faire comprendre à travers le projet que je n’aimais pas me cantonner à un certain style de rap alors que je pense avoir les capacités pour aller m’exercer sur des terrains différents. C’est un exercice de style, c’est quelque chose que j’aime faire. Je voulais absolument montrer les différentes palettes de ma personnalité.

Sur l’album, on retrouve Ali, Lino, Kayna Samet, Soprano et bien sûr Carpe Diem. Ali est quelqu’un d’assez discret dans le rap français, est-ce que ça a été dur de le faire venir ?

Je pensais que ça allait être dur et pour être honnête, j’étais pas sur de moi, justement par rapport au fait qu’il ne fait jamais d’apparition à part pour les projets 45 scientific. Au final, il s’avère qu’il kiffait grave ce que je faisais, et il voulait même m’inviter sur un projet à venir. Donc la connexion s’est faîte naturellement.

Dans ce morceau Murderer, tu dis « La vie ne tient qu’à un fil à ce que j’ai entendu et chaque extrême réclame sa part, je comprends pourquoi l’atmosphère est tendue ». De quels extrêmes parles tu ?

Chacun est guidé par ses idéaux. La phrase qui résumerait bien cette punchline , c’est celle du refrain de De Mal en Pis : « Tout le monde voit midi à sa porte et personne veut savoir l’heure qu’il est à la tienne ». C’est-à-dire que chacun poursuit son but sans se soucier de ce qu’il y a autour. C’est de l’individualisme pur et dur.

« Même moi j’ai des connaissances qui sont mortes dans des règlements de compte »

Transition qui vaut ce qu’elle vaut mais certaines personnes aurait pu l’interpréter comme les extrêmes en politique. Peux-tu nous parler de la percée du FN lors des municipales récentes à Marseille ?

Oui bien sûr, c’est exactement la même chose. Ça ne m’a pas du tout surpris. En même temps c’était à prévoir. Face à la vague de violence qui s’est abattue sur Marseille, face au manque de proposition de la gauche et de la droite, forcément les gens sont tentés par les extrêmes vu que le FN a un discours bien accès sur l’insécurité. Ils ont réussi leur coup à Marseille.

Les médias ont donné à Marseille une image de ville canaille. C’est d’ailleurs ce dont tu parles dans le morceau Plus Laide la vie . Est-ce qu’on peut se balader dans Marseille à 3h du mat sans risquer de se prendre un coup de kalachnikov (sourires) ?

Oui ça c’est des conneries. Enfin, attention ce que vous voyez à la télé c’est réel. Il y a même des choses qui se passent à Marseille qui ne sont pas relayés par les médias, c’est la triste réalité. Tout à l’heure, j’ai un pote qui regardait sur internet, depuis 2012 ou 2011 je crois qu’il y a eu 100 victimes des règlements de compte. Mais après les médias aiment bien le sensationnel, c’est ce qui fait vendre. Donc ils font de la surenchère, des reportages, des reportages et encore des reportages pour maintenir l’audimat. Ils jouent là-dessus.

J’ai lu que tu t’intéressais à l’économie. Est-ce qu’on peut expliquer le vote extrême à Marseille aussi par le taux de chômage et par le fait qu’un tiers des marseillais vit des prestations sociales ?

Oui, ce sont des sujets qui m’intéressent mais je pense que pour le vote c’est vraiment un ras le bol général de la part des marseillais. Même moi qui suis issu des quartiers je suis écoeuré. J’ai des connaissances qui sont mortes dans des règlements de compte ou qui sont dans des histoires bizarres. Trop c’est trop à un moment donné. Je pense que pour les personnes qui sont hors-contexte, qui ont tout simplement peur et qui se font des films avec ce qu’ils voient dans les médias, c’est vraiment un vote impulsif par rapport à ça. Après j’ai pas de baguette magique pour savoir ce que pensent les gens, mais pour moi c’est vraiment lié à ça, entre autres bien sûr. Tout le monde galère, on est tous au smic sans voir le bout du tunnel. On n’a pas l’impression qu’il va y avoir un réel changement au niveau des salaires. Au contraire, les prix augmentent et on se retrouve la corde au cou plus tôt que prévu dans le mois. Ceci ajouté à cela, ça fait un cocktail explosif.

 

« On a toujours mis un point d’honneur à parler des choses concrètes, des choses de la vie de tous les jours »

Parlons du morceau avec Lino qui a fait sensation au moment de la sortie du clip.

Pour être exact – ça peut être dur à comprendre avec le morceau et on a essayé de clarifier les choses avec le clip – je suis la bonne conscience et Lino est la mauvaise dans la tête d’un rappeur. Tu le comprends dans le refrain d’ailleurs où la personne concernée s’interroge sur les deux voix qu’il entend dans sa tête. En fait, c’est un concept original qu’on a voulu mettre en scène via les lyrics avec un passe-passe de cinq minutes. On a essayé de donner quelque chose de différent au niveau de la combinaison pour obtenir un morceau qui serait un cran au-dessus. Et au final, je pense qu’on ne s’est pas mal démerdés.

Ce morceau montre que c’est un dilemme pour certaines rappeurs de choisir entre le rap entertainement et le rap dit conscient. Est-ce que pour toi aussi ça l’est ?

Ah non, ça n’a jamais été un dilemme. Mais à aucun moment. Nous, c’est le fond et la forme. On a toujours mis un point d’honneur à parler des choses concrètes, des choses de la vie de tous les jours avec un certain style au niveau de l’écriture. C’est ce qu’on a toujours revendiqué et à aucun moment je me suis dit « faut faire le gangs’, faut faire du buzz », j’en ai rien à foutre.

Et est-ce que t’arrives à écouter du rap sans message politique ou engagé ?

Oui, oui, oui complètement. Là par exemple, pendant le trajet de Genève à Grenoble on écoutait la mixtape d’Al-kpote (sourire) (Orgasmixtape, NDLR). Lui c’est un mec qui me fait kiffer parce qu’il sait rimer. Il raconte que du sale, il n’y a rien de très recherché on va dire mais pour la technique et la performance du MC, ça m’intéresse. Je peux écouter des morceaux pour différentes raisons mais celui que je préfère, comme je l’ai dit, c’est celui qui allie le fond et la forme.

« Pour Skyrock, mon rap était trop recherché »

Est-ce que l’album « E=2mc » avec Soprano a changé beaucoup de choses ?

C’est sûr qu’au niveau de la médiatisation, cet album a joué un rôle essentiel. Et le featuring sur « Chant de Vision » , c’était un juste retour des choses. Il m’a invité sur son album, on a fait l’album en commun et moi je l’ai invité sur le mien.

Puis ce projet a du te montrer un peu les ficelles du « game ».

Ah ouais c’est de la merde. En fait il faut le vivre pour le comprendre. C’est super hypocrite dans tous les sens du terme. C’est encore pire que ce que moi j’imaginais. Par exemple il y a des plateaux télé qui ne voulaient pas m’inviter, qui ne voulaient que Soprano, des trucs comme la Méthode Cauet par exemple, même si au final, j’ai fait cette émission. Mais il y a d’autres plateaux qui tenaient à n’avoir que Soprano parce que moi j’étais trop rap ou trop je ne sais quoi pour leurs téléspectateurs ou auditeurs. C’est là que je me suis rendu compte que certains médias avaient une vision du rap complètement faussées ou super clichée. Et les pseudos médias rap qui ont une force de frappe nationale, c’est de la merde tu vois. Par exemple, pour Skyrock, mon rap était trop recherché. À la base, je m’en fous complètement de Planète Rap. Ce sont les mecs de l’équipe dans une démarche commerciale, qui étaient obligés d’aller les voir. Mais pour moi, c’est un soulagement qu’ils m’aient refusé. J’ai pas envie d’y aller pour faire l’hypocrite, je l’ai déjà fait et ça me dit plus rien. Ils m’ont dit que j’étais trop vieux ou des trucs comme ça (sourire). Bref, ça sert à rien Skyrock.

Tu partageais ce soir l’affiche avec Demi Portion. Je crois savoir que tu seras présent sur son prochain album, « Dragon Rash ».

Oui c’est sur un track où on sera très nombreux, sur le remix du morceau Mon Dico. On avait déjà collaboré à l’époque dans une mixtape, sur un morceau qui s’appelle En Restant Vrai. Donc on a réitéré, il m’a appelé pour une grosse combinaison et j’ai répondu oui sans problème.

On va parler un peu foot pour finir. Est-ce que tu arrives à supporter le PSG en Ligue des Champions ?

Non, je ne peux pas les supporter (sourire). Mais je suis forcé de reconnaître qu’ils ont un très haut niveau. Là ils viennent de montrer qu’ils étaient parmi les grands d’Europe et malheureusement au fur et à mesure, ça va s’améliorer.

Finale Barça-Paris = finale de rêve (R.E.D.K. est aussi supporter du Barça, ndlr) ?

Non pas de rêve. Je serai pour le Barça mais je ne serai pas serein sur le match. Je me mangerai des vannes tout au long du match et en cas de victoire, c’est fini je ne sors plus. Je préfère que Paris perde au match retour contre Chelsea. (Le PSG a bien perdu contre Chelsea 2-0 au match retour après avoir remporté le match aller 3-1 et a donc été éliminé en quart de final… Comme le Barça contre l’Atletico Madrid, NDLR)

Est-ce qu’on peut espérer un retour de Marseille sur la scène européenne ?

Hop, hop, hop… Moi ce que j’espère, c’est qu’ils finissent dernier non relégable pour qu’il y ait vraiment un coup de boost, qu’on vire tout le monde et qu’on bâtisse sur des bases solide. A ce moment-là, le frère de Al-Khelaïfi (président du PSG NDLR) débarque à l’OM en tant que frère ennemi pour contrer son frère (sourire).

Propos recueillis par Nabil Bereriche et Antoine Fasné
Vidéo : Benjamin Archier
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